Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 8 avril 2021 par lequel le ministre de l'intérieur a mis fin à compter du 1er mars 2021 à son détachement sur l'emploi de commandant de nuit à Bordeaux, l'arrêté du 24 juin 2021 par lequel le ministre de l'intérieur l'a affectée à la direction départementale de sécurité publique de la Gironde en tant que chargée de mission auprès du directeur, la décision implicite de rejet de sa demande de reconnaissance de maladie professionnelle, ainsi que la décision implicite rejetant son recours gracieux présenté le 26 avril 2021, la décision du 23 septembre 2021 par laquelle le préfet délégué pour la défense et la sécurité a rejeté sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie et l'arrêté du 23 septembre 2021 par lequel le préfet délégué pour la défense et la sécurité a transformé son congé pour invalidité temporaire imputable au service en congé de maladie ordinaire.
Par un jugement n°s 2102801, 2104336, 2104342, 2106170, 2106173 du 5 avril 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé l'arrêté et la décision du 23 septembre 2021 et rejeté le surplus des demandes de Mme D....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 2 juin 2023 et 4 novembre 2024, Mme D..., représentée par Me Bach, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 5 avril 2023 du tribunal administratif de Bordeaux en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'État de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie et à celles tendant à l'annulation des arrêtés des 8 avril et 24 juin 2021 ;
2°) d'annuler les arrêtés des 8 avril, 24 juin et 23 septembre 2021 et la décision du 23 septembre 2021 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre à l'État de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie ou, à défaut, de prendre une nouvelle décision dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre à l'État de lui verser le traitement et les primes dont elle a été privée entre l'entrée en vigueur de la décision de changement d'affectation et le jour de son nouveau détachement dans son emploi ou, à défaut, de prendre une nouvelle décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
5°) d'enjoindre à l'État de reconstituer sa carrière, de l'affecter à nouveau dans l'emploi qu'elle occupait et de rétablir sa situation financière ou, à défaut, de prendre une nouvelle décision, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
6°) de mettre à la charge de l'État la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier, dès lors que le tribunal a omis de statuer sur ses conclusions à fin d'injonction dans le dispositif du jugement ;
- il est également irrégulier, dès lors que le tribunal n'a pas fait application de la jurisprudence " Société Eden " ;
- elle est victime d'une maladie professionnelle imputable au service ;
- les arrêtés des 8 avril et 24 juin 2021 sont illégaux, dès lors qu'elle subissait une situation de harcèlement moral ;
- ils sont entachés d'un défaut de motivation ;
- ils sont entachés d'une rétroactivité illégale.
Par des mémoires en défense enregistrés les 2 et 9 octobre 2024, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête. Il fait valoir que les moyens invoqués dans la requête sont infondés.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le décret n° 86-442 du 14 mars 1986 ;
- le décret n° 2017-217 du 20 février 2017 ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vincent Bureau,
- les conclusions de M. Julien Dufour, rapporteur public,
- et les observations de Me Bach, représentant Mme D....
Une note en délibéré, enregistrée le 18 mars 2025, a été produite par Mme D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme D..., admise à la retraite à compter du 4 novembre 2021 par un arrêté du 1er décembre 2021, appartenait au cadre de la police nationale depuis le 1er octobre 1984. Elle a été promue au grade de commandant de police le 1er août 2006 et a été affectée à la direction départementale de la sécurité publique de Bordeaux à compter du 1er juillet 2011. A compter du 1er mars 2017, elle a été détachée dans l'emploi de commandant divisionnaire fonctionnel en qualité de chef de service du commandant de nuit à Bordeaux. En juin 2020, Mme D... a demandé à poursuivre son activité au-delà de la limite d'âge. Par un arrêté du 8 avril 2021, le ministre de l'intérieur n'a pas renouvelé son détachement et a mis fin à celui-ci à compter du 1er mars 2021. Par un arrêté du 24 juin 2021, le ministre de l'intérieur l'a affectée à la direction départementale de la sécurité publique de la Gironde en tant que chargée de mission auprès du directeur. Suite à un différend avec son chef de service, notamment sur le renouvellement de son détachement auquel il s'est opposé, Mme D... indique avoir souffert de troubles anxio-dépressifs sévères en raison desquels lui ont été prescrits plusieurs arrêts de travail et des traitements médicamenteux. Le 28 décembre 2020, elle