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09/04/2025 | FRANCE | N°24BX02486

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 09 avril 2025, 24BX02486


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 29 février 2024 par lequel le préfet de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de cinq ans.

Par un jugement n° 2403

624 du 17 septembre 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... E... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 29 février 2024 par lequel le préfet de la Gironde a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays à destination duquel il pourra être éloigné d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée de cinq ans.

Par un jugement n° 2403624 du 17 septembre 2024, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 18 octobre 2024 et un mémoire enregistré le 25 février 2025, M. B... E..., représenté par Me Pornon-Weidknnet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 17 septembre 2024 ;

2°) d'annuler la décision de refus de délivrance d'un titre de séjour et, par voie de conséquence, les autres décisions comprises dans l'arrêté du préfet de la Gironde du 29 février 2024 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour " vie privée et familiale ", sous astreinte de 100 euros de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- c'est à tort que la magistrate désignée a écarté le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions attaquées dès lors que M. A... C... bénéficie d'une délégation de signature uniquement pour les actes relatifs aux affaires de la direction des sécurités, du bureau du cabinet et des relations interministérielles, catégories dont ne relèvent pas les décisions attaquées ;

En ce qui concerne le refus de délivrance d'un titre de séjour :

- c'est à tort que la magistrate désignée a écarté le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au motif que la menace à l'ordre public que représente sa présence en France l'emportait sur la protection de sa vie privée et familiale ; d'une part, le premier juge ne pouvait tenir compte d'une condamnation pénale prononcée postérieurement à la décision attaquée ; d'autre part, les condamnations pénales dont il a fait l'objet concernent principalement des infractions routières anciennes et une condamnation pour des faits de proxénétisme qui résultent du comportement de son ex-compagne qu'il ignorait ; enfin, même s'il devait être tenu compte de la décision de justice de juin 2024, qui sanctionne le comportement éducatif qu'il a eu envers sa fille, sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ; eu égard à la durée de sa présence en France, à sa qualité de père d'enfants français à l'entretien et à l'éducation desquels il participe activement, aux liens stables et intenses qu'il entretient avec sa compagne française et à l'avis favorable rendu par la commission du titre de séjour, le refus de délivrance du titre de séjour porte une atteinte disproportionnée au but en vue desquels il a été pris ;

- c'est à tort que la magistrate désignée a écarté le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant dans la mesure où son éloignement préjudicierait gravement aux intérêts de ses enfants français, dont trois sont en bas âge ; sa présence à leur côté est nécessaire pour leur éducation, en compagnie de leur mère, sa compagne de nationalité française ;

- c'est à tort que la magistrate désignée a considéré qu'il ne justifiait pas de l'impossibilité d'être soigné dans son pays d'origine pour la maladie grave dont il est atteint ; il a déjà obtenu un titre de séjour en qualité d'étranger maladie en 2018 pour une durée de deux ans, et le collège de médecins de l'office français de l'immigration et de l'intégration a rendu un avis favorable dans le cadre de sa nouvelle demande de titre de séjour en cours d'instruction ; le nouveau traitement médical qu'il suit n'est pas disponible au Cameroun ;

- au vu de la gravité de la pathologie dont il souffre, un défaut de soins appropriés entraînerait en effet pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, assimilables à des traitements inhumains et dégradants, prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 3 mars 2025, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Il soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

M. B... E... a été admis à l'aide juridictionnelle totale par une décision du 7 novembre 2024.

Par une ordonnance du 15 janvier 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 4 mars 2025 à 12 heures.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale des droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Valérie Réaut a été entendu au cours de l'audience publique ainsi que les observations de Me Pornon-Weidknnet, représentant M. B... E....

