Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de la Guadeloupe d'annuler la décision du 8 juin 2022 par laquelle le directeur général du centre hospitalier universitaire (CHU) de la Guadeloupe l'a suspendue de ses fonctions sans rémunération à compter du
15 janvier 2022, jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication ou de rétablissement de la Covid 19, et d'enjoindre au CHU de la réintégrer et de lui verser ses salaires à compter du 15 janvier 2022.
Par un jugement n° 2200828 du 24 janvier 2023, le tribunal a annulé la décision du
8 juin 2022 en tant qu'elle prend effet du 15 janvier au 8 juin 2022, et a rejeté le surplus de la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2023 et un mémoire enregistré le
11 décembre 2024, le CHU de la Guadeloupe, représenté par la SELARL Minier, Maugendre et Associées, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en ce qu'il a partiellement annulé la décision du
24 janvier 2023 et de rejeter la demande de Mme A... ;
2°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- Mme A... a été suspendue de ses fonctions à compter du 3 novembre 2021 par une décision du 26 octobre 2021 ; en raison de son inscription dans le dispositif " Ecoute et Parole ", elle a été placée en autorisation spéciale d'absence du 30 décembre 2021 au 13 janvier 2022 par une décision du 3 février 2022, laquelle a remis en vigueur la suspension à compter du
14 janvier 2022 ; la décision du 8 juin 2022 était ainsi confirmative de la décision initiale du
26 octobre 2021, ou à tout le moins de celle du 3 février 2022, et la demande présentée par l'intéressée devant le tribunal était irrecevable ;
A titre subsidiaire :
- Mme A... n'est pas recevable à contester les motifs retenus par les premiers juges pour rejeter à l'article 3 du jugement ses conclusions tendant à l'annulation totale de la décision, alors que le centre hospitalier n'a relevé appel que sur l'article 1er ; au demeurant, le moyen tiré de l'atteinte à sa situation sociale était inopérant comme l'a jugé le tribunal ;
- à l'issue du dispositif " Ecoute et Parole ", il était tenu de suspendre l'agent qui ne produisait pas les justificatifs sollicités, et la fixation d'une date butoir pour la production de justificatifs impliquait nécessairement que la décision de suspension ait une portée rétroactive ; dans un cas de retrait des décisions initiales de suspension, la cour administrative d'appel de Nantes a admis que la nouvelle suspension avait pour objet de permettre la régularisation de la situation des agents à la fin de leur congé de maladie dès lors qu'ils ne remplissaient pas l'obligation vaccinale lors de la reprise de leurs fonctions ; alors que la suspension initiale avait été temporairement levée, la décision du 8 juin 2022 avec effet à compter du 15 janvier 2022, date à laquelle le dispositif " Ecoute et Parole " a pris fin, n'avait pour objet que de permettre la régularisation de la situation de Mme A... ; c'est ainsi à tort que le tribunal a annulé la décision du 8 juin 2022 en tant qu'elle portait sur la période du 15 janvier au 8 juin 2022 ;
- Mme A..., qui ne s'est plus présentée au travail durant plusieurs mois, a cessé de percevoir son traitement et bénéficié du dispositif " Ecoute et Parole " ; elle avait connaissance de l'obligation vaccinale et de sa suspension à compter du 3 novembre 2021 ;
- ni la décision contestée, ni la loi sur le fondement de laquelle elle a été prise ne contreviennent au pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, à la Charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne et à la Charte sociale européenne.
Par un mémoire en défense enregistré le 16 mai 2024, Mme A..., représentée par Me Devers, conclut au rejet de la requête, et par la voie de l'appel incident, à l'annulation totale de la décision attaquée et demande à la cour de mettre à la charge du CHU de la Guadeloupe une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- seule la décision du 8 juin 2022 lui ayant été notifiée, elle était recevable à la contester devant le tribunal ;
- le CHU n'avait pris à son encontre aucune décision de suspension avant celle du
8 juin 2022, laquelle ne constitue pas une régularisation ; au demeurant, elle ne pouvait anticiper cette décision car le CHU maintient en fonctions des agents ne bénéficiant pas d'un schéma vaccinal complet ;
- c'est à tort que le tribunal n'a pas fait droit au moyen tiré de l'atteinte portée à ses droits sociaux, en méconnaissance des articles 11 du Préambule de la Constitution de 1946,
11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, 34 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et 13 et 16 de la Charte sociale européenne, dès lors que l'absence de mesure de compensation est particulièrement inéquitable au regard du contexte de rejet majoritaire de la vaccination par les agents, du bilan du gouvernement en matière de santé publique en Guadeloupe et des fautes commises par les pouvoirs publics s'agissant de la Covid 19 et de la vaccination.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;
- la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme B...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de Me Neven, représentant le CHU de la Guadeloupe.
Considérant ce qui suit :
1. Par une décision du 26 octobre 2021, Mme A..., aide-soignante titulaire au CHU de la Guadeloupe, a été suspendue de ses fonctions sans rémunération à compter du 3 novembre 2021 jusqu'à la production d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination contre la Covid 19 ou d'un certificat de rétablissement, sur le fondement des dispositions de la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. Par décision
n° 2021-1071 du 25 novembre 2021 était en outre confirmée la décision de suspension initiale du 26 octobre. Mme A... a finalement participé au dispositif " Ecoute et Parole " mis en place afin de tenter de convaincre les agents ne respectant pas l'obligation vaccinale de se mettre en conformité avec la loi, en contrepartie d'un rétablissement temporaire de leur rémunération. A ce titre, elle a été placée en position d'autorisation spéciale d'absence du 30 décembre 2021 au
13 janvier 2022 par une décision du directeur des ressources humaines du 3 février 2022, laquelle lui précisait, en son article 2, que la décision de suspension précitée revenait en vigueur à compter du 14 janvier 2022 jusqu'à la production par l'intéressée d'un justificatif de vaccination ou de contre-indication à la vaccination. Mme A... a sollicité par un courrier-type, le 12 avril 2022, des précisions sur sa situation administrative. Le 8 juin 2022, le directeur des ressources humaines lui a adressé une décision formalisant sa suspension de ses fonctions sans rémunération à compter du 15 janvier 2022, jusqu'à la production des justificatifs précités.