a demandé la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie. Le silence gardé par l'administration a fait naitre une décision implicite de rejet de cette demande, à laquelle s'est substituée une décision explicite en date du 23 septembre 2021. Enfin, en conséquence de la décision refusant de reconnaître l'imputabilité au service de sa pathologie, la directrice des ressources humaines du secrétariat général pour l'administration du ministère de l'intérieur l'a placée en congé de maladie ordinaire et a refusé de lui attribuer un congé pour invalidité temporaire imputable au service par un arrêté du 23 septembre 2021. Mme D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux l'annulation des arrêtés des 8 avril, 24 juin et 23 septembre 2021 ainsi que de la décision et de l'arrêté du 23 septembre 2021, et d'enjoindre notamment à l'État de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie ou, à défaut, de prendre une nouvelle décision. Par un jugement du 5 avril 2023, le tribunal a annulé la décision et l'arrêté du 23 septembre 2021 pour vice de procédure et rejeté le surplus de ses demandes. Mme D... relève appel de ce jugement du 5 avril 2023 en tant qu'il n'a pas fait droit à ses conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint à l'administration de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie et à ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés des 8 avril et 24 juin 2021.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, lorsque le juge de l'excès de pouvoir annule une décision administrative alors que plusieurs moyens sont de nature à justifier l'annulation, il lui revient, en principe, de choisir de fonder l'annulation sur le moyen qui lui paraît le mieux à même de régler le litige, au vu de l'ensemble des circonstances de l'affaire. Mais, lorsque le requérant choisit de présenter, outre des conclusions à fin d'annulation, des conclusions à fin d'injonction tendant à ce que le juge enjoigne à l'autorité administrative de prendre une décision dans un sens déterminé, il incombe au juge de l'excès de pouvoir d'examiner prioritairement les moyens qui seraient de nature, étant fondés, à justifier le prononcé de l'injonction demandée. Il en va également ainsi lorsque des conclusions à fin d'injonction sont présentées à titre principal sur le fondement de l'article L. 911-1 du code de justice administrative et à titre subsidiaire sur le fondement de l'article L. 911-2.
3. Dans le cas où il ne juge fondé aucun des moyens assortissant la demande principale du requérant mais retient un moyen assortissant sa demande subsidiaire, le juge de l'excès de pouvoir n'est tenu de se prononcer explicitement que sur le moyen qu'il retient pour annuler la décision attaquée. Statuant ainsi, son jugement écarte nécessairement les moyens qui assortissaient la demande principale.
4. Il ressort en l'espèce de la motivation du jugement attaqué que celui-ci annule, " sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête ", la décision du 23 septembre 2021 refusant de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie et l'arrêté du 23 septembre 2021 la plaçant en congé de maladie ordinaire, en retenant un motif tiré d'un vice de procédure pour le premier et en annulant le second par voie de conséquence de cette illégalité. Eu égard à ce qui a été dit ci-dessus, en statuant ainsi, le tribunal a implicitement mais nécessairement écarté, après les avoir examinés, les autres moyens invoqués devant lui et susceptibles de justifier qu'il soit enjoint au ministre de l'intérieur de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie, ainsi que le demandait Mme D.... Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué au motif que les premiers juges auraient omis de statuer sur des moyens et auraient méconnu leur office en n'examinant pas en priorité les moyens d'illégalité permettant de faire droit à la demande d'injonction formée à titre principal, doit être écarté.
5. En second lieu, il ressort des motifs du jugement attaqué que le tribunal administratif de Bordeaux, après avoir accueilli l'un des moyens invoqués devant lui, a annulé la décision du 23 septembre 2021 et l'arrêté du 23 septembre 2021 en litige, mais a omis de se prononcer dans le dispositif sur les conclusions à fin d'injonction présentées par Mme D... et évoquées au point 4. Dès lors, il y a lieu d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a pas statué sur ces conclusions.
6. Il y a lieu de statuer sur ces conclusions à fin d'injonction par la voie de l'évocation et de statuer sur le surplus des conclusions de Mme D... par la voie de l'effet dévolutif.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
En ce qui concerne la légalité de l'arrêté du 8 avril 2021 mettant fin au détachement de Mme D... et de l'arrêté du 24 juin 2021 portant changement d'affectation :
S'agissant du harcèlement moral :
7. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus. ".
8. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
9. Mme D... soutient qu'elle a été victime de faits de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie en raison de la fin injustifiée de son détachement, alors que sa manière de servir était exemplaire et que les reproches qui lui ont été faits sont erronés, en particulier en ce qu'on ne pouvait lui reprocher ses prises de position en faveur des agents placés sous son autorité, ni ses efforts pour faire face à la crise du covid-19. Elle ajoute qu'elle n'a pas été notée à compter de 2017.
10. Aux termes de l'article 8 du décret du 20 février 2017 relatif à l'emploi de commandant divisionnaire fonctionnel de la police nationale : " La nomination dans l'emploi de commandant divisionnaire fonctionnel est prononcée par arrêté du ministre de l'intérieur, pour une durée maximale de quatre ans renouvelable, sans que la durée totale dans un même emploi puisse excéder huit ans. (...) / Les fonctionnaires nommés dans cet emploi sont placés en position de détachement ". Aux termes de l'article 9 de ce décret : " L'emploi de commandant divisionnaire fonctionnel peut être retiré dans l'intérêt du service ".
11. Si Mme D... soutient qu'il a été mis fin à son détachement de manière injustifiée, il ressort des pièces du dossier que ses supérieurs hiérarchiques ont émis des avis défavorables au renouvellement de son détachement les 23 octobre 2020 et 25 janvier 2021 au motif que sa manière de servir en tant que chef de service du commandement de nuit ne permettait plus son maintien sur ce poste. Ses supérieurs hiérarchiques, dont rien au dossier ne permet d'établir que leurs rapports concordants seraient antidatés, font état d'un manque d'implication professionnelle et d'engagement de sa part, caractérisé notamment par un manque de dialogue, des refus de prendre contact avec sa hiérarchie, un défaut de management, ou encore un manque d'assiduité dans la lecture de ses mails créant un décalage d'analyses, décrivant six situations précises pour illustrer ce grief. Ils font encore état d'une médiocrité dans la rédaction de ses compte-rendu d'activité, de ce qu'elle n'a jamais exercé son pouvoir de notation en tant que N+1, d'absences répétées, et d'un manque d'autorité face à de fortes individualités, notamment lors d'un incident survenu le 28 septembre 2017. Si Mme D... soutient que ces griefs sont erronés, elle ne l'établit pas par les quelques courriels qu'elle produit pour attester de ce qu'elle rendait compte à sa hiérarchie de l'activité de son service, lesquels concernent principalement l'année 2017. La circonstance qu'elle n'ait pas été notée depuis 2017, à supposer qu'elle soit établie, ne permet pas, à elle seule, de présumer de l'existence d'une situation de harcèlement moral, alors au demeurant qu'il ressort des pièces du dossier qu'elle a bien été évaluée au titre de l'année 2020. Dans ces conditions, et alors qu'un agent dont le détachement arrive à échéance n'a aucun droit au renouvellement de celui-ci, les faits et éléments avancés par Mme D... ne permettent pas, pris individuellement ou dans leur ensemble, de présumer qu'elle aurait été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie. Par suite, le moyen doit être écarté.
S'agissant de la motivation des arrêtés :
12. Aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques (...) ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : (...) ; (...) 6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir (...) ". Aux termes de l'article L. 211-5 du même code : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. ".
13. En premier lieu, alors qu'un agent dont le détachement arrive à échéance n'a, ainsi qu'il a été dit, aucun droit au renouvellement de celui-ci et alors qu'il ne ressort pas de ce qui précède que la décision mettant fin au détachement de Mme D... aurait été prise en l'espèce pour des raisons étrangères à l'intérêt du service ou pour des motifs disciplinaires, elle n'avait pas à être motivée. Le moyen tiré d'un défaut de motivation de l'arrêté du 8 avril 2021 doit donc être écarté comme étant inopérant.
14. En second lieu, la décision prononçant le changement d'affectation de Mme D... résulte de la fin de son détachement dans l'emploi de chef de service du commandement de nuit et n'a pas le caractère d'une décision prise en considération de la personne ou d'une sanction disciplinaire. Par suite, et alors que les mesures d'affectation dans l'intérêt du service ne sont pas au nombre des décisions devant faire l'objet d'une motivation, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté du 24 juin 2021 doit être écarté comme étant inopérant.
