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16/04/2025 | FRANCE | N°22BX03019

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 16 avril 2025, 22BX03019


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme D... E... et M. C... F... G... ont demandé au tribunal administratif de Limoges :



- sous le n° 2000007, de condamner le centre hospitalier de Brive à leur verser des indemnités d'un montant total de 112 000 euros chacun en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'absence de diagnostic prénatal de la trisomie 21 découverte à la naissance de leur fille A... et de fautes commises lors de l'annonce du diagnostic et de la prise e

n charge psychologique qui s'en est suivie, ainsi qu'une provision de 5 000 euros à valoir sur ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... E... et M. C... F... G... ont demandé au tribunal administratif de Limoges :

- sous le n° 2000007, de condamner le centre hospitalier de Brive à leur verser des indemnités d'un montant total de 112 000 euros chacun en réparation des préjudices qu'ils estiment avoir subis du fait de l'absence de diagnostic prénatal de la trisomie 21 découverte à la naissance de leur fille A... et de fautes commises lors de l'annonce du diagnostic et de la prise en charge psychologique qui s'en est suivie, ainsi qu'une provision de 5 000 euros à valoir sur la réparation des souffrances endurées par l'enfant du fait de l'absence de diagnostic d'un torticolis dont elle était atteinte à la naissance ;

- sous le n° 2000724, de condamner le centre hospitalier de Brive à leur verser une indemnité de 2 000 euros chacun au titre du préjudice moral qu'ils estiment avoir subi

du fait d'un suivi psychologique défectueux à la naissance de leur fille, ainsi qu'une provision

de 5 000 euros à valoir sur la réparation des souffrances endurées par l'enfant du fait de l'absence de diagnostic d'un torticolis dont elle était atteinte à la naissance.

Par un jugement nos 2000007, 2000724 du 6 octobre 2022, le tribunal a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 7 décembre 2022 et un mémoire enregistré

le 19 février 2024, Mme E... et M. F... G..., représentés par la SCP Le Guay, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner le centre hospitalier de Brive à leur verser à chacun des indemnités de 60 000 euros en réparation du préjudice né de la perte de chance d'avoir pu bénéficier d'un diagnostic prénatal de la trisomie 21 et éventuellement de recourir à une interruption médicale de grossesse, 25 000 euros au titre de leur préjudice moral distinct de la perte de chance

et caractérisé par l'anxiété générée par l'état de leur enfant et la lourdeur de son handicap,

5 000 euros au titre de leur préjudice professionnel temporaire, 20 000 euros pour la perte de chance d'évoluer professionnellement, 2 000 euros au titre de leur préjudice moral induit par un suivi psychologique défectueux, 5 000 euros au titre des frais de procédure exposés en première instance, et 5 000 euros au titre des souffrances endurées par l'enfant durant cinq mois du fait de l'absence de diagnostic d'un torticolis dont elle était atteinte à la naissance.

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Brive une somme de 5 000 euros

au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

En ce qui concerne l'absence de diagnostic prénatal de la trisomie 21 :

- l'expert et le tribunal n'ont pas tenu compte des antécédents familiaux de trisomie 21 plaçant Mme E... dans une population à risque, et le tribunal a fait peser à tort sur Mme E... la charge de la preuve de la délivrance de cette information sur les antécédents familiaux, en méconnaissance de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique ; le centre hospitalier a commis une faute au début du suivi de la grossesse en s'abstenant de transmettre à Mme E... un questionnaire portant notamment sur ses antécédents familiaux, comme le prévoient les recommandations de la Haute autorité de santé ; si le risque de trisomie 21 avait été analysé en tenant compte des antécédents familiaux de Mme E..., un conseil génétique lui aurait été proposé, ce qui aurait permis d'identifier une forte probabilité que l'enfant à naître soit atteint d'une affection justifiant une interruption médicale de grossesse (IMG) ; ainsi, le centre hospitalier de Brive a commis une faute caractérisée, à l'origine de la perte de chance de réaliser une IMG ; l'expertise qualifie d'erreur le fait de ne pas s'être inquiété de l'information relative aux antécédents de trisomie 21 et de s'être entièrement reposé sur le test de dépistage ;

- contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, la nature de la trisomie 21 dont A... est atteinte est sans incidence sur la qualification juridique de faute caractérisée ; en ajoutant ce critère, le tribunal a commis une erreur de droit ;

- dès lors que Mme E... relevait d'une population à risque du fait de ses antécédents familiaux, elle était éligible au dépistage prénatal non invasif (DPNI), et le centre hospitalier de Brive a commis une faute caractérisée en estimant qu'elle n'était pas à risque ;

En ce qui concerne le suivi psychologique :

- alors que les psychologues ont proposé l'adoption comme seule solution aux parents s'ils souffraient trop d'avoir un enfant trisomique, c'est à tort que le tribunal a jugé qu'ils n'apportaient pas la preuve de l'existence d'un suivi psychologique lacunaire et fautif ; le seul fait que le centre hospitalier n'a pas proposé de suivi psychologique avant la naissance de A..., alors que Mme E... était très inquiète compte tenu de ses antécédents familiaux, suffit à caractériser une faute de nature à engager la responsabilité de l'hôpital ;

En ce qui concerne l'absence de diagnostic d'un torticolis congénital :

- la photographie de A... à la naissance et le courrier du médecin traitant

du 1er août 2018 établissent la présence d'un torticolis congénital à la naissance ; alors que le tribunal ne nie pas l'existence de ce torticolis, ni le fait qu'il n'a pas été diagnostiqué avant la naissance, c'est à tort qu'il n'a pas reconnu de faute à raison de cette absence de diagnostic ;

En ce qui concerne les préjudices :

- ils sont fondés à demander, pour chacun des parents, des indemnités de 60 000 euros au titre de la perte de chance de bénéficier d'un diagnostic prénatal et de recourir éventuellement à une IMG, de 25 000 euros au titre du préjudice moral subi du fait de l'anxiété causée par le handicap de leur enfant, de 5 000 euros au titre du préjudice professionnel temporaire caractérisé par la pénibilité du travail en lien avec la découverte de la trisomie de leur enfant,

de 20 000 euros au titre de la perte de chance d'évolution professionnelle et de 2 000 euros au titre du préjudice moral pour le suivi psychologique défectueux qui leur a été proposé ;

- les souffrances endurées par l'enfant, qui a subi durant plus de 5 mois un torticolis l'empêchant de s'alimenter et de dormir correctement, justifient l'allocation d'une indemnité

de 5 000 euros ; l'absence de traitement de ce torticolis a engendré une plagiocéphalie à l'origine d'une déformation du crâne et de problèmes ORL qui ont nécessité le port d'un casque de remodelage crânien ;

- enfin, ils sollicitent une somme de 5 000 euros au titre des frais de procédure de première instance sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par lettre enregistrée le 15 décembre 2022, la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Charente-Maritime agissant pour le compte de la CPAM de Tulle a indiqué qu'elle n'a pas de créance à faire valoir.

Par un mémoire enregistré le 13 février 2022, l'Office national d'indemnisation

des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (ONIAM), représenté par la SELARL Birot, Ravaut et Associés, conclut à sa mise hors de cause et demande à la cour de mettre à la charge du centre hospitalier de Brive une somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- aucune demande n'est dirigée à son encontre, et c'est à bon droit que le tribunal l'a mis hors de cause ;

- dès lors que la responsabilité pour faute du centre hospitalier de Brive est engagée, les conditions d'une indemnisation au titre de la solidarité nationale ne sont pas réunies ;

- en tout état de cause, la trisomie 21 et le torticolis congénital ne résultent pas d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins ; l'enfant est née par voie basse et aucun acte médical n'a été pratiqué ;

