Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... A... B... a demandé au tribunal administratif de Pau d'annuler l'arrêté du 17 mai 2024 par lequel le préfet de la Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une période de deux ans.
Par un jugement n° 2401281 du 27 mai 2024, la magistrate désignée du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires en production de pièces enregistrés les 25 juin 2024, 16 juillet 2024, 23 octobre 2024 et 17 mars 2025 (non communiqué), M. A... B..., représenté par Me Sanchez Rodriguez, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 27 mai 2024 du tribunal administratif de Pau ;
2°) d'annuler l'arrêté du 17 mai 2024 par lequel le préfet de la Vienne a rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une période de deux ans ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Vienne de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois suivant la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat le paiement d'une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
En ce qui concerne la régularité du jugement :
- le jugement est irrégulier dans la mesure où la magistrate désignée du tribunal administratif de Pau a statué sur la décision portant refus de séjour en violation du deuxième alinéa de l'article R. 776-17 du code de justice administrative ;
- le jugement est irrégulier dans la mesure où la magistrate désignée du tribunal administratif de Pau a omis de répondre au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le jugement est irrégulier dans la mesure où la magistrate désignée du tribunal administratif de Pau a omis de répondre au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation entachant l'obligation de quitter le territoire français et l'interdiction de retour sur le territoire français ;
- le jugement est irrégulier dans la mesure où la magistrate désignée du tribunal administratif de Pau a omis de statuer sur les moyens relatifs à la décision fixant le pays de renvoi ;
En ce qui concerne l'arrêté portant refus de séjour :
- la décision méconnaît l'article L. 423-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision méconnaît l'article L. 432-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision portant refus de départ volontaire :
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision méconnaît les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la décision est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- la décision méconnaît les articles L. 612-6 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 mars 2025, le préfet de la Vienne conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens invoqués par M. A... B... ne sont pas fondés.
Par lettre du 12 mars 2025, les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions aux fins d'annulation de la décision portant refus de séjour dès lors qu'elles constituent des conclusions nouvelles en appel.
Par un mémoire, enregistré le 17 mars 2025, M. A... B... a présenté des observations en réponse à la mesure d'information du 12 mars 2025.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Normand ;
Considérant ce qui suit :
1. M. A... B..., né en mars 1992 à Médenine (Tunisie), de nationalité tunisienne, est entré sur le territoire français en 2017 selon ses déclarations. Le 16 janvier 2024, M. A... B... a déposé une demande de titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de parent d'enfant français. Le 16 mai 2024, il a été interpellé pour des faits de tentative de meurtre par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité et d'atteinte au secret des correspondances émises par voie électronique par une personne étant ou ayant été conjoint, concubin ou partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité. Le préfet de la Vienne a, par arrêté du 17 mai 2024, rejeté sa demande de délivrance d'un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel M. A... B... sera renvoyé et a prononcé une interdiction de retour pour une durée de deux ans. M. A... B... relève appel du jugement du 27 mai 2024 par lequel le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, s'il résulte des dispositions de l'article R. 776-16 du code de justice administrative, en vigueur à la date de l'arrêté du 27 mai 2024 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire sans délai, fixation du pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pendant une période de deux ans, que les conclusions à fin d'annulation de la décision de refus de séjour relèvent de la compétence d'une formation collégiale, M. A... B... n'a toutefois pas présenté devant le tribunal de conclusions dirigées contre cet arrêté en tant qu'il lui refuse un titre de séjour et la magistrate désignée par le tribunal administratif de Pau n'a pas statué sur ce point. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que le jugement de la magistrate désignée par le tribunal administratif de Pau serait entaché d'irrégularité en ce qu'elle aurait incompétemment statué sur de telles conclusions.
3. En second lieu, aux termes de l'article R. 776-24 alors en vigueur du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile applicable aux étrangers placés en rétention administrative " Après le rapport fait par le président du tribunal administratif ou par le magistrat désigné, les parties peuvent présenter en personne ou par un avocat des observations orales. Elles peuvent également produire des documents à l'appui de leurs conclusions. Si ces documents apportent des éléments nouveaux, le magistrat demande à l'autre partie de les examiner et de lui faire part à l'audience de ses observations " et de l'article R. 776-27 alors en vigueur du même code également applicable aux étrangers placés en rétention administrative " Le jugement est prononcé à l'audience si l'étranger est retenu, au jour de celle-ci, par l'autorité administrative. A moins qu'un procès-verbal d'audience signé par le juge et par l'agent chargé du greffe de l'audience ait été établi, le jugement mentionne les moyens nouveaux soulevés par les parties lors de l'audience (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... B... a été placé, le 17 mai 2024, en rétention administrative et que sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 mai 2024 par lequel le préfet de la Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une période de deux ans a été jugée par le tribunal administratif de Pau selon la procédure mentionnée aux articles R. 776-14 et suivants du code de justice administrative. Dès lors, il était loisible à l'avocat représentant M. A... B... lors de l'audience publique du 24 mai 2024, de renoncer, ainsi que le mentionne le jugement attaqué dont les mentions font foi, aux moyens qu'avait soulevés M. A... B... dans sa demande introductive d'instance enregistrée devant le tribunal administratif de Pau le 18 mai 2024, à l'exception de ceux tirés de ce que la décision est entachée d'une part, d'une erreur de droit en ne procédant pas à un examen attentif et personnalisé de sa situation et d'autre part, d'une erreur manifeste d'appréciation. Par suite, le requérant n'est pas fondé à soutenir que la magistrate désignée par le tribunal administratif de Pau aurait omis d'examiner les moyens fondés sur les stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à l'encontre des décisions portant obligation de quitter le territoire français et interdiction de retour sur le territoire français. En outre, contrairement à ce que soutient le requérant, la magistrate désignée par le tribunal administratif de Pau a répondu dans son jugement au moyen, qu'elle a d'ailleurs écarté, tiré de ce que l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Sur la recevabilité des conclusions en appel :
5. Il ressort de la demande introductive d'instance de M. A... B..., enregistrée le 24 décembre 2020 au greffe du tribunal administratif de Pau, que ses conclusions à fin d'annulation étaient exclusivement dirigées contre les décisions portant obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du le pays de destination et interdiction de retour sur le territoire français pendant une période de deux ans. Les conclusions à fin d'annulation de la décision refusant de lui délivrer un titre de séjour constituent des conclusions nouvelles en appel. Par suite ces conclusions doivent, dans cette mesure, être rejetées comme irrecevables.
