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08/04/2025 | FRANCE | N°23BX01309

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 5ème chambre, 08 avril 2025, 23BX01309


Vu la procédure suivante :



Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 mai et 14 septembre 2023, 19 janvier, 19 juin et 6 septembre 2024, l'association " Agir pour le pays d'Eygurande ", Mme E... L..., M. I... N..., M. C... N..., M. H... N..., Mme M... G..., Mme J... G..., M. B... A... et l'EARL Thomas, représentés par Me Monamy, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 par lequel le préfet de la Corrèze a autorisé la société Eoliennes de Feyt Laroche à exploiter huit éoliennes et trois postes de livraison sur

le territoire des communes de Feyt et de Laroche-près-Feyt (Corrèze) ;

2°...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 15 mai et 14 septembre 2023, 19 janvier, 19 juin et 6 septembre 2024, l'association " Agir pour le pays d'Eygurande ", Mme E... L..., M. I... N..., M. C... N..., M. H... N..., Mme M... G..., Mme J... G..., M. B... A... et l'EARL Thomas, représentés par Me Monamy, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 11 janvier 2023 par lequel le préfet de la Corrèze a autorisé la société Eoliennes de Feyt Laroche à exploiter huit éoliennes et trois postes de livraison sur le territoire des communes de Feyt et de Laroche-près-Feyt (Corrèze) ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Eoliennes de Feyt Laroche la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt leur donnant qualité pour agir à l'encontre de l'arrêté contesté ;

- l'enquête publique a méconnu les dispositions de l'article R. 123-10 du code de l'environnement ;

- la consultation du public a été organisée selon des modalités qui méconnaissent les stipulations des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 6 de la convention d'Aarhus ;

- le dossier de demande d'autorisation environnementale, qui ne comporte pas les documents justifiants de la maitrise foncière du terrain d'assiette du projet éolien, est incomplet ;

- il n'est pas établi que le signataire de l'avis du 30 juin 2021 disposait d'une délégation de la mission régionale d'autorité environnementale ;

- il n'est pas établi qu'une note explicative de synthèse aurait été transmise aux élus des conseils municipaux des communes intéressées par le projet éolien en cause, selon les dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales, lorsqu'ils ont été saisis pour avis au titre du I de l'article L. 181-10 du code de l'environnement ;

- il n'est pas établi que les signataires des accords délivrés le 30 mars 2020 par le ministre en charge de la défense d'une part et le 18 mars 2020 par celui en charge de l'aviation civile d'autre part disposaient d'une délégation de signature ;

- le montant des garanties financières de remise en état et démantèlement est insuffisant au regard des dispositions de l'arrêté du 26 août 2011 modifié relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement ;

- l'autorisation environnementale méconnaît l'article L. 411-2 du code de l'environnement dès lors qu'aucune dérogation à l'interdiction de porter atteinte aux espèces protégées n'a été sollicitée, ni pour le Milan Royal et les chauves-souris, ni pour la destruction des hêtraies et chênaies ;

- les mesures de compensation des impacts sur les chiroptères sont insuffisantes au regard des dispositions des articles L. 110-1, L. 122-1-1 et L. 511-1 du code de l'environnement ;

- l'autorisation environnementale méconnaît les dispositions des articles L.181-3 du code de l'environnement et de l'article L. 341-5 du code forestier ;

- elle méconnaît les articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement dès lors que le projet autorisé porte une atteinte excessive aux paysages et au patrimoine et à la commodité du voisinage.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 13 juillet et 16 novembre 2023, 21 mai, 10 juillet et 9 octobre 2024, la société par actions simplifiées à associé unique (SASU) Eoliennes de Feyt Laroche, représentée par Me François Versini-Campinchi, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge des requérants la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que :

- les requérants ne justifient pas d'un intérêt à agir contre l'arrêté préfectoral contesté ;

- le moyen tiré de la méconnaissance des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement, au regard de l'atteinte à la commodité des paysages, est irrecevable ;

- le moyen tiré de la méconnaissance de la convention d'Aarhus doit être écarté comme étant inopérant ;

- aucun des autres moyens invoqués par les requérants n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 décembre 2023, le préfet de la Corrèze conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir qu'aucun des moyens invoqués par les requérants n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention d'Aarhus du 25 juin 1998 ;

- le code de l'environnement ;

- le code forestier ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de l'urbanisme ;

- l'arrêté ministériel du 26 août 2011 ;

- l'arrêté ministériel du 23 avril 2007 du ministre de l'agriculture et de la pêche et de la ministre de l'écologie et du développement durable, fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 du ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer et du ministre de l'alimentation, de l'agriculture et de la pêche, fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Carine Farault,

- les conclusions de M. Sébastien Ellie, rapporteur public,

- et les observations de Me Lacoste pour l'association " Agir pour le pays d'Eygurande ", de M. D... F..., représentant l'association et autres et de Me Bourret pour la société Eoliennes de Feyt Laroche.