Par un mémoire en défense enregistré le 11 avril 2024, le centre hospitalier de Brive, représenté par la SELARL Le Prado, Gilbert, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- si le délai de recours contentieux a été interrompu par la saisine de la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), il a recommencé à courir à la réception de la notification de l'avis de la CCI du 26 septembre 2019 dont la notification alléguée le 6 novembre 2019 n'a pas été justifiée, de sorte que la demande enregistrée le 6 janvier 2020 devant le tribunal était tardive ;

A titre subsidiaire :

En ce qui concerne l'absence de diagnostic prénatal de la trisomie 21 :

- le test de dépistage de trisomie 21 a été réalisé le 2 septembre 2017 conformément aux règles de l'art, et ses résultats ne plaçaient pas Mme E... dans une population à risque ; les échographies réalisées durant la grossesse n'ont pas montré d'anomalies morphologiques du fœtus, notamment une nuque épaisse, susceptibles de constituer un signe d'appel pour approfondir les investigations ; les experts ont précisé que le retard de croissance observé à la troisième échographie n'était pas un signe évocateur de trisomie 21 mais plutôt de souffrance fœtale chronique, laquelle a donné lieu à une surveillance régulière ;

- à supposer que Mme E... ait fait part de ses antécédents familiaux, rien ne justifiait la recommandation d'un conseil génétique en début de grossesse, dès lors qu'à l'issue de la recherche des marqueurs prédictifs, le risque a été évalué le 2 septembre 2017 à 1 / 2 790, très inférieur à celui de 1 / 250 indiqué pour la pratique d'un test de DPNI ; il n'y avait donc aucune indication à recommander d'autres examens, en particulier une amniocentèse ; l'absence de conseil génétique en début de grossesse ne saurait s'analyser comme une faute caractérisée par sa gravité et son intensité au sens de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles ;

- les appelants n'établissent pas qu'ils auraient signalé les antécédents familiaux de trisomie aux médecins, de même que l'anxiété de Mme E... à ce sujet ; rien ne permet de considérer que l'interrogatoire sur les antécédents familiaux n'aurait pas été réalisé, et au demeurant, ces antécédents uniquement déclaratifs sont incertains ; c'est à titre surabondant que le tribunal a constaté que la trisomie 21 dont A... est atteinte est sans lien avec des antécédents familiaux ;

- à supposer qu'une faute caractérisée ayant fait obstacle à la détection de la trisomie 21 puisse être retenue, il n'est certain ni que le diagnostic aurait pu être posé dès lors que le recours à une amniocentèse était risqué, ni que Mme E... et M. F... G... auraient alors décidé d'interrompre la grossesse, de sorte que la perte de chance de recourir à une IMG ne saurait excéder 30 % ;

En ce qui concerne le suivi psychologique :

- les manquements allégués n'ont pas été constatés par les experts et ne sont pas établis ;

En ce qui concerne l'absence de diagnostic d'un torticolis congénital :

- il ne ressort ni des pièces médicales, ni des photographies de A... à la naissance, que le centre hospitalier aurait commis une faute en ne relevant pas l'existence d'un torticolis dans les suites immédiates de la naissance, alors que celui-ci a été diagnostiqué un mois après la naissance selon les requérants ; au demeurant, l'existence de souffrances en lien avec un retard de diagnostic du torticolis n'est pas démontrée ;

A titre infiniment subsidiaire :

- la perte de chance d'avoir pu bénéficier d'un diagnostic anténatal et l'anxiété générée par le handicap de l'enfant constituent un même préjudice formulé de manière distincte, dont la réparation ne saurait excéder 4 000 euros après application du taux de perte de chance de 30 % ;

- l'existence d'un préjudice professionnel et d'une perte de chance d'évolution professionnelle en lien avec les fautes invoquées n'est pas établie, de même que celle d'un préjudice moral en raison d'un suivi psychologique défectueux, lequel n'a pas été retenu par les experts ;

