Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... C... a demandé au juge des référés du tribunal administratif
de Pau de condamner le centre hospitalier de la Côte basque à lui verser une provision
de 160 242 euros et de mettre à la charge du centre hospitalier la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Par ordonnance n° 2301194 du 12 novembre 2024, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté la demande de M. C....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire enregistrés le 18 novembre 2024 et le 7 février 2025, M. C..., représenté par Me Archen, demande au juge d'appel des référés :
1°) d'annuler cette ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Pau ;
2°) de condamner le centre hospitalier de la Côte basque à lui verser une provision de 160 242 euros, ou, à titre subsidiaire, à lui verser une provision de 128 194 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de la Côte basque la somme de
4 000 euros au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.
Il soutient que :
- il a subi un retard fautif de prise en charge des suites de sa fracture tibiale, dès lors que dès le 19 octobre 2015, des examens complémentaires auraient dû être conduits ;
- la prise en charge initiale de sa fracture était défaillante, dès lors qu'une immobilisation de type cruro-pédieuse aurait dû être réalisée dès les suites de son admission aux urgences du centre hospitalier de Bayonne ;
- les dommages qu'il a subis sont entièrement imputables au retard de prise en charge fautif ; sans ce retard, il aurait pu récupérer l'usage normal de sa jambe droite et éviter les complications ultérieures ;
- la somme provisionnelle de 160 242 euros n'est pas contestable, dès lors que ce montant correspond à l'offre indemnitaire faite par l'assureur du centre hospitalier de la Côte Basque le 2 juillet 2021 ;
- il a subi un déficit fonctionnel temporaire qui devra être évalué à 13 342 euros ;
- ses souffrances ont été estimées à 4,5 sur une échelle de 7, et devront donner lieu à une indemnisation qui ne pourra être inférieure à 20 000 euros ;
- son préjudice esthétique temporaire, lié à la présence d'un fixateur externe durant sept mois, devra au moins être évalué à 1 500 euros ;
- son déficit fonctionnel permanent a été évalué à 8 % pour tenir compte d'une marche non harmonieuse avec boiterie, d'une raideur de cheville et de l'articulation sous-talienne, de douleurs permanentes et d'un périmètre de marche limité, de la pénibilité de la station debout et d'une souffrance psychique et morale résiduelle ; alors qu'il était âgé de 41 ans à la date de la consolidation de son état de santé, ce préjudice devra faire l'objet d'une provision de
14 400 euros ;
- son préjudice esthétique permanent, évalué à 2 sur une échelle de 7 en raison de la déformation du tiers inférieur de la jambe et de ses multiples cicatrices, justifie qu'il soit indemnisé à hauteur de 3 000 euros ;
- il a subi un préjudice d'agrément lié à l'impossibilité de pratiquer la course à pied et le football, qui devra être indemnisé à hauteur de 2 000 euros ;
- il a également subi une perte de gains professionnels, puisqu'il n'a pas pu accéder à un poste de commercial en contrat à durée indéterminée en raison de l'accident médical et de ses suites ; en tenant compte des indemnités qu'il a perçues de la caisse primaire d'assurance maladie, sa perte de gains professionnels s'élève, entre le 19 octobre 2015 et le 31 décembre 2017, date de sa mise en invalidité, à 37 363 euros ; pour la période à partir du 1er janvier 2018, sa perte de gains professionnels doit être indemnisée à hauteur de 887 094,97 euros ;
- son besoin d'aide à tierce personne, qui a été de quatre heures par semaine entre le
10 octobre 2017 et le 31 décembre 2018, et de deux heures par semaines entre le 1er janvier 2019 et le 21 mars 2019 doit être indemnisé à hauteur de 6 272,70 euros ;
- ses dépenses de santés actuelles, qui correspondent aux frais de semelles orthopédiques, s'élèvent à 340 euros ; pour le futur, ces frais correspondent à 8 094,05 euros ;
- une somme de 50 000 euros devra lui être versée au titre de son préjudice d'incidence professionnelle ;
- à titre subsidiaire, la perte de chance d'échapper aux séquelles qu'il a subies ne peut être regardée comme étant inférieure à 80 %.