Considérant ce qui suit :

1. La société par actions simplifiées à associé unique (SASU) Eoliennes de Feyt Laroche a présenté, le 14 janvier 2020, une demande en vue d'obtenir l'autorisation d'installer et d'exploiter un parc éolien composé de huit éoliennes et de trois postes de livraison, sur le territoire des communes de Feyt et de Laroche-près-Feyt (Corrèze). Par un arrêté du 11 janvier 2023, le préfet de la Corrèze a délivré à la SASU Eoliennes de Feyt Laroche l'autorisation environnementale sollicitée. L'association " Agir pour le pays d'Eygurande ", Mme E... L..., M. I... N..., M. C... N..., M. H... N..., Mme M... G..., Mme J... G..., M. B... A... et l'Entreprise à responsabilité limitée Thomas, demandent l'annulation de cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir :

2. L'association " Agir pour le pays d'Eygurande " a pour objet, aux termes de l'article 2 de ses statuts, " sur le territoire des communes de Feyt, Laroche-près-Feyt, Eygurande, Merlines,Monestiers-Merlines, Lamazière-Haute, Aix, Lastic, Bourg-Lastic, Herment, Saint-Germain-Près-Herment,Verneugheol, Giat, Flayat, Saint-Merd-La-Breuille, la protection de l'environnement, notamment de la flore, de la faune, des paysages et du patrimoine culturel, contre toutes les atteintes qui pourraient lui être portées, notamment par l'implantation d'éoliennes et des équipements qui leurs sont liés ". Cet objet, qui est suffisamment précis tant sur le plan matériel que géographique, donne à l'association un intérêt suffisant pour contester l'arrêté d'autorisation préfectorale du 11 janvier 2023 qui porte sur une installation susceptible de porter atteinte aux intérêts qu'elle défend. Dès lors, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur l'intérêt à agir des autres requérants, la fin de non-recevoir opposée en défense, tirée de l'absence d'intérêt à agir des requérants, doit être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'enquête publique :

3. Il résulte de l'instruction, d'une part, que le dossier d'enquête public était consultable, pendant toute la durée de l'enquête, du 4 janvier au 4 février 2022, dans les mairies des deux communes d'implantation du projet, Feyt et Laroche-près-Feyt, durant les jours et heures habituels d'ouverture au public de celles-ci, rendant cette consultation possible les mardi de 8h30 à 12h30 et les vendredi de 13h30 à 17h30 ainsi qu'un jeudi sur deux à ces mêmes horaires pour la commune de Feyt et, en mairie de Laroche-près-Feyt, les mardis de 13h30 à 17h30, un jeudi sur deux à ces mêmes horaires et les vendredis de 8h30 à 12h30, en format papier ainsi que sur des postes informatique mis à disposition du public. En outre, la présence d'un dossier sur le site internet de la préfecture de la Corrèze a permis au public de s'informer à tout moment de l'enquête. Enfin, le public a pu, tout au long de l'enquête, présenter ses observations, soit sur les registres mis à disposition dans chacune des deux mairies, soit par correspondance à l'attention du président de la commission d'enquête, ainsi que par courrier électronique à l'attention des communes et de la préfecture. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 123-10 du code de l'environnement, qui n'emportent aucune obligation de prévoir des horaires de consultation du dossier et de permanence du commissaire-enquêteur le soir ou le week-end, doit être écarté.

En ce qui concerne la violation des paragraphes 2, 3 et 4 de l'article 6 de la convention d'Aarhus :

4. Aux termes de l'article 6 de la convention d'Aarhus sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement : " (...) 2. Lorsqu'un processus décisionnel touchant l'environnement est engagé, le public concerné est informé comme il convient, de manière efficace et en temps voulu, par un avis au public ou individuellement, selon le cas, au début du processus (...)3. Pour les différentes étapes de la procédure de participation du public, il est prévu des délais raisonnables laissant assez de temps pour informer le public conformément au paragraphe 2 ci-dessus et pour que le public se prépare et participe effectivement aux travaux tout au long du processus décisionnel en matière d'environnement. / 4. Chaque Partie prend des dispositions pour que la participation du public commence au début de la procédure, c'est-à-dire lorsque toutes les options et solutions sont encore possibles et que le public peut exercer une réelle influence ".

5. Le projet en litige relève du point 20 de l'annexe I à cette convention, qui vise " toute activité non visée aux paragraphes 1 à 19 ci-dessus pour laquelle la participation du public est prévue dans le cadre d'une procédure d'évaluation de l'impact sur l'environnement conformément à la législation nationale ", de sorte que le moyen tiré de la violation des stipulations d'effet direct de l'article 6 de la convention d'Aarhus cité au point précédent est opérant, contrairement à ce que fait valoir le défendeur.

6. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport du commissaire enquêteur et du bilan de la concertation, que le projet éolien en litige a été présenté à la population des deux communes concernées lors d'ateliers qui se sont tenus en janvier et juillet 2019, au cours desquels le public a pu prendre connaissance des différentes variantes d'implantation du projet. Par ailleurs, le pétitionnaire a mené des opérations d'information du public en décembre 2018 et en juin et juillet 2019, par voie de presse ou de diffusion électronique. En outre, le 10 décembre 2019, une permanence d'information a été tenue dans chacune des communes, avec présentation de la carte d'implantation et des résultats des études et photomontages. Au vu de ces différentes démarches, la commission d'enquête a confirmé que le porteur de projet et les experts contributeurs avaient actionné plusieurs leviers permettant à la population concernée d'accéder à toutes les informations sur le projet. En outre, ainsi qu'il a été dit au point précédent, une enquête publique s'est déroulée du 4 janvier au 4 février 2022 qui a permis à la population locale de présenter des observations. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 6 de la convention d'Aarhus ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne l'accord des propriétaires dans le dossier de demande d'autorisation environnementale :

7. Aux termes de l'article R. 181-13 du code de l'environnement : " La demande d'autorisation environnementale comprend les éléments communs suivants (...) 3° Un document attestant que le pétitionnaire est le propriétaire du terrain ou qu'il dispose du droit d'y réaliser son projet ou qu'une procédure est en cours ayant pour effet de lui conférer ce droit (...) ".

