Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... B... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2023 par lequel le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2402596 du 4 décembre 2024, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des pièces complémentaires, enregistrées les 8 et 22 janvier 2025, M. B... A..., représenté par Me Lassort, demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 4 décembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux ;
2°) d'annuler l'arrêté du 13 octobre 2023 du préfet de la Gironde ;
3°) d'enjoindre au préfet de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation, sous astreinte de 100 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Il soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour :
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation et a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de l'article 47 du code civil ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation et a été prise en méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant refus de délivrance d'un titre de séjour ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :
- elle est illégale en raison de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.
Par un mémoire en défense enregistré le 11 mars 2025, le préfet de la Gironde conclut au rejet de la requête. Il soutient que les moyens invoqués dans la requête sont infondés.
M. B... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 30 janvier 2025.
Par une ordonnance du 27 février 2025, la clôture d'instruction a été fixée au 15 avril 2025.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative ;
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. Vincent Bureau a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., ressortissant centrafricain déclarant être né le 17 avril 2004 et être entré irrégulièrement en France le 15 août 2020, a été confié aux services de l'aide sociale à l'enfance du département de la Gironde par une décision du juge des enfants du 24 septembre 2020. A sa majorité, il a bénéficié d'un contrat jeune majeur avec le département de la Gironde. Le 20 janvier 2023, il a sollicité la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par arrêté du 13 octobre 2023, le préfet de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination. M. B... A... relève appel du jugement du 4 décembre 2024 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. ".
3. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Selon les dispositions de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ".
5. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.
6. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de titre de séjour, M. B... A... a présenté un passeport centrafricain n° 000200764, un acte de naissance centrafricain et deux copies de jugements supplétifs centrafricains au vu desquels il serait né le 17 avril 2004 à Bangui (Centrafrique) sous l'identité de M. D... B... A.... Le préfet a considéré que les documents ainsi produits par M. B... A... au soutien de sa demande étaient entachés de fraude et que celui-ci ne justifiait pas de son identité, se fondant d'une part sur une consultation du fichier Visabio ayant permis de constater que l'intéressé aurait précédemment sollicité en mars 2020 un visa auprès des autorités consulaires françaises à Bangui en présentant un passeport au nom de M. A... C... né le 17 septembre 2000, et d'autre part sur un rapport d'analyse technique du 14 février 2023 établi par la cellule de lutte contre la fraude documentaire de la direction zonale sud-ouest de la police aux frontières, selon lequel si les documents produits sont formellement conformes, les copies de jugement supplétifs ne sont pas accompagnées du document original assurant leur authentification. Toutefois, cette seule circonstance ne peut suffire à invalider les documents produits par le requérant au soutien de sa demande qui n'ont pas été regardés comme irréguliers ou falsifiés par les services spécialisés de lutte contre la fraude documentaire. En outre, M. B... A... produit devant la cour un nouveau jugement supplétif daté du 17 décembre 2024 rectifiant une erreur matérielle sur l'identité de l'auteur de la demande des premiers jugements supplétifs en 2020, qui identifiait le père de l'intéressé alors qu'il était décédé depuis 2017. L'authenticité de ce jugement rectificatif n'est elle-même pas remise en cause par l'administration. Dans ces conditions, il ressort de l'ensemble des éléments produits par les parties que l'identité du requérant doit être regardée comme établie et qu'il justifie avoir été mineur lors de son entrée en France et, en particulier, avoir eu moins de seize ans lorsqu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance.
7. Il ressort également des pièces du dossier que M. B... A... justifie, par les certificats de scolarité et les attestations scolaires qu'il produit, du caractère réel et sérieux du suivi de la formation dans laquelle il s'est engagé, avec l'obtention en 2023 de son certificat d'aptitude professionnelle (CAP) spécialité agent de propreté et d'hygiène avec une moyenne générale de 14,76 et 16,33 en ce qui concerne les épreuves professionnelles. Il s'est également inscrit à un nouveau CAP spécialité assistant technique en milieu familial et collectif suite à cette obtention. En outre, il ressort de l'avis de sa structure d'accueil qu'il s'intègre au mieux dans la société française par le suivi rigoureux du parcours socio-professionnel qui lui est proposé. Enfin, bien qu'il conserve des liens avec sa mère, sa sœur et ses frères qui résident en Centrafrique, il soutient, sans être contredit, que son père a été assassiné en 2017 et avoir lui-même subi des sévices, qui ont motivé son départ en France. Dans ces circonstances, M. B... A..., qui remplit l'ensemble des conditions prévues par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour se voir délivrer un titre de séjour, est fondé à soutenir que la décision attaquée portant refus de séjour est entachée d'illégalité ainsi que, par voie de conséquence, celles portant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de renvoi.
8. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il besoin d'examiner les autres moyens de la requête, M. B... A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 octobre 2023 du préfet de la Gironde.
Sur les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
9. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure. ".
10. Le motif d'annulation de l'arrêté en litige retenu ci-dessus implique nécessairement qu'il soit prescrit au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... A... le titre de séjour sollicité sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. M. B... A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à Me Lassort sur ce fondement, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'État.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2402596 du 4 décembre 2024 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.
Article 2 : L'arrêté du préfet de la Gironde du 13 octobre 2023 est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. B... A... un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans le délai de deux mois suivant la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'État versera à Me Lassort la somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de M. B... A... est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... A..., au ministre de l'intérieur, au préfet de la Gironde et à Me Gabriel Lassort.
Délibéré après l'audience du 13 mai 2025, à laquelle siégeaient :
M. Laurent Pouget, président,
Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,
M. Vincent Bureau, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 3 juin 2025.
Le rapporteur,
Vincent Bureau
Le président,
Laurent Pouget
Le greffier,
Christophe Pelletier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
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N° 25BX00047