Par un mémoire enregistré le 25 novembre 2024, la caisse primaire d'assurance maladie a informé la juridiction qu'elle ne s'opposait pas à la demande de provision de M. C....
Par un mémoire en défense et un mémoire, enregistrés le 24 décembre 2024 et le
26 février 2025, le centre hospitalier de la Côte basque, représenté par le cabinet Le Prado et Gilbert, fait valoir que :
- un retard de diagnostic ne constitue pas nécessairement une faute médicale ;
- même si ce retard constituait une faute, il ne donne pas nécessairement droit à une indemnisation, dès lors qu'il n'est pas démontré que cette faute est à l'origine d'une perte de chance d'éviter le dommage subi par M. C... ; par conséquent, l'obligation du centre hospitalier ne présente pas un caractère non-contestable ;
- à titre subsidiaire, M. C... ne peut prétendre à une indemnisation intégrale de ses préjudices ;
- les évaluations des préjudices de M. C... sont infondées ou excessives.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 5 décembre 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la cour a désigné Mme A... comme juge des référés en application du livre V du code de justice administrative.
Considérant ce qui suit :
1. M. C..., alors âgé de 34 ans, a présenté le 18 janvier 2015 une fracture spiroïde tibiale et fibulaire. Cette fracture a d'abord été traitée par la pose d'une botte plâtrée aux urgences du centre hospitalier de Bayonne, puis, en l'absence de consolidation dans les délais attendus, par la réalisation d'une ostéosynthèse à type de plaque vissée le 2 juin 2015 au sein de cet établissement. Après le retrait du matériel d'ostéosynthèse, il a été constaté une inégalité des membres inférieurs avec une rotation de la cheville, ce qui a justifié une nouvelle intervention d'ostéotomie de correction tibio-fibulaire avec la mise en place d'un fixateur externe le
4 octobre 2017 au centre hospitalier universitaire (CHU) de Bordeaux. A l'issue de ces différentes procédures médicales, M. C... a fait état de douleurs permanentes du membre inférieur droit, d'une boiterie permanente, d'une hernie abdominale, de cervicalgies, et de répercussions psychologiques. Des mesures d'expertises ont été organisées par l'assureur du centre hospitalier de Bayonne et par l'assureur de M. C..., donnant lieu à des rapports établis respectivement le 17 décembre 2019 et le 16 novembre 2022. M. C... relève appel de l'ordonnance par laquelle le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de la Côte Basque à lui verser, à titre de provision, la somme de 160 242 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de la prise en charge de sa fracture et de ses suites par cet établissement.
2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie ". Pour regarder une obligation comme non sérieusement contestable, il appartient au juge des référés de s'assurer que les éléments qui lui sont soumis par les parties sont de nature à en établir l'existence avec un degré suffisant de certitude. Dans ce cas, le montant de la provision que peut allouer le juge des référés n'a d'autre limite que celle résultant du caractère non sérieusement contestable de l'obligation dont les parties font état. Dans l'hypothèse où l'évaluation du montant de la provision résultant de cette obligation est incertaine, le juge des référés ne doit allouer de provision, le cas échéant assortie d'une garantie, que pour la fraction de ce montant qui lui paraît revêtir un caractère de certitude suffisant.
3. D'une part, aux termes du I de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute (...) ". D'autre part, dans le cas où une faute est commise lors de la prise en charge d'un patient dans un établissement public hospitalier, si elle a compromis ses chances d'obtenir une amélioration de son état de santé ou d'échapper à son aggravation, le préjudice résultant directement de la faute commise par l'établissement et qui doit être intégralement réparé n'est pas le dommage corporel constaté, mais la perte de chance d'éviter que ce dommage advienne, la réparation qui incombe à l'hôpital devant alors être évaluée à une fraction du dommage corporel déterminée en fonction de l'ampleur de la chance perdue.
