Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... E... a demandé au tribunal des pensions d'annuler la décision du 5 mai 2015 par laquelle le ministre de la défense a refusé de réviser sa pension militaire d'invalidité pour tenir compte d'une nouvelle infirmité d'état de stress post-traumatique. Le tribunal des pensions a ordonné le 25 février 2016 un sursis à statuer dans l'attente de l'issue d'une procédure pénale initiée par M. E... pour harcèlement moral. La requête a été transmise au tribunal administratif de Pau en application du décret du 28 décembre 2018.
Par un jugement n° 1902579 du 1er mars 2023, le tribunal administratif de Pau a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 27 avril 2023 et des mémoires enregistrés le 3 décembre 2024 et le 6 février 2025, M. E..., représenté par la SELARL MDMH (Me Moumni) demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du ministre de la défense du 5 mai 2015 ;
3°) de fixer le taux de l'infirmité d'état de stress post-traumatique à 60 % et d'enjoindre au ministre de le rétablir dans ses droits, sous astreinte de 500 euros par jour de retard passé un délai de deux mois à compter du prononcé de l'arrêt ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
- le jugement devra être confirmé en ce qu'il a retenu, à la suite de l'expert, l'imputabilité au service du syndrome anxiodépressif qu'il a développé à compter de 2012, en l'absence de tout antécédent psychologique ou psychiatrique ;
- en revanche, il devra être infirmé en ce qu'il retient un taux d'invalidité de 20 % exclusif d'un droit à pension ; l'expertise réglementaire est pauvre et ne tient pas compte de la fréquence et de l'intensité des symptômes ; les deux avis qu'il a demandés par la suite, à peu près contemporains, permettent de compléter la description des symptômes et de démontrer la sous-estimation des lourdes séquelles dont il est atteint, en raison des projections douloureuses des évènements traumatisants, des troubles du sommeil et des fluctuations comportementales du fait de la dépression, et qui lui ont valu d'être réformé le 2 mars 2021 pour inaptitude totale et définitive après 16 périodes de congé de longue durée pour maladie ; le docteur B... estime ses troubles " modérés à intenses ", ce qui correspond selon le barème à un taux d'invalidité entre 40 et 60 % ; selon l'arrêté du 29 mars 2021 relatif à la détermination du profil médical d'aptitude en cas de pathologie médicale chirurgicale, le coefficient 4 " attribué au sigle P par le médecin des hôpitaux des armées spécialiste en psychiatrie indique une inaptitude définitive à servir en raison de troubles psychopathologiques, ou de troubles importants de la personnalité ou de l'adaptation " et seul le coefficient 5 est plus grave ; par ailleurs, le guide-barème n'est pas relatif aux seuls troubles psychiques de guerre et le ministre ne propose aucun autre référentiel ;
- ainsi que le soulève le ministre, le tribunal a commis une erreur de droit et une erreur d'appréciation en exigeant un taux de 40 % indemnisable, alors que le taux d'invalidité de 20 % s'ajoutant à celui de 40 % déjà obtenu, le taux global dépasse le taux indemnisable de 30 % pour une maladie associée à une blessure.
Par des mémoires en défense enregistrés les 3 octobre 2024, 7 janvier 2025 et 10 février 2025, le ministre des armées conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir que :
- le tribunal a commis une erreur de droit, dès lors que le taux de 20 % qu'il a retenu, associé au taux de 40 % déjà obtenu pour séquelles de hernie discale résultant de blessure, atteint le taux de 30 % requis par l'article L 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre alors en vigueur pour ouvrir droit à pension ;
- c'est à bon droit que le tribunal s'est placé à la date de la demande de M. E... et a écarté les phénomènes survenus postérieurement, notamment le traitement pour agressivité introduit en décembre 2014 ; au demeurant, le Dr A... avait bien noté que l'intéressé était " irritable " dans son expertise de décembre 2014 ;
- le requérant ne souffre pas de troubles psychiques de guerre au sens du guide barème, qui ne lui est donc pas applicable ; les ordonnances postérieures à sa demande ne sont pas de nature à remettre en cause le taux de 20 % justement retenu pour sa maladie ;
- cependant le tribunal n'a pas clairement reconnu l'imputabilité de l'affection au service, et aucune preuve n'existe en ce sens alors que M. E... reconnaît que la condamnation pénale de son supérieur hiérarchique a été annulée en appel ; la radiation des cadres n'étant pas intervenue au vu du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, elle ne constitue pas une preuve de l'imputabilité au service, laquelle ne peut résulter que d'un fait précis ou de circonstances particulières de service.