- l'existence de souffrances endurées par l'enfant du fait d'un torticolis n'est pas davantage démontrée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., alors âgée de 23 ans, a présenté une première grossesse qui a été suivie par une sage-femme libérale et au centre hospitalier de Brive, où l'échographie de contrôle du troisième trimestre, réalisée le 22 janvier 2018, a fait apparaître un retard de croissance du fœtus. Elle a alors fait l'objet d'une surveillance à domicile deux fois par semaine par

la sage-femme, avec des contrôles échographiques et des enregistrements de la fréquence cardiaque fœtale les 30 janvier, 10 février, 14 février et 21 février 2018. A cette dernière date, Mme E... a été hospitalisée pour surveillance, et le travail a été déclenché

le 25 février au début du neuvième mois de grossesse en raison d'une hypotrophie du fœtus, d'un oligamnios et de dopplers utérins pathologiques. L'enfant, A... de G..., est née le 26 février 2018 avec un poids de 2 110 g et a été placée en couveuse. La pédiatre, appelée pour un aspect évoquant une trisomie 21, a confirmé ce diagnostic et a prévenu les parents, lesquels ont consenti à la réalisation d'un caryotype dont les résultats ont permis de confirmer une trisomie 21 " libre et homogène ".

2. Mme E... et son conjoint, M. de G..., estimant que l'absence de diagnostic prénatal de la trisomie 21 par le centre hospitalier de Brive était fautive, ont saisi la commission de conciliation et d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales (CCI), laquelle a confié la réalisation d'une expertise à un gynécologue obstétricien et un médecin spécialisé en génétique médicale. Si l'expertise, réalisée le 5 juillet 2019, a conclu que le dépistage de la trisomie 21 avait été effectué conformément aux règles de l'art et que le retard de croissance observé et surveillé à partir du troisième trimestre n'était pas un signe évocateur de cette anomalie génétique, elle précise que compte tenu d'antécédents familiaux de trisomie 21, l'absence d'un conseil génétique en début de grossesse et d'information sur l'existence d'un test de dépistage non invasif (DPNI) étaient constitutifs d'une perte de chance de diagnostic prénatal et de la possibilité de demander une interruption médicale de grossesse. Pour autant, par un avis du 26 septembre 2019, la CCI a estimé que le centre hospitalier de Brive n'avait pas commis de faute caractérisée dans le diagnostic prénatal. Mme E... et M. de G... ont alors saisi le tribunal administratif de Limoges d'une demande de condamnation du centre hospitalier de Brive à les indemniser des préjudices qu'ils estimaient avoir subis du fait de l'absence de diagnostic prénatal de la

trisomie 21 et d'un suivi psychologique défectueux lors de l'annonce du diagnostic, ainsi que des préjudices subis par l'enfant du fait d'une absence de diagnostic d'un torticolis congénital, ces derniers préjudices ayant donné lieu à une réclamation à l'hôpital en cours d'instance. Ils relèvent appel du jugement du 6 octobre 2022 par lequel le tribunal a rejeté l'ensemble de leurs demandes.

Sur l'absence de diagnostic prénatal de la trisomie 21 :

3. Aux termes de l'article L. 114-5 du code de l'action sociale et des familles : " Nul ne peut se prévaloir d'un préjudice du seul fait de sa naissance. / La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l'acte fautif a provoqué directement le handicap ou l'a aggravé, ou n'a pas permis de prendre les mesures susceptibles de l'atténuer. / Lorsque la responsabilité d'un professionnel ou d'un établissement de santé est engagée vis-à-vis des parents d'un enfant né avec un handicap non décelé pendant la grossesse à la suite d'une faute caractérisée, les parents peuvent demander une indemnité au titre de leur seul préjudice. (...). "

