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28/05/2025 | FRANCE | N°23BX00226

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 28 mai 2025, 23BX00226


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... D... veuve E... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 15 mars 2022 par laquelle l'Etablissement public de santé mentale (EPSM) de la Guadeloupe l'a suspendue de ses fonctions sans rémunération à compter du 21 mars 2022 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la Covid 19.



Par un jugement n° 2200495 du 22 novembre 2022, le tribunal a rejeté sa de

mande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 23 janvier ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D... veuve E... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 15 mars 2022 par laquelle l'Etablissement public de santé mentale (EPSM) de la Guadeloupe l'a suspendue de ses fonctions sans rémunération à compter du 21 mars 2022 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la Covid 19.

Par un jugement n° 2200495 du 22 novembre 2022, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 23 janvier 2023 et un mémoire enregistré le

13 juillet 2023, Mme D..., représentée par la SELARL Roland Ezelin, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 22 novembre 2022 du tribunal administratif de la Guadeloupe ;

2°) d'annuler la décision du 15 mars 2022 de l'EPSM de la Guadeloupe ;

3°) de mettre à la charge de l'EPSM de la Guadeloupe une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- seul le directeur de l'établissement est compétent en matière disciplinaire, de sorte que M. B..., signataire de la décision, ne peut se prévaloir d'une délégation régulière ;

- la décision lui reproche de ne pas avoir fourni un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination sans même faire allusion au certificat de rétablissement, alors qu'aucun élément ne permet de vérifier qu'une mise en demeure visant tous ces éléments lui aurait été adressée ; la mise en demeure est essentielle en raison de la nature de l'acte, qui s'apparente à une sanction ;

- la " note DGOS " relative à la mise en œuvre de l'obligation vaccinale prévoyant qu'un professionnel suspendu depuis trois journées de travail doit être convoqué par l'employeur afin d'échanger sur sa situation n'a pas été respectée, de même que la note du directeur de l'EPSM du 20 octobre 2021 informant qu'aucune demande de congé ne serait autorisée pour le mois de novembre si elle n'avait pas été planifiée avant le 30 septembre 2021 ;

- il n'y a eu ni entretien, ni proposition de prendre des congés ; ses premiers jours de congé devaient débuter en avril, mais elle n'a pas pu les poser du fait de sa suspension à compter du 21 mars 2022 ;

- dès lors qu'elle avait des fonctions administratives, le télétravail aurait pu lui être proposé ;

- elle justifie avoir effectué un examen sérologique qu'elle a adressé au médecin du travail et à son employeur, et avoir informé son employeur de sa situation ; cette sérologie équivalait à une " situation vaccinale " ;

- elle dispose d'une décharge d'activité syndicale le jeudi et de 15 heures par mois dans le cadre du CHSCT ;

- la suspension de fonctions, qui a des conséquences économiques graves pour

elle-même et l'ensemble de sa famille, n'est pas justifiée par la protection générale de la santé publique, dès lors qu'elle n'est pas en contact direct avec les patients et que plusieurs centres hospitaliers sont en train de rappeler le personnel suspendu dans le cadre du " plan blanc " qui est ou ne tardera pas à être en vigueur dans l'ensemble des structures hospitalières de la Guadeloupe.

Par un mémoire en défense enregistré le 30 mai 2023, l'EPSM de la Guadeloupe, représenté par Me Albina Collidor, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de Mme D... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- alors que Mme D... avait transmis un certificat de rétablissement le 5 août 2021, il a pris par erreur une première décision de suspension le 27 octobre 2021, qu'il n'a pas maintenue ; la validité de ce certificat ayant expiré le 21 février 2022, il a adressé une mise en demeure à l'intéressée par courrier du 18 janvier 2022 avec un délai jusqu'au 31 janvier pour régulariser sa situation, ce qu'elle n'a pas fait ;

- la décision n'a pas de caractère disciplinaire, et M. B... était compétent en vertu d'une délégation de pouvoir et de signature du 16 mars 2020 ;