M. E... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 20 juin 2023.
Par ordonnance du 8 janvier 2025, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 février 2025 à 12h00 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- la loi n° 2018-607 du 13 juillet 2018 ;
- le décret n° 2018-1291 du 28 décembre 2018 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme C...,
- les conclusions de Mme Isoard, rapporteure publique,
- et les observations de M. E....
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., engagé en 1986 dans les sapeurs-pompiers de Paris, s'est vu allouer en 2008 une pension militaire d'invalidité au taux de 40 % pour des lombalgies et sciatalgies, séquelles de hernie discale à la suite d'une blessure. Par une demande enregistrée le 23 avril 2013, il a sollicité la révision de sa pension pour indemnisation d'une infirmité nouvelle, qu'il a intitulée " dépression suite à un harcèlement moral professionnel ". Par décision du 5 mai 2015, le ministre des armées a rejeté sa demande pour défaut de preuve de l'imputabilité au service. M. E... a contesté cette décision devant le tribunal des pensions militaires de Pau, lequel a transmis son recours au tribunal administratif de Pau en application de la loi du 13 juillet 2018 susvisée. Par un jugement du 1er mars 2023 dont M. E... relève appel, ce tribunal a rejeté sa demande.
Sur l'imputabilité au service :
2. Aux termes de l'article L. 2 du code des pensions militaires d'invalidité, dans sa rédaction alors applicable : " Ouvrent droit à pension : / 1° Les infirmités résultant de blessures reçues par la suite d'événements de guerre ou d'accidents éprouvés par le fait ou à l'occasion du service ; / 2° Les infirmités résultant de maladies contractées par le fait ou à l'occasion du service ; (...) ". Aux termes de l'article L. 3 de ce même code : " Lorsqu'il n'est pas possible d'administrer ni la preuve que l'infirmité ou l'aggravation résulte d'une des causes prévues à l'article L. 2, ni la preuve contraire, la présomption d'imputabilité bénéficie à l'intéressé (...). / La présomption définie au présent article s'applique exclusivement aux constatations faites, soit pendant le service accompli au cours de la guerre 1939-1945, soit au cours d'une expédition déclarée campagne de guerre, soit pendant le service accompli par les militaires pendant la durée légale, compte tenu des délais prévus aux précédents alinéas. (...) ". Il résulte de ces dispositions que, lorsque la présomption légale d'imputabilité ne peut être invoquée, l'intéressé doit apporter la preuve de l'existence d'une relation directe et certaine entre l'origine ou l'aggravation de son infirmité et une blessure reçue, un accident subi ou une maladie contractée par le fait du service. Cette preuve ne peut pas résulter de la seule circonstance que l'infirmité est apparue durant le service, d'une hypothèse médicale, d'une vraisemblance ou d'une probabilité ou encore des conditions générales du service. Dans les cas où sont en cause des troubles psychiques, il appartient aux juges du fond de prendre en considération l'ensemble des éléments du dossier permettant d'établir que ces troubles sont imputables à un fait précis ou à des circonstances particulières de service.
3. Il résulte de l'instruction que M. E..., qui exerçait des fonctions de mécanicien puis d'instructeur sur une base d'hélicoptères depuis décembre 2006, a rencontré début 2012 d'importantes difficultés relationnelles avec son chef de base, qui a obtenu la cessation de sa mise à disposition sur cette base. En raison d'un syndrome anxiodépressif réactionnel, il a bénéficié d'un arrêt maladie à compter de juillet 2012, suivi à compter du 6 janvier 2013 par des congés de longue durée pour maladie, régulièrement renouvelés jusqu'au 18 février 2021, date à laquelle un arrêté l'a radié des cadres pour inaptitude définitive " en raison d'infirmités survenues du fait ou à l'occasion du service ".