S'agissant de la rétroactivité des arrêtés :
15. Si les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir, il en va autrement s'agissant des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires ou des militaires, l'administration pouvant, en dérogation à cette règle générale, leur conférer une portée rétroactive dans la mesure nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation, l'administration étant tenue de placer ses agents dans une position statutaire et réglementaire.
16. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté du 8 avril 2021, notifié le 12 mai 2021, par lequel le ministre de l'intérieur a mis fin au détachement de la requérante, a pris effet le 1er mars 2021 et que l'arrêté du 24 juin 2021 par lequel le ministre de l'intérieur l'a affectée à la direction départementale de sécurité publique de la Gironde en tant que chargée de mission auprès du directeur a également pris effet le 1er mars 2021. Or, si l'article 8 du décret du 20 février 2017 relatif à l'emploi de commandant divisionnaire fonctionnel de la police nationale prévoit une durée maximale de détachement de quatre ans, il prévoit également la possibilité de renouveler le détachement dans la limite de huit ans. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier que l'arrêté du 21 novembre 2017 détachant Mme D... dans l'emploi de commandant divisionnaire fonctionnel en qualité de chef de service du commandant de nuit à Bordeaux à compter du 1er mars 2017 ne comportait pas de date de fin. Ainsi, la fixation par les décisions attaquées d'une date d'effet au 1er mars 2021 de la fin du détachement et de la nouvelle affectation de Mme D... n'était pas nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de cet agent, qui devait être regardée comme maintenue en détachement, et ne présentait pas non plus, à défaut de toute démonstration en ce sens, le caractère d'une mesure de régularisation. Dans ces conditions, Mme D... est fondée à soutenir que les arrêtés attaqués sont entachés d'une rétroactivité illégale en tant qu'ils portent sur une période antérieure à l'édiction de l'arrêté du 8 avril 2021 mettant fin à son détachement.
En ce qui concerne la légalité de la décision du 23 septembre 2021 portant refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de Mme D... et de l'arrêté du 23 septembre 2021 de placement en congé de maladie ordinaire :
17. Aux termes de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction alors applicable : " I.- Le fonctionnaire en activité a droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service lorsque son incapacité temporaire de travail est consécutive à un accident reconnu imputable au service, à un accident de trajet ou à une maladie contractée en service définis aux II, III et IV du présent article. (...) / Le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service ou jusqu'à la mise à la retraite. Il a droit, en outre, au remboursement des honoraires médicaux et des frais directement entraînés par la maladie ou l'accident. (...) / IV.- Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau. (...) / Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu'elle est essentiellement et directement causée par l'exercice des fonctions et qu'elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d'État. ".
18. Une maladie contractée par un fonctionnaire, ou son aggravation, doit être regardée comme imputable au service si elle présente un lien direct avec l'exercice des fonctions ou avec des conditions de travail de nature à susciter le développement de la maladie en cause, sauf à ce qu'un fait personnel de l'agent ou toute autre circonstance particulière conduisent à détacher la survenance ou l'aggravation de la maladie du service.
19. Il ressort des pièces du dossier que Mme D... impute à ses conditions de travail le syndrome anxio-dépressif à raison duquel elle a été placée en congé de maladie à compter du 23 octobre 2020. Elle évoque notamment les entretiens des 23 octobre 2020 et 16 novembre 2020 par lesquels ses supérieurs hiérarchiques l'ont informée de leurs avis défavorables au renouvellement de son détachement.
20. Pour soutenir que sa pathologie dépressive revêt un caractère professionnel, Mme D... se fonde notamment sur le rapport établi le 3 juin 2021 par le Dr B... à la demande de l'administration, qui relève que " Madame C... D... présente une réaction dépressive et anxieuse en lien direct, certain et exclusif avec son activité professionnelle ", ainsi que sur l'avis émis par le médecin de prévention le 20 mai 2021, selon lequel son état de santé est imputable au service et sur le rapport du Dr A... du 11 mai 2022 qui relève que " la construction de cette symptomatologie dépressive (...) montre bien qu'elle est directement imputable aux conditions dans lesquelles elle a exercé son service ".
