Vu les requêtes, enregistrées au greffe de la cour administrative d'appel de Douai sous les n° 01DA00910 et 01DA00911 le 10 septembre 2001, présentées pour M. René X, demeurant ..., Mme Monique Y, demeurant ... et l'association Les Anciens du Gabon et de l'Afrique Centrale et Orientale (LAGACO), dont le siège est Le Parnasse à Nice (06000), par Me Bessard du Parc, avocat ; les appelants demandent à la Cour :
1') d'annuler les jugements n° 9902090 et 9902091 du 28 juin 2001 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté, d'une part, leur demande dirigée contre la décision implicite du ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ayant rejeté leur demande d'indemnité et, d'autre part, leurs conclusions tendant à la condamnation de l'Etat à leur verser diverses sommes, majorées des intérêts de droit, en réparation de la diminution de la valeur de leur pension de retraite à la suite de la dévaluation du franc CFA ;
2') de condamner l'Etat à leur verser diverses sommes en réparation du préjudice actuel et futur qu'ils ont subi ;
Code D Classement CNIJ : 54-01-01-02
3°) de condamner l'Etat à leur verser chacun la somme de 8 000 francs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Les appelants font valoir qu'étant affiliés à un régime de retraite d'Etat africain partie à la convention de coopération monétaire entre les Etats membres de la Banque des Etats de l'Afrique centrale et la République française signée le 23 novembre 1972, ils sont fondés à engager la responsabilité sans faute de l'Etat français pour obtenir réparation du préjudice subi par la diminution de la valeur de leur pension de retraite du fait de la dévaluation du franc de la communauté financière africaine (franc CFA) ; que les différentes déclarations faites par le gouvernement français et les diverses mesures de compensation ou d'indemnisation mises en oeuvre au profit des fonctionnaires et des coopérants français ainsi que l'indemnité exceptionnelle versée partiellement aux retraités démontrent que l'Etat n'a pas entendu exclure dans l'application de la convention internationale susvisée toute indemnisation sur le terrain de la rupture de l'égalité devant les charges publiques ; qu'une indemnisation de leur préjudice n'est pas incompatible avec l'objet de la dévaluation qui vise essentiellement à redynamiser l'économie des pays africains intéressés ; que les différents motifs d'intérêt général invoqués par l'Etat pour justifier la dévaluation du franc CFA ne sont pas de nature à écarter sa responsabilité ; que la jurisprudence relevée par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas pertinente en l'espèce ; que, nonobstant les différentes catégories de personnes touchées par la dévaluation du franc CFA, seule la catégorie, dont les intéressés font partie, composée de retraités résidant désormais en France et dont la pension est libellée en francs CFA, subit un véritable préjudice spécial et anormal ; que le fait de diviser par deux les pensions de retraite constitue un grave préjudice pour les retraités ;
Vu les jugements attaqués ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2002, présenté par le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, qui demande à la Cour de rejeter la requête de M. X, de Mme Y et de l'association LAGACO ; il fait valoir que les appelants ne sont pas fondés à rechercher auprès de l'Etat français la réparation d'un préjudice qui émanerait de la décision de dévaluer le franc CFA prise par le conseil des ministres de l'union monétaire ouest-africaine (UMOA) instaurée par une convention internationale qui n'a pas été signée par la France et qui n'a donc pas été régulièrement incorporée dans l'ordre juridique interne français ; que, s'agissant des retraités résidant dans la zone de l'Afrique centrale, et à supposer que le préjudice qu'ils allèguent soit imputable à la décision du 11 janvier 1994, le Conseil d'Etat a toujours jugé que ne peuvent donner lieu à indemnisation les préjudices causés par l'érosion ou les dévaluations monétaires ; qu'il n'a jamais été envisagé par les auteurs de la dévaluation d'accorder une quelconque indemnisation pour les préjudices subis par les particuliers du fait de la dévaluation du franc CFA et que les requérants ne font état que de déclarations d'intention ; que l'objectif d'intérêt général que poursuit la décision de dévaluation c'est-à-dire reprise de l'investissement et de la croissance des pays de la zone franc, s'oppose à toute indemnisation nonobstant le fait que la dévaluation ne concerne pas la monnaie nationale française ; que le tribunal administratif a considéré, à juste titre, que les dommages subis par les requérants du fait de la dévaluation du franc CFA sont analogues à ceux qui ont été
subis par d'autres catégories de personnes et que le caractère spécial du dommage n'est pas établi ; que le préjudice anormalement grave allégué par les requérants ne saurait résulter du seul fait que la valeur de la monnaie a été divisée par deux ;
Vu les autres pièces des dossiers ;
Vu le décret n° 77-877 du 27 juillet 1977 et la convention annexée ;
Vu le décret n° 94-253 du 24 mars 1994 et la décision annexée ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 septembre 2003 où siégeaient M. Gipoulon, président de chambre, M. Nowak, premier conseiller et Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Eliot, conseiller,
- et les conclusions de M.Paganel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que les requêtes susvisées n° 01DA00910 et 01DA00911 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt ;
Considérant que, par une décision du 11 janvier 1994, le comité mixte chargé de mettre en oeuvre la convention de coopération monétaire entre les Etats- membres de la Banque des Etats de l'Afrique centrale et la République française signée à Brazzaville le 23 novembre 1972 a fixé la parité entre le franc de la coopération financière en Afrique centrale (franc CFA) et le franc français à 1 franc CFA pour 0,01 franc français à compter du 12 janvier 1994, alors que cette parité, telle qu'arrêtée par l'article XII de ladite convention, était jusqu'alors de 1 franc CFA pour 0,02 francs français ; que les appelants, titulaires d'une retraite libellée en franc CFA, mais versée en francs français après conversion, et résidant désormais en France, demandent la condamnation de l'Etat à les indemniser du préjudice actuel et futur résultant pour eux de la dévaluation du franc CFA ainsi décidée ;
Considérant que la responsabilité de l'Etat est susceptible d'être engagée, sur le fondement de l'égalité des citoyens devant les charges publiques, pour assurer la réparation de préjudices nés de conventions conclues par la France avec d'autres Etats, et incorporées régulièrement dans l'ordre juridique interne, à la condition, d'une part, que ni la convention elle-même ni la loi qui en a éventuellement autorisé la ratification ne puissent être interprétées comme ayant entendu exclure toute indemnisation et, d'autre part, que le préjudice dont il est demandé réparation soit d'une gravité suffisante et présente un caractère spécial ;
Considérant qu'eu égard à la généralité des effets de la décision de dévaluer le franc CFA et au nombre des personnes, dont les titulaires d'une retraite libellée en francs CFA, affectées par les conséquences de cette décision, le préjudice invoqué par les appelants ne présente pas un caractère spécial ; qu'il n'incombe donc pas à l'Etat d'en assurer, en tout état de cause, la réparation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que les appelants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par les jugements attaqués, le tribunal administratif de Lille a rejeté leur demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative susvisé : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens, ou, à défaut la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, soit condamné à payer aux appelants la somme qu'ils demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Les requêtes de M. René X, Mme Monique Y et de l'association LAGACO sont rejetées.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. René X, à Mme Monique Y, à l'association LAGACO et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie .
Délibéré à l'issue de l'audience publique du 30 septembre 2003 dans la même composition que celle visée ci-dessus.
Prononcé en audience publique le 14 octobre 2003.
Le rapporteur
Signé : A. Eliot
Le président de chambre
Signé : J.F. Gipoulon
Le greffier
Signé : G. Vandenberghe
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition conforme
Le greffier
G. Vandenberghe
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