8. Les obligations relatives à la composition du dossier de demande d'autorisation environnementale relèvent des règles de procédure. Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles de procédure régissant la demande d'autorisation environnementale au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date de délivrance de cette autorisation. Les inexactitudes, omissions ou insuffisances affectant le dossier de la demande d'autorisation ne sont susceptibles de vicier la procédure et ainsi d'entacher d'irrégularité l'autorisation que si elles ont eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ou si elles ont été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative. En outre, eu égard à son office, le juge du plein contentieux des installations classées peut prendre en compte la circonstance, appréciée à la date à laquelle il statue, que de telles irrégularités ont été régularisées, sous réserve qu'elles n'aient pas eu pour effet de nuire à l'information complète de la population.

S'agissant de la commune de Feyt :

9. Il résulte de l'instruction, qu'après le dépôt de la demande, l'éolienne E7, qui a été déplacée de 18 mètres vers le sud-est et sa plateforme réorientée au nord, ne survolera plus la parcelle AD n° 17, mais seulement les parcelles AD n° 5 et 9 pour lesquelles la société pétitionnaire justifie de la maitrise foncière. Par ailleurs, la société pétitionnaire a complété son dossier administratif le 21 avril 2021, en justifiant de la promesse de servitude qui lui a été consentie par la commune de Feyt, après approbation par une délibération du conseil municipal du 30 octobre 2020, en particulier pour l'enfouissement de câbles et de réseaux, sur les voies et chemins communaux n° 20, 21, 22, 24 et 28, ainsi que sur la parcelle ZD n° 47, seules voies et parcelles communales impactées par le projet éolien.

S'agissant de la commune de Laroche-Près-Feyt :

10. Il résulte de l'instruction, que la société pétitionnaire a complété son dossier administratif le 21 avril 2021, en justifiant de la promesse de servitude qui lui a été consentie par la commune de Laroche-Près-Feyt, après approbation par une délibération du conseil municipal du 5 janvier 2020, en particulier pour l'enfouissement de câbles et de réseaux, sur les voies et chemins communaux n° 31, 32 et 39, seules voies communales impactées par le projet éolien.

11. Il résulte de l'instruction, que le raccordement des éoliennes à leurs postes de livraison respectifs, dans la dernière version du projet, tel que complété en avril 2021 par la réponse de la société pétitionnaire aux interrogations du service instructeur, n'impacte aucune route départementale.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le moyen tiré de l'absence de justification de la maîtrise foncière lors de la demande d'autorisation environnementale, en violation des dispositions du 13° de l'article R. 181-13 du code de l'environnement, doit être écarté.

En ce qui concerne l'avis du 30 juin 2021 de la mission régionale d'autorité environnementale :

13. A supposer que le signataire de l'avis de la mission régionale d'autorité environnementale de la Nouvelle-Aquitaine émis le 30 juin 2021, n'était pas compétent pour signer cet avis, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que cette irrégularité aurait eu pour effet de nuire à l'information complète de la population ni été de nature à exercer une influence sur la décision de l'autorité administrative.

En ce qui concerne les avis du ministre des armées et du ministre en charge de l'aviation civile :

14. Il résulte de l'instruction que M. le général de brigade aérienne Etienne Herfeld, directeur de la circulation aérienne militaire, signataire de l'avis émis le 30 mars 2020, disposait d'une délégation pour signer tous actes, arrêtés et décisions dans son champ d'attribution, qui lui a été consentie le 1er septembre 2019 et publiée au journal officiel du 4 septembre 2019. De même, en vertu d'un arrêté du 18 octobre 2019 portant délégation de signature à la direction général de l'aviation civile, publié au journal officiel le 28 octobre 2019, M. K... O..., chef du service national d'ingénierie aéroportuaire, était habilité à signer, notamment, l'avis émis le 18 mars 2020 au nom du ministre en charge de l'aviation civile. Le moyen tiré de l'irrégularité de la procédure sur ces points manque en fait et doit être écarté.

En ce qui concerne la consultation des communes intéressées :

15. Il résulte des dispositions combinées du I de l'article L. 181-10 et de l'article R. 181-36 du code de l'environnement que les conseils municipaux intéressés au sens de l'article L. 181-10 du code de l'environnement sont ceux des communes dans lesquelles il est procédé à l'affichage de l'avis d'enquête publique, c'est-à-dire, en matière de parcs éoliens, des communes situées dans un rayon de six kilomètres autour de l'installation classée. En l'espèce, l'association requérante fait valoir que les conseils municipaux des communes de Feyt, Laroche-près-Feyt, Merlines, Lamazière-Haute, Saint-Merd-la-Breuille et Lastic, qui ont émis un avis favorable, n'auraient pas été destinataires d'une note explicative de synthèse ou d'un document en tenant lieu, conformément aux dispositions de l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales avant de délibérer sur leur avis.