4. M. E... a été examiné par trois psychiatres, son psychiatre traitant depuis un évènement traumatique professionnel de février 2012, le Dr A... médecin désigné par l'administration, et le Dr B..., qu'il a consulté en 2015. Tous ont décrit des ruminations relatives à sa profession, des troubles du sommeil et de la libido, une asthénie et un repli sur soi avec sentiment de dévalorisation. Le psychiatre de l'hôpital d'instruction des armées Robert Picqué qui l'a renvoyé vers la commission de réforme en 2020 a également noté " une instabilité de l'humeur associée à d'intenses ruminations douloureuses à thématique professionnelle associées à un sentiment prévalent d'injustice et de non-reconnaissance ". En outre, l'expertise détaillée effectuée le 14 novembre 2016 par un psychologue clinicien dans le cadre de sa plainte devant la juridiction pénale pour harcèlement moral confirme et développe l'ensemble de ces symptômes en les mettant en relation avec le récit détaillé de l'intéressé sur les problèmes professionnels rencontrés, y ajoutant une somatisation des angoisses et des difficultés de concentration. La circonstance invoquée par le ministre que le jugement de condamnation en première instance de son chef de base ait été infirmé en appel reste sans incidence sur le lien, incontestablement établi par l'ensemble des pièces du dossier et les témoignages de proches cités par les médecins, entre le syndrome anxiodépressif dont souffre l'intéressé et le déroulement des événements professionnels qu'il a dénoncés, quelle que soit la qualification retenue par le juge pénal. Par suite, l'imputabilité à des événements et circonstances particulières de service de l'infirmité revendiquée est établie, comme l'a à bon droit reconnu le tribunal administratif en liant l'état dépressif à des problèmes professionnels, et le ministre ne peut utilement invoquer deux lignes du livret médical de 2004 pour soutenir que des précédents d'ordre psychologique anciens remettraient en cause ce lien.
Sur le taux d'invalidité :
5. Aux termes de l'article L. 6 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre applicable en l'espèce : " La pension militaire d'invalidité prévue par le présent code est attribuée sur demande de l'intéressé après examen, à son initiative, par une commission de réforme selon des modalités fixées par décret en Conseil d'Etat. L'entrée en jouissance est fixée à la date du dépôt de la demande. ". Il résulte de ces dispositions que l'administration doit se placer à la date de la demande de l'intéressé pour évaluer ses droits à révision de sa pension militaire d'invalidité. En l'espèce, la demande de révision a été réceptionnée par l'administration le 16 mai 2013.
6. Selon le guide-barème, les critères constitutifs de l'évaluation de l'invalidité pour les troubles psychiques sont la souffrance psychique, la répétition au sens psychopathologique par des troubles au long cours ou rémittents, la perte de la capacité relationnelle et le rétrécissement de la liberté existentielle. En outre, il y a lieu de tenir compte de la capacité de contrôle des affects et des actes, du degré de tolérance à l'angoisse et à la peur, de l'aptitude à différer les satisfactions et à tenir compte de l'expérience acquise, et des possibilités de créativité, d'orientation personnelle et de projet. L'absence de troubles décelables correspond à un taux de 0 %, les troubles légers à 20 % et les troubles modérés à intenses à 40 à 60 %.
