Vu la requête, enregistrée le 5 mai 2000 au greffe de la cour administrative d'appel de Douai, présentée par Mme Marie-Louise X, demeurant ... et Mme Sophie X, demeurant ..., agissant en qualité d'ayants droit de M. René X, décédé ; Mmes X demandent à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 99-2977 du 24 février 2000 par lequel le magistrat délégué par le président du tribunal administratif de Lille, après avoir prononcé un non-lieu à statuer sur les conclusions de la demande de M. René X tendant à l'annulation de la décision implicite de rejet opposée par le commissaire central de Lille de prendre connaissance du dossier relatif à son internement de décembre 1985, a rejeté le surplus des conclusions de sa demande tendant à ce que le tribunal, d'une part, assortisse l'annulation de ladite décision d'une injonction sous astreinte et, d'autre part, condamne l'Etat au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
2°) d'annuler ladite décision du commissaire central de Lille ;
3°) de condamner l'Etat au paiement d'une astreinte de 500 francs par jour jusqu'à l'exécution du présent arrêt ;
Code C+ Classement CNIJ : 26-06-01-02-02
26-06-01-02-04
54-06-07-008
4°) de condamner l'Etat à leur verser la somme de 15 000 francs au titre de l'article L. 8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Mmes X soutiennent que, pour rejeter la requête de M. X, le tribunal administratif s'est fondé sur un moyen soulevé d'office relatif aux fins de non-recevoir opposées par le ministre sans en avoir informé préalablement le requérant contrairement aux dispositions de l'article R. 153-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ; que le tribunal, par le jugement attaqué, en mentionnant le terme et au lieu du terme ou , a méconnu la portée des dispositions de l'article 4 a) de la loi du 17 juillet 1978 ; que le tribunal a prononcé un non-lieu après exécution de la chose jugée sur un refus de communication de copies et en se fondant sur un arrêt du Conseil d'Etat du 22 janvier 1987 alors que la présente demande tendait à l'annulation d'un refus de consultation sur place ; que le tribunal a méconnu la portée de ladite décision du Conseil d'Etat ainsi que l'objet des conclusions de M. X ; que la consultation d'un document ne fait pas obstacle à une nouvelle demande de consultation ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu la mise en demeure implicite adressée le 17 mars 2003 au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative et l'avis de réception de cette mise en demeure ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978, modifiée par la loi du 11 juillet 1979 ;
Vu le décret n° 88-465 du 28 avril 1988 ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience,
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 octobre 2003 où siégeaient Mme de Segonzac, président de chambre, M. Berthoud, président-assesseur et M. Nowak, premier conseiller :
- le rapport de M. Berthoud, président-assesseur,
- et les conclusions de M. Michel, commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. X a demandé l'annulation de la décision implicite rejetant, malgré l'avis favorable, en date du 19 janvier 1999, de la commission d'accès aux documents administratifs, sa demande de consultation sur place de documents détenus par le commissariat central de Lille ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a regardé cette demande comme sans objet et estimé qu'il n'y avait pas lieu d'y statuer ;
Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre :
Considérant que, alors même que Mme Marie-Louise X, et sa fille Mme Sophie X, n'ont pas repris, après le décès de M. X, survenu le 3 novembre 1999, l'instance introduite par ce dernier le 3 août 1999 devant le tribunal administratif, elles sont recevables, en leur qualité d'héritières de M. X, à contester en appel le jugement prononçant un non-lieu à statuer sur cette demande ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. X aurait été effectivement mis à même, postérieurement à l'enregistrement de la demande qu'il a formée devant les premiers juges, de consulter sur place les documents en litige ; qu'ainsi, il ne pouvait être regardé comme ayant obtenu satisfaction en cours d'instance ; que, par suite, c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a prononcé un non-lieu à statuer sur sa demande ; que ledit jugement doit, dès lors, être annulé ;
Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée devant le tribunal administratif ;
Sur le refus opposé à la demande de consultation présentée par M. X :