16. A supposer que les conseillers municipaux des six communes qui ont rendu un avis favorable sur le projet éolien n'auraient pas été destinataires d'une note de synthèse explicative, il résulte toutefois des énonciations mêmes des délibérations de ces communes que le projet a fait l'objet, en séance du conseil municipal, d'une présentation, avant que les conseillers municipaux ne délibèrent. Les conseils municipaux intéressés ne pouvaient au demeurant pas ignorer l'existence de ce projet alors que l'avis d'enquête publique avait été affiché dans les communes. En outre, il résulte de l'instruction que les élus ont été destinataires d'une lettre d'information qui leur a été adressée par le porteur de projet en juillet 2021, faisant la synthèse des principales données du projet et indiquant le rappel du calendrier. Par suite, aucun élément du dossier ne permet de démontrer que les conseillers municipaux n'auraient pas été en mesure d'émettre en toute connaissance de cause un avis sur le projet. En tout état de cause, il ne résulte pas de l'instruction que cette irrégularité, si elle était avérée, aurait, en l'espèce, eu une influence sur la décision du préfet de la Corrèze, ni qu'elle aurait eu pour effet de priver quiconque d'une garantie dans le cadre de la procédure consultative préalable à l'autorisation attaquée. Le moyen tiré du vice de procédure tenant à l'irrégularité des avis émis par les conseils municipaux doit, par suite, être écarté.

En ce qui concerne les garanties de démantèlement :

17. Aux termes de l'article R. 515-101 du code de l'environnement : " I. - La mise en service d'une installation de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent soumise à autorisation (...) est subordonnée à la constitution de garanties financières visant à couvrir, en cas de défaillance de l'exploitant lors de la remise en état du site, les opérations prévues à l'article R. 515-106. Le montant des garanties financières exigées ainsi que les modalités d'actualisation de ce montant sont fixés par l'arrêté d'autorisation de l'installation. II. - Un arrêté du ministre chargé de l'environnement fixe, en fonction de l'importance des installations, les modalités de détermination et de réactualisation du montant des garanties financières qui tiennent notamment compte du coût des travaux de démantèlement (...) ".

18. Il résulte de l'instruction que le montant des garanties financières, fixé à 882 560 euros, a été calculé conformément aux dispositions de l'article 30 de l'arrêté ministériel du 26 août 2011 modifié relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, dans sa rédaction en vigueur à la date de l'arrêté préfectoral, sur la base d'un coût forfaitaire de 50 000 euros, par éolienne.

19. Ces dispositions ont toutefois été remplacées, s'agissant des éoliennes d'une puissance supérieure à 2 mégawatts, comme en l'espèce, par un coût variable selon leur puissance. En vertu de l'arrêté du 11 juillet 2023 applicable à la date du présent arrêt, et modifiant l'annexe I de l'arrêté du 26 août 2011, pour les aérogénérateurs dont la puissance est supérieure à 2 mégawatt, le coût unitaire forfaitaire de démantèlement d'une unité, est calculé selon la formule définie par le b) du I de cette annexe, selon laquelle : " Cu = 75 000 + 25 000 * (P-2) / où : / Cu est le montant initial de la garantie financière d'un aérogénérateur ; / P est la puissance unitaire installée de l'aérogénérateur, en mégawatt (MW) ". Dans ces conditions, les requérants sont fondés à soutenir que les garanties financières fixées par l'arrêté sont insuffisantes dans la mesure où elles sont inférieures au montant résultant de l'annexe I de l'arrêté du 26 août 2011 modifié.

20. Il appartient au juge du plein contentieux des installations classées pour la protection de l'environnement d'apprécier le respect des règles de fond régissant l'installation au regard des circonstances de fait et de droit en vigueur à la date à laquelle il se prononce.

21. Il appartient dès lors à la cour, et sans qu'il soit dès lors besoin sur ce point de recourir à la procédure de régularisation prévue par le 2° de l'article L. 181-18 du code de l'environnement, de modifier l'article 6 de l'arrêté du 11 janvier 2023 du préfet de la Corrèze définissant le montant des garanties financières à constituer par la société " Eoliennes de Feyt Laroche " en les actualisant conformément à la formule mentionnée à l'annexe I de l'arrêté du 26 août 2011 modifié.

En ce qui concerne l'atteinte allégué aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

22. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I.- L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles (...) L. 511-1 du code de l'environnement (...). Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".

23. Dans l'exercice de ses pouvoirs de police administrative en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, il appartient à l'autorité administrative d'assortir l'autorisation d'exploiter délivrée en application de l'article L. 512-1 du code de l'environnement des prescriptions de nature à assurer la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, en tenant compte des conditions d'installation et d'exploitation précisées par le pétitionnaire dans le dossier de demande, celles-ci comprenant notamment les engagements qu'il prend afin d'éviter, réduire et compenser les dangers ou inconvénients de son exploitation pour ces intérêts.