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
6. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
7. D'une part, il ressort des pièces du dossier que M. A... B... a été relaxé, le 1er juillet 2024, par le tribunal correctionnel de Poitiers, au bénéfice du doute, des faits de violences sur sa compagne et d'interception de correspondances pour lesquels il était poursuivi. Ce jugement révèle qu'à la date du 17 mai 2024 à laquelle a été édicté l'arrêté attaqué, M. A... B... ne représentait pas, contrairement à ce qu'a estimé le préfet qui s'était appuyé sur les poursuites pénales engagées de ce chef contre M. A... B..., une menace à l'ordre public.
8. D'autre part, il ressort des pièces du dossier et notamment d'une reconnaissance anticipée de paternité du 14 août 2023 que M. A... B..., qui déclare être entré en France en 2017 à l'âge de 25 ans, a une enfant de nationalité française née le 13 décembre 2023. Par les pièces qu'il produit, et notamment une carte individuelle d'admission à l'aide médicale d'Etat délivrée en 2017, des fiches de paie établies sur les années 2019 à 2021 et des déclarations de revenus établies à compter de 2021, il justifie résider en France de manière continue depuis au moins 2019. Il ressort également de l'avis d'impôt sur les revenus de M. A... B... au titre de l'année 2023, que celui-ci et sa compagne française vivent en concubinage depuis au moins le 1er janvier 2024, M. A... B... ayant déclaré l'adresse de cette dernière comme étant son adresse d'imposition au 1er janvier 2024 alors qu'il avait déclaré une adresse située dans le département de la Seine-Saint-Denis comme celle d'imposition au 1er janvier 2023. Compte tenu de la communauté de vie des deux concubins et alors, en outre, que le requérant justifie à la date de l'arrêté attaqué, de photographies avec son enfant, de factures d'achats de produits d'épicerie sur les mois de janvier, février, mars et avril 2024, d'un relevé de compte de la caisse d'allocations familiales du 19 mai 2024 à son nom mentionnant la perception en mars 2024 de la prestation d'accueil jeune enfant pour sa fille, de factures d'achat d'articles de puériculture des 2 et 3 octobre 2023, 13 et 16 mars 2024 et enfin d'un courrier du médecin généraliste de sa compagne du 30 janvier 2024, précisant qu'il aide à s'occuper du bébé, M. A... B..., qui est demandeur d'emploi depuis le 4 octobre 2023, doit être regardé comme contribuant, à proportion de ses ressources, à l'entretien et à l'éducation de son enfant au sens de l'article 371-2 du code civil. L'intéressé justifie également d'une attestation de travail en tant que technicien de fibre optique sur la période du 1er août 2019 au 30 novembre 2021 et d'un contrat à durée indéterminée en date du 31 mai 2021 démontrant sa volonté de s'insérer en France. Dans ces conditions, la décision en litige a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite, le préfet de la Gironde a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentale. Par voie de conséquence, les décisions portant fixant le pays de renvoi et prononçant une interdiction de retour sur le territoire français pendant une période de deux ans doivent également être annulées.
9. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... B... est fondé à soutenir que, c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 17 mai 2024 par lequel le préfet de la Vienne l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et a prononcé une interdiction de retour sur le territoire français pendant une période de deux ans.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
10. Aux termes de l'article L. 911-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision juridictionnelle, que cette nouvelle décision doit intervenir dans un délai déterminé (...) ". En application de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Si la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues aux articles L. 721-6, L. 721-7, L. 731-1, L. 731-3, L. 741-1 et L. 743-13, et l'étranger est muni d'une autorisation provisoire de séjour jusqu'à ce que l'autorité administrative ait à nouveau statué sur son cas ".
11. L'annulation de la décision d'obligation de quitter le territoire français implique en application des articles précités L. 911-2 du code de justice administrative et L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que l'administration préfectorale procède à un réexamen de la situation de l'intéressé, qu'elle prenne une nouvelle décision sur sa situation dans un délai qu'il y a lieu de fixer à trois mois et que, dans l'attente de cette décision, elle délivre sans délai une autorisation provisoire de séjour à l'intéressé. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais d'instance :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et au profit de M. A... B... une somme de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2401281 du tribunal administratif de Pau du 27 mai 2024 est annulé.
Article 2 : Les décisions du préfet de la Vienne du 17 mai 2024 portant obligation de quitter le territoire français, fixant le pays de destination et faisant interdiction de retour pour une durée de deux ans sont annulées.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Vienne de réexaminer la situation de M. A... B..., de prendre une nouvelle décision dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente de cette nouvelle décision, de délivrer à M. A... B... une autorisation provisoire de séjour.
Article 4 : L'Etat versera à M. A... B... une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... B... et au ministre de l'intérieur.
Copie en sera adressée au préfet de la Vienne.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Zuccarello, présidente,
M. Normand, président assesseur,
Mme Voillemot, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 8 avril 2025.
Le rapporteur,
N. Normand
La présidente,
F. Zuccarello
La greffière,
Virginie Santana
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
N° 24BX01561 2