21. Toutefois, la commission de réforme du 21 septembre 2021 a prononcé un avis défavorable à la reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de Mme D... au motif qu'elle n'est pas " essentiellement et directement causée " par l'exercice de ses fonctions, motif repris par les décisions litigieuses. En effet, si la requérante soutient que la dépression dont elle est atteinte est imputable au harcèlement moral dont elle a été victime de la part de sa hiérarchie et qui se serait notamment traduit par le non renouvellement de son détachement, d'une part, aucun élément du dossier ne vient accréditer une situation de harcèlement, ainsi qu'il a été dit au point 11 du présent arrêt, et d'autre part, l'intéressée ne produit en tout état de cause pas d'éléments de nature à démontrer que les entretiens des 23 octobre 2020 et 16 novembre 2020 auraient excédé l'exercice normal du pouvoir hiérarchique. La requérante n'est, dès lors, pas fondée à soutenir que le ministre a entaché ses décisions d'une erreur d'appréciation en refusant de reconnaitre l'imputabilité au service de sa maladie et en la plaçant en congé de maladie ordinaire. Il résulte de l'instruction que le ministre de l'intérieur aurait pris la même décision s'il n'avait retenu que ce seul motif, sans que Mme D... puisse dès lors utilement soutenir que c'est à tort que l'arrêté du 8 avril 2021 lui oppose par ailleurs un taux d'incapacité permanente partielle inférieur au taux de 25 % exigé par le 3ème alinéa du IV de l'article 21 bis de la loi du 13 juillet 1983.
22. Il résulte de tout ce qui précède que Mme D... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation des arrêtés du 8 avril 2021 mettant fin à son détachement et du 24 juin 2021 portant changement d'affectation en tant qu'ils portent sur une période antérieure à l'édiction de l'arrêté du 8 avril 2021.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
23. D'une part, la décision du 23 septembre 2021 portant refus de reconnaissance de l'imputabilité au service de la maladie de Mme D... et l'arrêté du 23 septembre 2021 de placement en congé de maladie ordinaire ont été annulés par le jugement attaqué du 5 avril 2023 en tant seulement que la première était entachée de vices de procédure et que la seconde devait être annulée par voie de conséquence. Eu égard aux motifs d'annulation retenus, il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service présentée par Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
24. D'autre part, le présent arrêt, qui annule l'arrêté du 8 avril 2021 mettant fin au détachement de Mme D... et l'arrêté du 24 juin 2021 portant changement d'affectation en tant qu'ils portent sur une période antérieure à la date d'édiction de la première de ces décisions, implique que le ministre de l'intérieur tire toutes les conséquences requises de la prolongation de la période de détachement de l'intéressée entre le 1er mars 2021 et le 8 avril 2021, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
25. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas la partie perdante pour l'essentiel dans la présente instance, la somme que demande Mme D... au titre des frais non compris dans les dépens.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n°s 2102801, 2104336, 2104342, 2106170, 2106173 du tribunal administratif de Bordeaux du 5 avril 2023 est annulé en tant qu'il ne s'est pas prononcé sur les conclusions à fin d'injonction de Mme D... et en tant qu'il a rejeté les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 8 avril 2021 par lequel le ministre de l'intérieur a mis fin au détachement de Mme D... et de l'arrêté 24 juin 2021 par lequel le ministre de l'intérieur l'a affectée à la direction départementale de sécurité publique de la Gironde en ce que ces arrêtés prennent effet à une date antérieure à l'édiction du premier de ces arrêtés.
Article 2 : L'arrêté du 8 avril 2021 par lequel le ministre de l'intérieur a mis fin au détachement de Mme D... et l'arrêté du 24 juin 2021 par lequel le ministre de l'intérieur l'a affectée à la direction départementale de sécurité publique de la Gironde en tant que chargée de mission auprès du directeur sont annulés en tant qu'ils portent sur une période antérieure au 8 avril 2021.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de procéder au réexamen de la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service présentée par Mme D... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de tirer les conséquences requises de la prolongation du détachement de Mme D... entre le 1er mars 2021 et le 8 avril 2021, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... D... et au ministre de l'intérieur.
Délibéré après l'audience du 18 mars 2025, à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Vincent Bureau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 avril 2025.
Le rapporteur,
Vincent Bureau
Le président,
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 23BX01497