4. Il résulte de l'instruction, notamment des recommandations pour le dépistage non invasif des anomalies chromosomiques fœtales (DPNI) de l'Association des cytogénéticiens de langue française (ACLF) du 11 décembre 2015, que la fréquence de la trisomie 21 est d'environ une grossesse sur 700 en France, que le dépistage prénatal combiné mis en place en 2009 repose sur un calcul de probabilité tenant compte de l'âge maternel, de la mesure de la clarté nucale et du dosage des marqueurs sériques maternels (MSM), et que la découverte de l'ADN fœtal circulant dans le sang maternel, couplé à de nouvelles technologies de séquençage, a permis la mise en place de nouveaux tests non invasifs, en cours d'évaluation en 2015, de valeur prédictive positive de plus de 99 % pour la trisomie 21. Le diagnostic ne peut cependant être posé avec certitude qu'après la réalisation d'un caryotype fœtal à partir d'une ponction de liquide amniotique ou d'un prélèvement de villosités chondriales. Les experts ont souligné que ces gestes invasifs comportent un risque de fausse couche de l'ordre de 1 %, et ne doivent être pratiqués qu'en cas de signe d'appel (marqueurs plaçant la patiente dans une population à risque ou morphologie échographique de l'embryon évocatrice d'une anomalie chromosomique). Selon les recommandations de la Haute autorité de santé (HAS) de mai 2016 relatives au suivi et à l'orientation des femmes enceintes en fonction des situations à risque identifiées, le dépistage des anomalies chromosomiques fœtales du premier trimestre de la grossesse associe une mesure de la clarté nucale par échographie réalisée entre 11 et 13 semaines d'aménorrhée (SA) et 6 jours et un dosage des MSM. En mai 2017, la HAS a publié une recommandation " Place des tests ADN libre circulant dans le sang maternel dans le dépistage de la trisomie 21 fœtale ", préconisant qu'un tel test soit proposé à toutes les femmes enceintes dont le niveau de risque de trisomie 21 fœtale est compris entre 1/ 1 000 et 1/ 51 à l'issue du dépistage par dosage des marqueurs sériques, en insistant sur le fait que la procédure standard de ce dernier dépistage repose sur la mesure échographique de la clarté nucale et le dosage des marqueurs sériques du premier trimestre.

5. En l'occurrence, l'échographie du premier trimestre, réalisée le 31 août 2017,

à 11 semaines d'aménorrhée, a révélé que les premiers éléments de morphologie individualisés du fœtus s'avéraient normaux, et que la clarté nucale était de 1,95 mm (normalité jusqu'à 3,5 mm), ce qui ne pouvait laisser présager l'existence d'une trisomie 21. Le calcul du risque combiné, après un dosage des MSM réalisé sur un prélèvement du 2 septembre 2017, aboutissait d'ailleurs à un résultat de 1/ 2 790. Si les experts ont ainsi admis que ces marqueurs prédictifs ne plaçaient pas Mme E... dans une population à risque, ils ont toutefois reproché aux médecins du centre hospitalier de Brive de s'être " entièrement reposés sur le test de dépistage " sans avoir tenu compte des antécédents familiaux de trisomie 21 au sein de la famille

de Mme E..., alors que ceux-ci auraient dû les conduire à lui donner un conseil génétique et à l'informer de la possibilité de réaliser un DPNI, test non invasif qui était déjà disponible dans certains laboratoires même s'il n'était pas encore remboursé. Cependant, et à supposer que Mme E... ait effectivement informé les soignants de ses antécédents familiaux, si l'absence d'information concernant la possibilité pour cette dernière de recourir à un test DPNI à ses frais constitue une erreur imputable au centre hospitalier, elle ne saurait présenter le caractère d'une faute caractérisée dès lors que le risque de trisomie 21 à l'issue du dépistage par dosage des marqueurs sériques était très inférieur à celui de 1 / 1 000 en deçà duquel l'HAS recommandait, depuis mai 2017, de proposer ce test.