7. Pour fixer à 20 % le taux d'invalidité de M. E..., l'expertise réglementaire du Dr A..., qui indique clairement que son état dépressif est réactionnel à des problèmes professionnels, a retenu une instabilité, des troubles du sommeil et de la libido, un sentiment de dévalorisation et une agoraphobie. Pour soutenir que cette évaluation était sous-estimée, M. E... ne peut utilement se prévaloir de l'aggravation de son état au début de décembre 2014 par l'apparition de pulsions agressives, qui a conduit son médecin à lui prescrire un antipsychotique, dès lors que cet élément est postérieur de plus d'un an à la date de sa demande. L'expertise qu'il a demandée à un expert judiciaire, ancien médecin militaire, qui propose un taux de 40 à 60 %, n'a été déposée qu'en avril 2015 et ne se place pas à la date de la demande. Si le requérant fait également valoir que son classement P4 et sa réforme définitive attestent de l'importance des troubles et de leur gravité, ces évènements survenus en 2021 ne sont pas davantage de nature à refléter son état en 2013. Dans ces conditions, aucun élément n'est de nature à remettre en cause le taux de 20 % retenu par l'expertise réglementaire.
Sur le droit à pension :
8. Aux termes de l'article L. 4 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, dans sa rédaction alors applicable : " Les pensions sont établies d'après le degré d'invalidité. / Sont prises en considération les infirmités entraînant une invalidité égale ou supérieure à 10 %. / Il est concédé une pension : 1° Au titre des infirmités résultant de blessures, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse 10 % ; 2° Au titre d'infirmités résultant de maladies associées à des infirmités résultant de blessures, si le degré total d'invalidité atteint ou dépasse 30 % ; 3° Au titre d'infirmité résultant exclusivement de maladie, si le degré d'invalidité qu'elles entraînent atteint ou dépasse : 30 % en cas d'infirmité unique ; 40 % en cas d'infirmités multiples. (...) ". Aux termes de l'article L. 14 du même code : "Dans le cas d'infirmités multiples dont aucune n'entraîne l'invalidité absolue, le taux d'invalidité est considéré intégralement pour l'infirmité la plus grave et pour chacune des infirmités supplémentaires, proportionnellement à la validité restante. A cet effet, les infirmités sont classées par ordre décroissant de taux d'invalidité. / Toutefois, quand l'infirmité principale est considérée comme entraînant une invalidité d'au moins 20 %, les degrés d'invalidité de chacune des infirmités supplémentaires sont élevés d'une, de deux ou de trois catégories, soit de 5, 10, 15 %, et ainsi de suite, suivant qu'elles occupent les deuxième, troisième, quatrième rangs dans la série décroissante de leur gravité ". "
9. M. E... étant déjà titulaire d'une pension au taux de 40 % au titre d'une blessure, la nouvelle maladie associée à cette blessure porte en tout état de cause son invalidité à un taux supérieur au minimum de 30 % fixé au 2° de l'article précité. Par suite, elle lui ouvre droit à pension. En application de l'article L. 14 du code des pensions militaires d'invalidité et des victimes de guerre, l'infirmité nouvelle au taux de 20 % doit en l'espèce être élevée d'une catégorie, et le taux de 25 %, appliqué à la validité restante de 60 % après prise en compte du taux de 40 % affectant l'infirmité déjà pensionnée, permet de retenir un supplément de 15 %. Le taux global doit ainsi être porté de 40 à 55 %.
10. Il résulte de ce qui précède que M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande. Par suite, il y a lieu d'annuler la décision du 5 mai 2015 et d'enjoindre au ministre des armées de lui reconnaître un droit à pension au taux global de 55 %. Dans les circonstances de l'espèce il n'y a pas lieu de prononcer une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros à verser à Me Moumni au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 1er mars 2023 du tribunal administratif de Pau et la décision du
5 mai 2015 du ministre de la défense sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre des armées de reconnaître l'invalidité pour syndrome anxiodépressif au taux de 20 % et de porter par suite le taux global de la pension de M. E... à 55 %.
Article 3 : L'Etat versera à Me Moumni une somme de 1 500 euros au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. E... est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... E... et au ministre des armées.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2025.
La présidente-assesseure
Sabrina LadoireLa présidente, rapporteure
Catherine C...
La greffière,
Virginie Guillout
La République mande et ordonne au ministre des armées en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 23BX01131