4. En premier lieu, M. C... invoque une défaillance de la prise en charge initiale de sa fracture par le service des urgences du centre hospitalier de Bayonne. Si l'expertise diligentée par son assureur évoque l'insuffisance d'une immobilisation plâtrée de la jambe laissant le genou libre, aucune conclusion n'est tirée de ce constat, notamment concernant les séquelles conservées par l'intéressé. Dans ces conditions, à supposer qu'une faute puisse être retenue sur ce point à l'égard du centre hospitalier de la Côte basque, les préjudices de M. C... ne peuvent être regardés comme étant en lien avec ce manquement. Par conséquent, il n'en découle aucune obligation pour l'établissement pouvant donner lieu à l'octroi d'une provision.
5. En second lieu, il résulte de l'instruction que la fracture spiroïde tibiale et fibulaire dont a été victime M. C... le 18 janvier 2015 a présenté un retard de consolidation (pseudarthrose) justifiant la réalisation d'une ostéosynthèse, et que le suivi post-opératoire a été conduit par le chirurgien ayant opéré l'intéressé, qui a considéré l'évolution de la consolidation comme normale jusqu'à l'ablation du matériel d'ostéosynthèse le 14 juin 2016. Des examens ont toutefois mis en évidence, postérieurement au retrait de ce matériel, une inégalité des membres inférieurs avec une rotation de la cheville. Il résulte des éléments au dossier que lors d'une consultation du 19 octobre 2015, soit cinq mois après la prise en charge chirurgicale de la pseudarthrose de M. C..., la présence d'une boiterie et d'une attitude vicieuse en rotation externe avait été constatée. Les expertises des 17 décembre 2019 et 16 novembre 2022 indiquent toutes deux que ces éléments justifiaient des examens complémentaires, qui n'ont toutefois pas été réalisés. Ils n'ont finalement été pratiqués que le 27 mars 2017, date à laquelle la prise en charge des suites de la fracture de M. C... peut être regardée comme adaptée. Ainsi, alors que des signes d'une mauvaise consolidation étaient déjà présents dès
le 19 octobre 2015, l'absence de réalisation d'examens complémentaires, qui auraient permis une prise en charge plus précoce, constitue un manquement fautif.
6. D'une part, si M. C... soutient qu'une prise en charge immédiate lui aurait permis de récupérer l'usage normal de sa jambe droite et d'éviter toute séquelle, aucun élément au dossier, notamment d'ordre médical, ne permet de tenir ces allégations pour établies. A cet égard, la seule circonstance que l'assureur du centre hospitalier de la Côte basque, la société hospitalière d'assurances mutuelles (SHAM), ait formulé le 2 juillet 2021 une proposition d'indemnisation à hauteur de 160 242 euros, que l'intéressé a refusé, est sans incidence sur un droit à une réparation à hauteur de 100 % des dommages subis par M. C.... D'autre part, alors même qu'il résulte de l'instruction, comme il vient d'être dit, que la prise en charge de la consolidation de la fracture du requérant n'a pas été conforme aux règles de l'art entre le 19 octobre 2015 et le 27 mars 2017, aucun élément au dossier, et en particulier figurant dans les deux expertises, n'indique dans quelle mesure une amélioration de son état de santé aurait pu être obtenue si des examens complémentaires avaient été faits dès les suites de la consultation du 19 octobre 2015, et si le retard de prise en charge a pu jouer un rôle dans les séquelles que conserve M. C... de sa fracture du 18 janvier 2015. Ainsi, comme l'avait relevé le juge des référés du tribunal, il ne peut être affirmé de manière certaine que la faute du centre hospitalier de la Côte basque a compromis les chances de l'intéressé d'obtenir une amélioration de son état de santé, d'éviter son aggravation, ou l'aurait privé de la possibilité de présenter des séquelles moins importantes que celles dont il demeure atteint. Dans ces circonstances, la créance dont se prévaut M. C... ne peut être regardée comme non sérieusement contestable, et sa demande de provision doit, par suite, être rejetée.
7. Il résulte de ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande. Sa requête doit ainsi être rejetée, y compris ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et concernant les dépens.
ORDONNE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : La présente ordonnance sera notifiée à M. B... C..., au centre hospitalier de la Côte basque et à la caisse primaire d'assurance maladie de Pau.
Fait à Bordeaux, le 8 avril 2025.
La juge d'appel des référés,
Charlotte A...La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente ordonnance.
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No 24BX02705