Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pendant d'une durée d'un an.
Par un jugement n° 2400318 du 28 mai 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 octobre 2024, Mme B..., représentée par
Me Da Ros, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 décembre 2023 ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour sur le fondement de l'article L.424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, subsidiairement, de procéder à un nouvel examen de sa situation et de lui délivrer dans cette attente une autorisation provisoire de séjour, dans un délai de huit jours à compter de la notification de l'arrêt, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de procéder à l'effacement de l'interdiction de retour dans le système d'information Schengen ;
5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros en application des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
En ce qui concerne le refus de titre de séjour :
- la décision est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît l'article L. 424-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet avait connaissance de sa situation maritale et du statut de réfugié accordé à son époux car il détenait la décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), qui en faisait état ; s'agissant d'une catégorie de titre de séjour délivré de plein droit, il lui appartenait d'examiner d'office sa situation au regard des dispositions de cet article et, dès lors qu'elle remplissait l'ensemble des conditions légales, le préfet était en situation de compétence liée pour faire droit à sa demande ;
- en tout état de cause, en précisant qu'elle ne remplit aucune des autres conditions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour pouvoir être admise au séjour à un autre titre, le préfet est réputé avoir examiné sa demande sur le fondement de l'article L. 424-3 ; c'est ainsi à tort que le tribunal a considéré qu'elle n'avait pas déposé une demande de titre de séjour sur un tel fondement ;
- elle méconnaît l'article L. 424-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; M. E... s'est marié avec elle postérieurement à l'introduction de sa demande d'asile et à son admission au séjour à ce titre ; ils étaient mariés depuis plus d'un an à la date de la décision attaquée, et ont eu un enfant le 30 août 2022 ; la communauté de vie est justifiée ; la mention selon laquelle M. E... se serait déclaré célibataire est vague, imprécise, et révèle un défaut d'examen de sa situation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ; au regard de sa situation de famille, c'est à tort que le tribunal a considéré qu'elle n'établissait pas l'ancienneté et la stabilité de sa relation maritale.
En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant de l'admettre au séjour ;
- dès lors qu'elle peut bénéficier d'une carte de résident de plein droit, en sa qualité de conjointe de réfugié, elle ne peut légalement faire l'objet d'une mesure d'éloignement ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est illégale du fait de l'illégalité de la décision refusant de l'admettre au séjour ;
- elle est insuffisamment motivée au regard des exigences résultant des articles
L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration et L.613-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le préfet ne pouvait pas légalement prononcer une telle mesure dès lors que sa situation la faisait relever de la catégorie des étrangers pouvant bénéficier d'un titre de séjour de plein droit ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales au regard de sa situation de famille et de la portée de cette décision, applicable sur l'ensemble du territoire Schengen ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ; sa motivation révèle en outre que sa situation n'a pas été examinée à l'aune de la durée de sa présence en France, de l'existence ou non d'une précédente mesure d'éloignement et de la menace à l'ordre public, en méconnaissance des articles L. 612-6 à L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
Par un mémoire en défense enregistré le 26 février 2025, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête. Il s'en rapporte à ses écritures de première instance, qu'il produit.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 juin 2024.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale des droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B..., ressortissante turque née le 10 mars 2003, a déclaré être entrée en France le 8 juillet 2021, en vue d'y solliciter l'asile. Par une décision du 11 avril 2023, l'Office français de protection des réfugiés et des apatrides a rejeté sa demande d'asile, cette décision ayant été confirmée par la Cour nationale du droit d'asile le 3 octobre 2023. Par un arrêté du 19 décembre 2023, le préfet de la Gironde a refusé de délivrer un titre de séjour à Mme B..., lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an. Mme B... relève appel du jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2400318 du 28 mai 2024 rejetant sa demande d'annulation de cet arrêté.
2. Aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant :
" Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale ".
3. Il ressort des pièces du dossier qu'après avoir contracté mariage à Lormont le
9 juin 2022 avec M. E..., compatriote turc titulaire d'une carte de réfugié délivrée le
19 février 2020, Mme B... a donné naissance à une enfant, A..., née à Bordeaux le
30 août 2022. M. E... a procédé le lendemain à la déclaration de naissance, la filiation à son égard ayant été établie par le mariage. En outre, il ressort de l'attestation rédigée par
M. E..., corroborée par les pièces de nature variée produites au dossier, certaines pour la première fois en appel, que celui-ci et Mme B... partagent une communauté de vie, au moins depuis le début du mois de juillet 2022 et qu'ils pourvoient conjointement à l'entretien et à l'éducation de leur enfant. Ainsi, l'exécution de la décision de refus de titre séjour en litige aurait pour effet soit de priver cette enfant de la présence de sa mère pour le cas où elle resterait en France aux côtés de son père, lequel a vocation à y demeurer eu égard à sa qualité de réfugié, soit de la présence de son père dans le cas inverse où elle accompagnerait sa mère en Turquie. Dans ces conditions, l'intérêt supérieur A... commande que Mme B... demeure sur le territoire français. Par suite, celle-ci est fondée à soutenir que la décision du 19 décembre 2023 du préfet de la Gironde refusant de lui délivrer un titre de séjour méconnaît l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête et sans que le préfet puisse utilement faire valoir que la naissance de l'enfant n'avait pas été portée à sa connaissance, que cette décision doit être annulée, ainsi que, par voie de conséquence, la décision faisant obligation à Mme B... de quitter le territoire français et celle fixant le pays de renvoi.
5. Eu égard au motif retenu, l'annulation de l'arrêté du préfet de la Gironde implique nécessairement que soit délivré à Mme B... un titre de séjour et qu'il soit mis fin à son inscription dans le système d'information Schengen. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet d'y procéder dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
6. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de Mme B... présentées sur le fondement des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DECIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Bordeaux n° 2400318 du 28 mai 2024 et l'arrêté du 19 décembre 2023 du préfet de la Gironde sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à Mme B... le titre de séjour sollicité et de faire procéder à l'effacement de son signalement dans le système d'information Schengen dans le délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B..., au ministre de l'intérieur et à
Me Mylène Da Ros. Copie en sera transmise pour information au préfet de la Gironde.
Délibéré après l'audience du 6 mai 2025 à laquelle siégeaient :
Mme Catherine Girault, présidente,
Mme Sabrina Ladoire, présidente-assesseure,
M. Antoine Rives, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 28 mai 2025.
Le rapporteur,
Antoine C...
La présidente,
Catherine GiraultLa greffière,
Virginie GuilloutLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
N° 24BX02589 2