Une note en délibéré, présentée pour M. B... E... a été enregistrée le 18 mars 2025.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... E..., ressortissant camerounais né le 19 janvier 1986, est entré irrégulièrement en France en 2014. Sa demande d'asile a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides du 17 septembre 2014. Il a fait l'objet de deux mesures d'éloignement avant d'obtenir une carte de séjour le 18 décembre 2015 en qualité d'étranger malade, renouvelée une fois pour la période du 5 novembre 2015 au 10 décembre 2019. Le préfet a ensuite refusé de renouveler son titre de séjour par une décision du 20 juillet 2020. M. B... E... a déposé le 11 août 2021 une nouvelle demande de titre de séjour en qualité de parent d'enfants français, qui a donné lieu à une décision implicite de rejet. Par un jugement du 21 mars 2023, le tribunal administratif de Bordeaux a annulé cette décision et a enjoint au préfet de procéder au réexamen de sa demande. Le préfet de la Gironde l'a rejetée par un arrêté du 29 février 2024 faisant également obligation à l'intéressé de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, fixant le pays de renvoi et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant cinq ans. M. B... E... relève appel du jugement du 16 septembre 2024 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Il résulte de ces stipulations que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant. Elles sont applicables non seulement aux décisions qui ont pour objet de régler la situation personnelle d'enfants mineurs mais aussi à celles qui ont pour effet d'affecter, de manière suffisamment directe et certaine, leur situation.

3. Il ressort des pièces du dossier que M. B... E..., entré en France au début de l'année 2014, a fait l'objet le 7 juin 2017 d'une première condamnation au paiement d'une amende de deux cents euros pour avoir conduit un véhicule sans permis et sans assurance, puis d'une deuxième condamnation à trois mois d'emprisonnement le 13 mars 2018 pour des faits de conduite d'un véhicule sans permis et sous l'empire d'un état alcoolique et refus d'obtempérer à une sommation de s'arrêter. Enfin, il a été condamné le 13 octobre 2020 à huit mois d'emprisonnement et à dix mille euros d'amende pour proxénétisme et partage des profits de la prostitution d'autrui, faits commis entre le 5 juin 2018 et le 23 juin 2019. Mais il ressort également des pièces du dossier que M. B... E... est le père de cinq enfants français nés le 3 octobre 2016, le 23 janvier 2017, le 28 juillet 2018, le 18 janvier 2022 et le 25 décembre 2023. Il verse une pension alimentaire à la mère de son fils depuis 2017 et partage la vie de la mère de ses filles nées en 2016, 2018, 2022 et 2023, avec laquelle il occupe un logement commun depuis août 2020. Le requérant produit des attestations de diverses personnes, dont celle de l'assistante maternelle de l'école, qui témoigne de la participation de M. B... E... à la vie quotidienne de ses enfants et du fils de sa compagne né en 2012. Il produit également des relevés bancaires justifiant de sa contribution financière à la vie familiale et donc à l'entretien de ses enfants. Dans ces conditions, en dépit de la condamnation pénale la plus lourde dont il a fait l'objet, M. B... est fondé à soutenir pour la première fois en appel que le refus de délivrance d'un titre de séjour a pour effet d'affecter de manière directe et certaine la situation de ses enfants qui sont en bas âge, et que le préfet a ainsi méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale des droits de l'enfant.

4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés, que M. B... E... est fondé à demander l'annulation du refus de titre de séjour qui lui a été opposé, ainsi que, par voie de conséquence, de la mesure d'éloignement, de la décision fixant le pays de renvoi et de l'interdiction de retour sur le territoire français, prises sur son fondement et, par suite, à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le premier juge a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde du 29 février 2024.

Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :

5. L'annulation de l'arrêté du 29 février 2024 prononcée par le présent arrêt implique qu'il soit prescrit au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... E... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois suivant la notification dudit arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais d'instance :

6. M. B... E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Pornon-Weidknnet de la somme de 1 200 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2403624 du 17 septembre 2024 est annulé.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Gironde du 29 février 2024 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... E... un titre de séjour " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'État versera à Me Pornon-Weidknnet une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... E..., au ministre de l'intérieur, au préfet de la Gironde et à Me Pornon-Weidknnet.

Délibéré après l'audience du 18 mars 2025 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

Mme Valérie Réaut, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 9 avril 2025.

La rapporteure,

Valérie Réaut

Le président,

Laurent PougetLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 24BX02486 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 24BX02486
Date de la décision : 09/04/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: Mme Valérie RÉAUT
Rapporteur public ?: M. DUFOUR
Avocat(s) : PORNON-WEIDKNNET

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-09;24bx02486 ?
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