- si Mme D... soutient qu'elle n'aurait pas reçu la mise en demeure, elle était informée de l'obligation de présenter un schéma vaccinal complet par les notes de service diffusées à l'ensemble des agents, les courriers adressés aux salariés et par le fait qu'elle avait déjà attaqué la décision du 27 octobre 2021 devant le tribunal administratif ;

- la circonstance que Mme D... ne serait pas en contact avec les malades est sans incidence dès lors qu'elle est en contact avec des personnels soignants ;

- Mme D..., qui s'est déclarée en grève en octobre 2021 et n'a jamais repris ses fonctions depuis lors pour ce motif, ne pouvait faire valoir des droits à congés ; c'est ainsi à bon droit que le tribunal a jugé que l'EPSM se trouvait en situation de compétence liée pour la suspendre de ses fonctions.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 ;

- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme C...,

- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Alors que Mme D..., assistante médico-administrative titulaire, lui avait transmis en août 2021 un certificat de rétablissement de la Covid 19 lui permettant d'exercer temporairement ses fonctions sans être vaccinée, l'Etablissement public de santé mentale (EPSM) de la Guadeloupe a pris, par erreur, à l'encontre de l'intéressée, le 27 octobre 2021, une première décision de suspension de ses fonctions sans rémunération à compter du 5 novembre 2021. Le juge des référés du tribunal administratif de la Guadeloupe en a suspendu l'exécution par une décision n° 2101710 du 19 janvier 2022. Ultérieurement, par un jugement n° 2101709 du 21 juin 2022, cette juridiction a annulé la suspension de fonctions de l'intéressée en tant qu'elle portait sur la période du 5 novembre 2021 à la fin de validité du certificat de rétablissement. Par lettre du 18 janvier 2022, le directeur de l'EPSM a indiqué à Mme D... que la validité de son certificat de rétablissement était arrivée à terme le 14 janvier, et l'a invitée à lui transmettre au plus tard le 31 janvier un schéma vaccinal partiel ou complet ou un certificat de contre-indication à la vaccination. Par lettre du 31 janvier 2022, Mme D... lui a répondu que la sérologie réalisée le même jour démontrait qu'elle disposait encore d'une forte immunité équivalente à une vaccination. Par une décision du 15 mars 2022, le directeur de l'EPSM l'a suspendue de ses fonctions sans rémunération. Mme D... relève appel du jugement du

22 novembre 2022 par lequel le tribunal administratif de la Guadeloupe a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

2. Aux termes de l'article 12 de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire : " I. Doivent être vaccinés, sauf contre-indication médicale reconnue, contre

la covid-19 : / 1° Les personnes exerçant leur activité dans : / a) Les établissements de santé mentionnés à l'article L. 6111-1 du code de la santé publique (...). " Aux termes de l'article 13 de la même loi : " I. -Les personnes mentionnées au I de l'article 12 établissent : / 1° Satisfaire à l'obligation de vaccination en présentant le certificat de statut vaccinal prévu au second alinéa du II du même article 12. / Par dérogation au premier alinéa du présent 1°, peut être présenté, pour sa durée de validité, le certificat de rétablissement prévu au second alinéa du II de