24. Pour rechercher si l'existence d'une atteinte à un paysage, à la conservation des sites et des monuments ou au caractère ou à l'intérêt des lieux avoisinants est de nature à fonder un refus d'autorisation ou à fonder les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient à l'autorité administrative d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site naturel ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

S'agissant de l'atteinte aux paysages et au patrimoine :

25. Il résulte de l'instruction que le projet autorisé prévoit l'implantation de huit aérogénérateurs d'une hauteur, pales comprises, de 200 mètres au nord-est du département de la Corrèze, sur les territoires des communes de Feyt et Laroche-près-Feyt. Ce parc éolien sera implanté sur un territoire à dominante rurale, de faible densité démographique, essentiellement tourné vers l'agriculture et la sylviculture, présentant, dans l'aire d'étude éloigné, un vaste espace de plateaux boisés. Le paysage rapproché de la zone d'implantation est composé de haies bocagères hautes et de petits boisements associés aux pâturages, qui maillent l'espace agricole. Les vues s'ouvrent parfois largement et profondément mais sont le plus souvent cadrées par des boisements ou des bosquets épars plus ou moins distants. Les villages et secteurs d'habitations sont diffus. Le paysage entourant le projet, s'il n'est pas dépourvu de tout intérêt, ne présente pas de caractère ni intérêt particulier.

26. Les requérants font valoir que le projet de parc éolien en litige, qui s'inscrit dans un secteur à forts enjeux paysagers, eu égard à ses caractéristiques et à ses incidences visuelles depuis les paysages préservés du plateau des Millevaches, des sites inscrits de la promenade des murs à Herment, de la motte castrale d'Aix-la-Marsalouse et le dolmen des Farges, est de nature à porter atteinte aux paysages et au patrimoine.

27. En premier lieu, il résulte de l'étude d'impact que la partie orientale du plateau des Millevaches compris dans le territoire d'étude, compte tenu de son éloignement, de son relief et de sa forte couverture forestière, reste totalement isolée visuellement de la zone d'implantation du projet éolien et ne présente de ce fait aucune sensibilité particulière. Ainsi l'incidence du projet sur les paysages du parc naturel des Millevaches est qualifiée de faible, compte tenu de sa distance du plateau et du peu de zones dans lesquelles le projet serait visible.

28. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la promenade des murs, site inscrit depuis le 14 février 1979, situé sur la commune de Herment, est éloigné de 6, 2 kilomètres de l'éolienne la plus proche et à 10 kilomètres de l'éolienne la plus éloignée du parc en litige. Par son surplomb, cette promenade offre une vue sur le plateau éloigné des Millevaches et les monts d'Auvergne. Si les huit éoliennes du parc en litige seront toutes visibles depuis ce site, ainsi que le confirme le photomontage n° 17 de l'étude d'impact et celui produit par les requérants, cette même étude, en page 576, indique que le niveau final des effets visuels du projet sur cette promenade est modéré.

29. En troisième lieu, il résulte de l'instruction que le projet de parc éolien, dans sa variante finale, se trouve à onze kilomètres du site inscrit de la motte castrale d'Aix-la-Malouse, composé d'une parcelle circulaire de cent cinquante mètres qui accueille les vestiges d'un château féodal. Compte tenu de la distance, du niveau des perceptions et de l'absence de co-visibilité, qui ne sont pas sérieusement remises en cause, l'étude d'impact qualifie le niveau d'incidence visuelle du projet sur le site de faible.

30. En quatrième lieu, le dolmen de Farges, situé à plus de trois kilomètres des éoliennes les plus proches, est un monument historique classé situé sur la commune de Saint-Germain d'Herment, dont le photomontage n° 19 de l'étude d'impact met en évidence que seules les trois éoliennes E6 à E8 seront partiellement visibles depuis ce site qui n'est concerné par aucune co-visibilité. De ce fait, l'impact du projet sur le dolmen de Farges est qualifié de faible à modéré.

31. Au regard de l'ensemble de ces éléments, le moyen tiré de ce que l'arrêté autorisant le projet méconnaitrait les dispositions citées au point 22 quant à la protection des paysages et du patrimoine doit être écarté.

S'agissant de l'atteinte à la commodité du voisinage :

32. La circonstance que les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement incluent la protection des paysages ne fait pas obstacle à ce que l'impact visuel d'un projet, en particulier le phénomène de saturation visuelle qu'il est susceptible de produire, puisse être pris en compte pour apprécier ses inconvénients pour la commodité du voisinage au sens de cet article. Il appartient au juge de plein contentieux, pour apprécier les inconvénients pour la commodité du voisinage liés à l'effet de saturation visuelle causé par un projet de parc éolien, de tenir compte, lorsqu'une telle argumentation est soulevée devant lui, de l'effet d'encerclement résultant du projet en évaluant, au regard de l'ensemble des parcs installés ou autorisés et de la configuration particulière des lieux, notamment en termes de reliefs et d'écrans visuels, l'incidence du projet sur les angles d'occupation et de respiration, ce dernier s'entendant du plus grand angle continu sans éolienne depuis les points de vue pertinents.

33. En premier lieu, il résulte de l'étude des incidences cumulées de l'étude d'impact que les projets recensés dans un rayon de 20 kilomètres autour du projet de Feyt Laroche, qui représentent un potentiel de 38 aérogénérateurs supplémentaires aux 18 en fonctionnement, sont concentrés à l'est du projet, alors que les zones de visibilités théoriques du projet en litige se concentrent essentiellement au nord, à l'ouest et au sud, et ne présentent pas de risque de saturation visuelle ni d'encerclement des zones d'habitations.

34. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que le hameau de Jarasse, sur la commune de Laroche-près-Feyt, se situe à sept cent mètres environ de l'éolienne E7, la plus proche. Si les éoliennes E1, E3 et E5 sont partiellement visibles depuis le hameau, l'impact visuel est atténué par les bosquets qui entourent les habitations, selon le photomontage 39 de l'étude d'impact. Depuis la route D101, seule l'éolienne E6 domine nettement les bois de l'arrière-plan dans l'axe de la route, tandis que les autres éoliennes sont entièrement masquées par la végétation. Le photomontage produit par les requérants, s'il confirme la visibilité de l'éolienne E6 depuis ce hameau, met également en évidence les espaces de respiration de chaque côté de l'éolienne.

35. En troisième lieu, il résulte de la vue panoramique depuis le cœur du hameau de Faucouneix, photomontage 44, que le hameau est entouré d'arbres qui masquent en grande partie le parc éolien, dont l'éolienne E4, la plus proche, se situe à huit cent mètres. L'étude d'impact qualifie le niveau d'incidence de faible à modéré et précise qu'il n'existe pas d'encerclement et que peu d'habitations sont tournées vers le projet. Le photomontage produit par les requérants concernant ce hameau confirme la protection fournie par la végétation qui masquent en grande partie les éoliennes E3, E5 et E8. S'il met également en évidence que, depuis ce lieu de prise de vue, la visibilité de l'éolienne E4 est plus accentuée, il ne résulte toutefois pas de l'instruction que le hameau de Faucouneix risquerait de subir un effet de saturation du paysage.

36. En quatrième lieu, le lieudit Montelbouilloux, sur la commune de Laroche-près-Feyt, se situe au centre du parc en projet et domine la vallée de la Mézouette. Les requérants font valoir que le hameau Montelbouilloux, est impacté par un effet d'encerclement. Il résulte toutefois de l'étude d'impact que seules les éoliennes E4 et E5 sont visibles sur toute leur hauteur, les autres étant partiellement masquées par la végétation. Il ne résulte ni des photomontages de l'étude d'impact, ni de ceux produits par les requérants, que les éoliennes du projet seraient toutes visibles d'un même point de vue depuis la partie habitée du hameau, ni depuis le nord-est, ni depuis le sud-ouest, l'implantation du parc permettant de conserver un angle de respiration de 92° depuis le hameau. En outre, la société pétitionnaire s'est engagée à la mise en place d'arbres tiges et haies bocagères arborées sur les parcelles privatives des riverains les plus proches, au nombre desquelles serait incluse l'habitation isolée du hameau de Montelbouilloux. Par ailleurs, la circonstance que les éoliennes sont perceptibles depuis ce hameau n'est pas de nature à caractériser à elle seule une atteinte à la commodité du voisinage. Le projet en litige ne peut donc être regardé comme contribuant à créer un effet de saturation visuelle et d'encerclement.

37. Il résulte des points 25 à 36 que le moyen tiré de ce que l'arrêté litigieux méconnaîtrait les dispositions combinées des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement doit être écarté.

En ce qui concerne l'absence de dérogation à l'interdiction de porter atteinte aux espèces protégées :

38. Aux termes de l'article L. 411-1 du code de l'environnement : " I. - Lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, sont interdits: / 1° La destruction ou l'enlèvement des œufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat ; (...) / 3° La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code : " I. - Un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles sont fixées : (...) / 4° La délivrance de dérogations aux interdictions mentionnées aux 1°, 2° et 3° de l'article L. 411-1, à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens (...) ". Les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 des ministres chargés de l'agriculture et de l'environnement fixent, respectivement, la liste des mammifères terrestres et des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection.

39. Selon les dispositions de l'article, L. 181-12 du code de l'environnement, l'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent le respect des conditions, fixées au 4° de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation. En vertu de ces dispositions, le pétitionnaire doit obtenir une dérogation " espèces protégées " si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé. A ce titre, les mesures d'évitement et de réduction des atteintes portées aux espèces protégées proposées par le pétitionnaire doivent être prises en compte. Dans l'hypothèse où les mesures d'évitement et de réduction proposées présentent, sous le contrôle de l'administration, des garanties d'effectivité telles qu'elles permettent de diminuer le risque pour les espèces au point qu'il apparaisse comme n'étant pas suffisamment caractérisé, il n'est pas nécessaire de solliciter une dérogation " espèces protégées ". Pour apprécier si le risque que le projet comporte pour les espèces protégées est suffisamment caractérisé pour justifier la nécessité d'une telle dérogation, le juge administratif tient compte, outre des mesures proposées par le pétitionnaire, des mesures complémentaires d'évitement et de réduction des atteintes portées à ces espèces, prescrites, le cas échéant, par l'administration ou par le juge lui-même dans l'exercice de ses pouvoirs de pleine juridiction.