Sur les autres fautes invoquées :

6. Aux termes de l'article L. 1142-1 du code de la santé publique : " I. - Hors le cas où leur responsabilité est encourue en raison d'un défaut d'un produit de santé, les professionnels de santé mentionnés à la quatrième partie du présent code, ainsi que tout établissement, service ou organisme dans lesquels sont réalisés des actes individuels de prévention, de diagnostic ou de soins ne sont responsables des conséquences dommageables d'actes de prévention, de diagnostic ou de soins qu'en cas de faute. / (...). "

En ce qui concerne le défaut de suivi psychologique :

7. L'expertise se borne à relever que Mme E... et son compagnon ont été vus par la psychiatre du centre hospitalier, à laquelle ils reprochent une annonce brutale de l'état de l'enfant et " de leur avoir proposé d'emblée et sans ménagement de confier leur enfant à l'adoption ". La circonstance que la seule solution proposée aux appelants pour soulager leur souffrance aurait été, selon eux, l'abandon de leur enfant ne saurait constituer une faute de nature à engager la responsabilité de l'hôpital, alors que les recommandations de l'ACLF

du 11 décembre 2015 rappellent qu'il est du devoir des professionnels de santé d'informer les parents sur les possibilités de prise en charge de l'enfant atteint de trisomie 21, y compris l'abandon. La manière dont l'annonce leur a été faite n'est pas documentée, et le choc psychologique résulte principalement du handicap de l'enfant. En outre, l'absence de suivi psychologique avant la naissance n'est pas davantage constitutive d'une faute alors qu'aucun élément ne permettait d'envisager que l'enfant serait atteinte d'une trisomie 21.

En ce qui concerne l'absence de diagnostic d'un torticolis congénital :

8. Mme E... et M. F... G... reprochent au centre hospitalier un défaut de diagnostic d'un torticolis congénital qui aurait empêché A... de s'alimenter et de dormir correctement durant plus de cinq mois. Ils produisent une photographie de l'enfant peu après la naissance ainsi que le courrier d'un médecin consulté le 1er août 2018 pour une plagiocéphalie droite très marquée, évoquant " un torticolis qui a peut-être été débloqué " et des difficultés à tourner la tête à gauche. Par ailleurs, l'expertise cite la lettre d'une psychomotricienne du 17 octobre 2018 indiquant qu'à l'âge de huit mois, A... présentait " une déviation de la tête du côté gauche suite à un torticolis congénital ". Ces seuls éléments ne suffisent toutefois pas à établir que le centre hospitalier de Brive aurait commis une faute en ne diagnostiquant pas à la naissance de l'enfant un torticolis congénital, dont les conséquences ne semblent pas avoir été remarquées avant l'âge de cinq mois. Par suite, les conclusions présentées au nom de A... ne peuvent en tout état de cause qu'être rejetées.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée en défense, que Mme E... et M. de G... ne sont pas fondés à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté leur demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

10. Mme E... et M. de G..., qui sont la partie perdante, ne sont pas fondés à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Le centre hospitalier de Brive n'étant pas la partie perdante, la demande de l'ONIAM tendant à ce qu'il soit condamné à lui verser une somme au titre des frais qu'il a exposés à l'occasion du présent litige ne peut qu'être également rejetée.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... et M. de G... est rejetée.

Article 2 : L'ONIAM est mis hors de cause.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'ONIAM au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... E..., à M. C... de G..., au centre hospitalier de Brive, à l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux, des affections iatrogènes et des infections nosocomiales et à la caisse primaire d'assurance maladie de la Charente-Maritime.

Délibéré après l'audience du 25 mars 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,

M. Nicolas Normand, président-assesseur.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 avril 2025.

La rapporteure,

Sabrina B...La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX03019


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX03019
Date de la décision : 16/04/2025
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Sabrina LADOIRE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SELARL BIROT - RAVAUT ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 20/04/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-04-16;22bx03019 ?
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