l'article 12. (...) / (...) / 2° Ne pas être soumises à cette obligation en présentant un certificat médical de contre-indication. Ce certificat peut, le cas échéant, comprendre une date de validité. / (...). " Aux termes de l'article 14 de cette loi : " I. / (...) / B. - A compter du 15 septembre 2021, les personnes mentionnées au I de l'article 12 ne peuvent plus exercer leur activité si elles n'ont pas présenté les documents mentionnés au I de l'article 13 ou, à défaut, le justificatif de l'administration des doses de vaccins requises par le décret mentionné au II de l'article 12. / (...) / III. - Lorsque l'employeur constate qu'un agent public ne peut plus exercer son activité en application du I, il l'informe sans délai des conséquences qu'emporte cette interdiction d'exercer sur son emploi ainsi que des moyens de régulariser sa situation. L'agent public qui fait l'objet d'une interdiction d'exercer peut utiliser, avec l'accord de son employeur, des jours de congés payés. A défaut, il est suspendu de ses fonctions ou de son contrat de travail. / La suspension mentionnée au premier alinéa du présent III, qui s'accompagne de l'interruption du versement de la rémunération, prend fin dès que l'agent public remplit les conditions nécessaires à l'exercice de son activité prévues au I. / Elle ne peut être assimilée à une période de travail effectif pour la détermination de la durée des congés payés ainsi que pour les droits acquis par l'agent public au titre de son ancienneté. Pendant cette suspension, l'agent public conserve le bénéfice des garanties de protection sociale complémentaire auxquelles il a souscrit. / (...). ".

3. Si les actes administratifs doivent être pris selon les formes et conformément aux procédures prévues par les lois et règlements, un vice affectant le déroulement d'une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n'est de nature à entacher d'illégalité la décision prise que s'il ressort des pièces du dossier qu'il a été susceptible d'exercer, en l'espèce, une influence sur le sens de la décision prise ou qu'il a privé les intéressés d'une garantie.

4. Il résulte des dispositions du III de l'article 14 de la loi du 5 août 2021 que l'utilisation de jours de congés avec l'accord de l'employeur permet de retarder la date d'effet de la suspension, ce qui permet de laisser à l'agent un délai supplémentaire pour régulariser sa situation au regard de l'obligation vaccinale ainsi que de prolonger son droit à la rémunération et aux autres avantages de la position d'activité au-delà de la date à laquelle il se trouve en situation de ne plus pouvoir exercer son activité. La mise en œuvre de cette possibilité, qui constitue une modalité de régularisation de la situation de l'agent, même si elle est temporaire, implique qu'une demande soit présentée à l'employeur avant la date d'effet de la suspension.

5. Il ressort des pièces du dossier que si, par courrier du 18 janvier 2022,

Mme D... a été informée qu'à défaut de communiquer un schéma vaccinal ou un certificat de contre-indication à la vaccination, elle ferait l'objet d'une interdiction d'exercer ses fonctions qui s'accompagnerait d'une interruption de sa rémunération, cette lettre ne lui indiquait pas qu'il lui était loisible de mobiliser des jours de congés pour régulariser sa situation ou différer la date d'effet de sa suspension. Par ailleurs, cette possibilité n'était pas davantage mentionnée dans les notes de service publiées par le centre hospitalier et versées au présent dossier. Ce défaut d'information a privé l'agent d'une garantie, ce qui entache d'illégalité la décision du 15 mars 2022 par laquelle le centre hospitalier l'a suspendue de ses fonctions.

6. Il résulte de ce qui précède que Mme D..., qui indique sans être contredite que ses congés devaient débuter en avril et qu'elle n'a pu les poser du fait de sa suspension, est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 15 mars 2022.

7. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etablissement public de santé mentale (EPSM) de la Guadeloupe une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Cet établissement, qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme au titre de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : La décision du 15 mars 2022 par laquelle le directeur de l'Etablissement public de santé mentale (EPSM) de la Guadeloupe a suspendu Mme D... de ses fonctions sans rémunération et le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2200495 du

22 novembre 2022 sont annulés.

Article 2 : L'EPSM de la Guadeloupe versera à Mme D... une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions présentées par l'EPSM de la Guadeloupe au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... D... veuve E... et à l'Etablissement public de santé mentale de la Guadeloupe.

Délibéré après l'audience du 6 mai 2025 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,

M. Antoine Rives, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2025.

La rapporteure,

Sabrina C...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX00226


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX00226
Date de la décision : 28/05/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Sabrina LADOIRE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SCP EZELIN DIONE

Origine de la décision
Date de l'import : 01/06/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-05-28;23bx00226 ?
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