S'agissant des chiroptères :

40. Les chiroptères sont des espèces protégées en vertu de l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégées sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Selon l'étude d'impact, dans sa partie 7.2.3 relative aux incidences brutes sur les chiroptères, le risque de mortalité par collision est qualifié de niveau fort pour la Pipistrelle commune, de niveau modéré pour la Barbastrelle d'Europe et la Vespère de Savi et de niveau moyen pour la Pipistrelle de Nathusius et de Kuhl. Il résulte de l'instruction qu'après étude de différentes variantes, la société pétitionnaire a retenu la variante n° 3, supprimant deux éoliennes qui devaient être implantées à proximité d'un massif forestier sensible et une troisième à proximité directe de la vallée de la Mézouette. Par ailleurs plusieurs mesures d'évitement ont été retenues, en particulier l'évitement des secteurs à fort enjeu pour les chauves-souris lors du choix d'implantation des éoliennes ainsi que le choix d'itinéraires limitant la destruction de haies. Des mesures de réduction spécifiques aux chiroptères ont été mises en œuvre, telles que la limitation de l'éclairage au sol du site, la réduction des surfaces de défrichement autour des éoliennes implantées en milieu forestier et la programmation d'un plan de bridage, repris à l'article 9 de l'arrêté d'autorisation environnementale. Il prescrit l'arrêt des huit éoliennes du 15 mars au 30 octobre, du coucher au lever du soleil, sous certaines conditions de vent et de température particulièrement favorables à l'activité chiroptérologique, rendant l'impact résiduel du point de vue de la mortalité par collision négligeable ou faible. Enfin, il résulte de l'instruction qu'en phase de chantier, le niveau d'impact résiduel du point de vue de la perte d'habitat est qualifié de négligeable ou faible selon les espèces tandis que la destruction d'individus est qualifiée de négligeable pour l'ensemble des espèces.

S'agissant du Milan royal :

41. Le Milan royal relève de la liste des espèces protégées au titre de l'arrêté interministériel du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection. Il résulte des mesures d'inventaire de l'avifaune nicheuse que la présence du Milan royal constitue l'enjeu principal, qualifié de fort par l'étude d'impact, l'inventaire confirmant toutefois qu'aucun nid de cette espèce n'a été identifié dans la zone d'implantation du projet. S'agissant de l'avifaune migratrice, l'étude d'impact qualifie de moyen le niveau d'enjeu pour le Milan royal. Enfin, l'enjeu est évalué à un niveau modéré en ce qui concerne l'avifaune hivernante. Plusieurs mesures d'évitement ont été mises en œuvre. Ainsi, dès la conception du projet, les secteurs d'implantation les plus sensibles pour l'avifaune nicheuse ont été évités. De même le choix de la variante finale a permis d'abandonner les quatre éoliennes dont les impacts étaient les plus significatifs pour les rapaces nicheurs et migrateurs. En outre, un espacement d'au moins quatre cent cent mètres entre chaque éolienne a été retenu afin de réduire le risque de moralité par collision, de même que l'existence d'une trouée d'a minima deux kilomètres entre deux parcs éoliens limite l'effet barrière du parc vis-à-vis des migrateurs. Au titre des mesures de réduction, il résulte de l'instruction que la société pétitionnaire a prévu de limiter la végétation sous les éoliennes, réduisant leur attractivité pour les rapaces. En outre, les éoliennes seront mises à l'arrêt en période de fauche, moisson et labour. L'installation d'un système de détection automatisé de type DT Bird est également prévu, positionné sur le mat des aérogénérateurs, dans un but de détection, effarouchement et arrêt des machines, pour les éoliennes E3 à E6 et E8, implantées sur les plateaux agricoles dans des secteurs où ont été identifiés des flux de migration du Milan royal, dont il n'est pas sérieusement contesté que le taux de détectabilité est de l'ordre de 86% à 96% dans un rayon de cent cinquante mètres, réduisant le risque de collision selon les dernières études disponibles, de moins de une pour 10 000 oiseaux.

42. Toutefois, compte tenu des flux migratoires importants mis en évidence pour cette espèce lors de l'établissement de l'état initial écologique du projet et de sa sensibilité "forte " aux risques de collision avec les éoliennes, il convient de prévoir une mise à l'arrêt des éoliennes sur une période correspondant au pic migratoire du Milan royal. Ainsi, il y a lieu de compléter la mesure programmée par le pétitionnaire dans son projet et de prescrire, au point 9.1 de l'arrêté du 11 janvier 2023, une mesure de bridage prévoyant l'arrêt de l'ensemble des éoliennes durant la période migratoire du Milan royal, six semaines entre le 1er octobre et mi-novembre, en journée, de 9 heures à 18 heures.

S'agissant des habitats d'espèces protégées :

43. Il résulte de l'instruction que l'implantation du site éolien aura pour effet de supprimer une surface importante de hêtraies et chênaies pour l'aménagement des plateformes, des pistes d'accès aux éoliennes et la destruction de trois cent quarante mètres de haies qui constituent des habitats pour les chauves-souris, dont les enjeux apparaissent modérés à fort dans l'étude d'impact. Toutefois, l'impact résiduel sur les hêtraies et les chênaies acidiphiles à mesoacidiphiles à houx est qualifié de faible dans l'étude d'impact compte tenu des mesures d'évitement et de réduction qui seront mises en œuvre et de négligeable s'agissant des haies bocagères arborescentes. S'il résulte de l'instruction que l'impact résiduel sur les hêtraies acidiclines reste modéré, il n'est toutefois pas sérieusement contesté que leur état initial dans cette zone était relativement dégradé en raison de la présence de nombreux résineux. Par ailleurs, si les requérants font valoir que la destruction de ces habitats nuit aux espèces protégées de chiroptères, il résulte toutefois de l'instruction que l'impact résiduel sur les chiroptères, en raison de la destruction de leur habitat, est négligeable à faible selon l'étude d'impact.