Considérant qu'aux termes de l'article 2 du décret susvisé du 28 avril 1988 : Le silence gardé pendant plus d'un mois par l'autorité compétente saisie d'une demande de communication de documents en application du titre 1° de la loi du n° 78-753 du 17 juillet 1978 vaut décision de refus. En cas de refus exprès ou tacite, l'intéressé dispose d'un délai de deux mois à compter de la notification du refus ou de l'expiration du délai fixé au premier alinéa du présent article pour saisir la commission instituée à l'article 5 de la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 ; que la demande de communication adressée par M. X au commissariat central de Lille le 3 octobre 1998 a été reçue par ce dernier le 6 octobre 1998 ; que la décision implicite de refus opposée à cette demande est née un mois plus tard ; que M. X a saisi la commission d'accès aux documents administratifs le 18 décembre 1998, soit dans le délai de deux mois prévu par l'article 2 précité du décret du 28 avril 1988 ; qu'ainsi, contrairement à ce que soutenait le ministre en première instance, le délai de saisine de la commission a été respecté ;
Considérant qu'aux termes de l'article 4 de la loi du 17 juillet 1978 applicable à la date de la décision en litige : L'accès aux documents administratifs s'exerce : a) par consultation gratuite sur place (...) ; b) par délivrance de copies en un seul exemplaire, aux frais de la personne qui les sollicite ; qu'aux termes de l'article 6 bis de la même loi : Les personnes qui le demandent ont droit à la communication par les administrations mentionnées à l'article 2, des documents de caractère nominatif les concernant, sans que des motifs tirés du secret de la vie privée, du secret médical ou du secret en matière commerciale ou industrielle, portant exclusivement sur des faits qui leur sont personnels, puissent leur être opposé ;
Considérant que les documents administratifs en litige, qui avaient un caractère nominatif et concernaient M. X, étaient communicables à ce dernier ; que la demande de consultation sur place présentée par l'intéressé avait un objet distinct de sa précédente démarche, qui tendait principalement à la délivrance d'une copie de ces documents ; que l'obtention de cette copie par M. X ne pouvait, dès lors, légalement faire obstacle à ce qu'il fût admis, en application des dispositions précitées de la loi du 17 juillet 1978, à consulter lesdits documents au commissariat central de Lille ; qu'en rejetant implicitement la demande de consultation de M. X, l'autorité administrative a méconnu ces dispositions ; que sa décision de refus doit, par suite, être annulée ;
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public (...) prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit par la même décision cette mesure, assortie le cas échéant d'un délai d'exécution ; qu'aux termes de l'article L. 911-3 du même code : La juridiction peut assortir dans la même décision l'injonction prescrite en application des articles L. 911-1 et L. 911-2 d'une astreinte (...) dont elle fixe la date d'effet ;
Considérant que les documents nominatifs en litige concernent la seule personne de M. X, maintenant décédé ; que sa veuve et sa fille ne font état d'aucun droit patrimonial qui leur aurait été transmis par voie de succession, et qui serait lié à la communication de ces documents ; qu'elles n'allèguent pas davantage que ladite communication leur permettrait de défendre ou de faire respecter la mémoire du défunt dans un litige né ou à venir ; que, dans ces conditions, l'annulation du refus opposé par l'administration à M. X n'implique pas nécessairement qu'elles soient mises à même, en qualité d'ayants droit de ce dernier, de consulter les documents dont s'agit ; que leur demande tendant à ce que la Cour prescrive à l'administration, sous astreinte, de prendre les mesures nécessaires à une telle consultation doit, dès lors, être rejetée ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;
Considérant qu'en application des dispositions précitées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat, partie perdante, à verser à Mmes Marie-Louise et Sophie X une somme de 500 euros au titre des frais exposés par elles et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement susvisé, en date du 24 février 2000, du tribunal administratif de Lille est annulé.
Article 2 : La décision implicite de rejet de la demande de consultation présentée le 3 octobre 1998 par M. René X est annulée.
Article 3 : L'Etat versera à Mmes Marie-Louise et Sophie X la somme de 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mmes Marie-Louise et Sophie X est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mmes Marie-Louise X et Sophie X ainsi qu'au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
Copie sera transmise au préfet de la région Nord/Pas-de-Calais, préfet du Nord.
Délibéré à l'issue de l'audience publique du 7 octobre 2003 dans la même composition que celle visée ci-dessus.
Prononcé en audience publique le 21 octobre 2003.
Le rapporteur
Signé : J. Berthoud
Le président de chambre
Signé : M. de Segonzac
Le greffier
Signé : P. Lequien
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le Greffier
Philippe Lequien
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N°00DA00519