Mme A... a contesté cette dernière décision devant le tribunal administratif de la Guadeloupe. Par un jugement du 24 janvier 2023 dont le CHU de la Guadeloupe relève appel, le tribunal, après avoir écarté les autres moyens de Mme A..., a jugé que la décision du 8 juin 2022 était entachée d'une rétroactivité illégale et l'a annulée en tant qu'elle portait sur la période du
15 janvier au 8 juin 2022.
Sur l'appel principal du CHU :
En ce qui concerne la recevabilité de la demande de première instance :
2. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que les décisions des 26 octobre 2021,
25 novembre 2021 et 3 février 2022 auraient été notifiées à Mme A.... Dans ces conditions, la décision du 8 juin 2022 dont l'intéressée a demandé l'annulation au tribunal administratif le
4 août 2022, ne présentait pas le caractère d'une décision confirmative de précédentes décisions qui seraient devenues définitives. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par le CHU de la Guadeloupe à la demande présentée par Mme A... doit être rejetée.
En ce qui concerne la légalité de la décision :
3. Les décisions administratives ne peuvent légalement disposer que pour l'avenir. S'agissant des décisions relatives à la carrière des fonctionnaires, l'administration ne peut, en dérogation à cette règle générale, leur conférer une portée rétroactive que dans la mesure nécessaire pour assurer la continuité de la carrière de l'agent intéressé ou procéder à la régularisation de sa situation.
4. En l'occurrence, le CHU de la Guadeloupe étant tenu de placer Mme A... en situation régulière, la circonstance que la décision du 8 juin 2022 prend effet à compter du
15 janvier 2022, date à laquelle Mme A... n'était plus en position d'autorisation spéciale d'absence, qui n'a pour objet que de permettre la régularisation de la situation de l'intéressée, en l'absence de vaccination, n'est pas de nature à entacher d'illégalité la décision contestée. Par suite, le CHU de la Guadeloupe est fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la mesure de suspension en tant qu'elle prend effet au
15 janvier 2022.
5. Il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... à l'encontre de la décision du
8 juin 2022.
Sur l'appel incident de Mme A... :
6. En premier lieu, le moyen tiré de ce que la loi du 5 août 2021 méconnaîtrait des principes constitutionnels ne peut être soulevé que dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité. En l'absence d'une telle question présentée par un mémoire distinct, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ne peut qu'être écarté.
7. En deuxième lieu, la méconnaissance des stipulations de l'article 11 du pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, qui ne produisent pas d'effet direct à l'égard des particuliers, ne peut être utilement invoquée.
8. En troisième lieu, aux termes de l'article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " 3. Afin de lutter contre l'exclusion sociale et la pauvreté, l'Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes selon les modalités établies par le droit communautaire et les législations et pratiques nationales ". Selon la partie I de la charte sociale européenne : " Les Parties contractantes reconnaissent comme objectif d'une politique qu'elles poursuivront par tous les moyens utiles sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l'exercice effectif des droits et principes suivants : (...) 13. Toute personne démunie de ressources suffisantes a droit à l'assistance sociale et médicale. 14. Toute personne a le droit de bénéficier de services sociaux qualifiés. "
9. En se bornant à soutenir que la décision en litige l'a privée de revenus, Mme A... n'établit pas que cette décision méconnaitrait, pour ce motif, les stipulations précitées, alors que la vaccination obligatoire est justifiée par des considérations de santé publique et qu'elle est proportionnée à l'objectif poursuivi.
10. En quatrième lieu, Mme A... ne saurait se prévaloir utilement du fait, au demeurant non établi, que le principe de la vaccination obligatoire n'aurait pas été appliqué à tous les agents du CHU.
11. En dernier lieu, la requérante évoque le contexte de rejet de la vaccination par les agents, le bilan du gouvernement en matière de santé publique en Guadeloupe, le comportement de l'Etat français à l'égard des territoires d'outre-mer et différentes fautes commises par les pouvoirs publics. Or, l'ensemble de ces éléments sont sans incidence sur la légalité de la décision en litige.
12. Il résulte de tout ce qui précède d'une part, que le CHU de la Guadeloupe est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé la mesure de suspension de Mme A... en tant qu'elle a pris effet du 14 janvier au
8 juin 2022 et a mis à sa charge une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, et d'autre part, que l'appel incident de Mme A... doit être rejeté.
Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :
13. Mme A..., qui est la partie perdante, n'est pas fondée à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Ses conclusions relatives à des dépens inexistants ne peuvent qu'être également rejetées.
14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par le CHU de la Guadeloupe sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de la Guadeloupe n° 2200828 du
24 janvier 2023 est annulé en tant qu'il a annulé la suspension de fonctions sans rémunération de Mme A... pour la période du 15 janvier au 8 juin 2022 et qu'il a mis à la charge du CHU de la Guadeloupe une somme de 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au centre hospitalier universitaire de la Guadeloupe et à
Mme C... A....
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2025.
La rapporteure,
Sabrina B...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, de la solidarité et des familles en ce qui la concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX01022