44. Eu égard à l'ensemble de ce qui vient d'être dit, compte tenu des enjeux identifiés et des mesures d'évitement et de réduction retenues par le pétitionnaire, celles imposées par l'administration et celles prescrites au point 42, il n'apparaît pas que le projet contesté présenterait un risque suffisamment caractérisé d'atteintes à l'égard de l'avifaune et des chiroptères ou à leurs habitats. Les requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que l'arrêté en litige méconnaît les dispositions de l'article L. 411-2 du code de l'environnement en tant qu'il ne comporte pas de demande de dérogation à l'interdiction de destruction des espèces protégées.

En ce qui concerne les mesures de compensation :

45. Si les requérants font valoir que les mesures de compensation des impacts sur les chiroptères sont insuffisantes au regard des dispositions des articles L. 110-1, L. 122-1-1 et L. 511-1 du code de l'environnement, ainsi qu'il a été dit au point 40, il n'apparait pas que le projet contesté présenterait un risque suffisamment caractérisé d'atteintes à l'égard des chiroptères. Par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'autorisation serait illégale à défaut d'avoir imposé au pétitionnaire des mesures de compensation s'agissant des chiroptères.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 181-3 du code de l'environnement et de l'article L. 341-5 du code forestier :

46. Aux termes des dispositions de l'article L. 341-5 du code forestier : " l'autorisation de défrichement peut être refusée lorsque la conservation des bois et forêts ou des massifs qu'ils complètent, ou le maintien de la destination forestière des sols, est reconnu nécessaire à une ou plusieurs des fonctions suivantes : (...) 8° A l'équilibre biologique d'une région ou d'un territoire présentant un intérêt remarquable et motivé du point de vue de la préservation des espèces animales ou végétales et de l'écosystème ou au bien-être de la population (...) ".

47. Il résulte de l'instruction que la zone d'implantation du site retenu par la société pétitionnaire après étude des différentes variantes, évite les zones humides et les boisements les plus sensibles pour l'habitat de l'avifaune et des chiroptères. Seules quatre éoliennes seront implantées en milieu forestier, les plateformes d'accueil et les installations de chantiers étant prévues sur des aires à faible enjeu écologique. Par ailleurs des mesures de reboisement et replantation de haies, au double du linéaire de haies détruites sont prévus par la société pétitionnaire et reprises dans l'arrêté préfectoral en cause. L'étude d'impact, dans sa partie d'étude des incidences résiduelles, qualifie ainsi l'impact résiduel du projet, qui sera à l'origine du déboisement de 0,61 hectare de formation de feuillus et de 1,05 hectare de prairie favorable à l'alimentation des chiroptères, de négligeable à faible, compte tenu du nombre d'habitats présents dans la zone détruite. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions citées au point précédent doit être écarté.

48. Il résulte de tout ce qui précède que, sous réserve des modifications des articles 6 et 9.1 de l'arrêté du 11 janvier 2023 du préfet de la Corrèze, les requérants ne sont pas fondés à en demander l'annulation.

Sur les frais liés au litige :

49. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge des parties les sommes qu'elles se réclament mutuellement au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : L'article 6 de l'arrêté du 11 janvier 2023 du préfet de la Corrèze est modifié, conformément au point 21 du présent arrêt, par application de la formule mentionnée à l'annexe I de l'arrêté ministériel du 26 août 2011 modifié, dans sa rédaction issue de l'arrêté du 11 juillet 2023.

Article 2 : L'article 9.1 de l'arrêté du 11 janvier 2023 du préfet de la Corrèze est modifié, conformément au point 42 du présent arrêt, par l'ajout d'une mesure de bridage prévoyant l'arrêt de l'ensemble des éoliennes durant la période migratoire du Milan royal, six semaines entre le 1er octobre et mi-novembre, en journée, de 9 heures à 18 heures.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de l'association " Agir pour le pays d'Eygurande " et autres est rejeté.

Article 4 : Les conclusions présentées par la société Eoliennes de Feyt Laroche au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à l'association " Agir pour le pays d'Eygurande ", à Mme E... L..., désignée en application de l'article R.751-3 du code de justice administrative, au ministre de la transition de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche et à la société Eoliennes de Feyt Laroche.

Copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.

Délibéré après l'audience du 18 mars 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Fabienne Zuccarello, présidente,

M. Nicolas Normand, président assesseur,

Mme Carine Farault, première conseillère,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2025.

La rapporteure,

Carine FaraultLa présidente,

Fabienne Zuccarello

La greffière,

Virginie Santana

La République mande et ordonne à la ministre de la transition de la biodiversité, de la forêt, de la mer et de la pêche en ce qui la concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX01309


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX01309
Date de la décision : 08/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme ZUCCARELLO
Rapporteur ?: Mme Carine FARAULT
Rapporteur public ?: M. ELLIE
Avocat(s) : CABINET LPA-CGR AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-08;23bx01309 ?
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