Vu la requête, enregistrée le 6 février 2004 et les mémoires ampliatifs en date des 19 mars et 14 avril 2004, au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentés pour le CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE (CHRU) DE LILLE, représenté par son directeur en exercice, sis 2 avenue Oscar Lambret à Lille (59000), par Me Le Prado ; le CHRU DE LILLE demande à la Cour :
1') d'annuler le jugement n° 01-249 en date du 18 novembre 2003 par lequel le Tribunal administratif de Lille l'a condamné d'une part à verser à M. Mohamed X la somme de
15 244,90 euros en réparation des préjudices subis consécutifs à l'infection nosocomiale dont il a été victime à la suite d'une intervention chirurgicale subie le 11 juin 1998 d'autre part, à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Lens, une indemnité de 10 167,04 euros au titre des débours qu'elle a exposés ;
2°) à titre principal, de rejeter les demandes indemnitaires présentées par M. X et par la caisse primaire d'assurance maladie de Lens à son encontre ;
3°) à titre subsidiaire, de limiter à de plus justes proportions les indemnités allouées à
M. X ;
Il soutient que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur les conclusions lapidaires et générales des docteurs Y et Z selon lesquelles M. X aurait été victime du bacille pyocyanique et ont fait abstraction des conclusions précises et circonstanciées du docteur A, expert commis par le tribunal administratif ; qu'en l'espèce, aucune des conditions pour que la responsabilité de l'hôpital public puisse être engagée sur le fondement d'une infection nosocomiale n'est remplie ; qu'en effet, l'origine de l'infection reste inconnue ; que le critère relatif à la rapidité du développement de la bactérie ne peut conduire à une seule et même conclusion ; que par ailleurs, les règles d'asepsie et d'hygiène ont été parfaitement respectées et que le lien de causalité entre la prétendue infection nosocomiale et le fait qu'elle aurait été contractée lors d'interventions subies au centre hospitalier n'est pas établi ; qu'enfin, il apparaît que le patient a été victime d'une auto contamination par ses propres germes à la suite de frottement de son oeil ; que si l'infection dont a été victime M. X a augmenté son incapacité partielle permanente de 25 %, la somme de
40 000 euros qui a été évaluée pour la réparation de ses troubles dans les conditions d'existence est excessive ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 26 avril 2004, présenté pour M. X, qui conclut au rejet de la requête et par la voie de l'appel incident, à la condamnation du CHRU DE LILLE à lui verser la somme de 43 750 euros en réparation des dommages qu'il a subis ; il soutient que l'hypothèse retenue selon laquelle l'origine de l'infection serait la perforation de la cornée par frottement et un manque d'hygiène de sa part ne peut être retenue dès lors qu'il est sorti de l'hôpital avec un pansement et a bénéficié dès l'apparition de ses premières douleurs d'un traitement antibiotique qui n'a pas eu d'effet sur l'infection ; que les experts soulignent qu'il n'était pas porteur de germe avant l'opération et que l'infection à l'origine de la perte de son oeil s'est déclarée rapidement ; que l'infection nosocomiale ne fait pas de doute, et qu'en tout état de cause, il appartenait au centre hospitalier de prendre toutes précautions pour éviter que l'oeil ne soit contaminé ; que l'hypothèse la plus probable est la contamination par un bacille pyocyanique très connu en milieu hospitalier ; que son préjudice doit être évalué à 43 750 euros ;
Vu le mémoire, enregistré le 17 mars 2005, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de Lens, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation du CHRU DE LILLE à lui verser la somme de 762,25 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 16 août 2005, par lequel le CHRU DE LILLE conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; il soutient, en outre, que selon une thèse de médecine dont des extraits sont produits à l'instance, l'auteur relève parmi les principaux agents responsables des endophtalmies, la présence de staphylococques coagulases négatives, germes présents chez l'être humain ; que M. X en était nécessairement porteur ; que la majoration demandée par M. X de ses indemnités ainsi que la demande de la caisse primaire d'assurance maladie ne sont pas fondées ;
Vu la décision en date du 13 mai 2005 par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Douai accorde à M. X l'aide juridictionnelle totale pour la présente instance ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 1er septembre 2005 à laquelle siégeaient Mme Helmholtz, président de chambre, Mme Signerin-Icre, président-assesseur et
Mme Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Eliot, conseiller ;
- les observations de Me Geoffroy-Bleitrach, pour M. X ;
- et les conclusions de M. Le Goff, commissaire du gouvernement ;
Sur l'appel principal du CHRU DE LILLE :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. X, souffrant de dystrophie cornéenne a fait l'objet, le 9 mai 1996 d'une greffe de la cornée de l'oeil gauche, effectuée au CHRU DE LILLE ; que dans le même établissement, le 11 juin 1998, il a subi, sous anesthésie locale, une intervention chirurgicale simple de sections partielles de cornée afin d'obtenir une correction de l'astigmatisme sévère dont il était par ailleurs atteint ; qu'à 14 heures 30, conformément aux indications médicales, il est retourné à son domicile, l'oeil opéré étant recouvert d'un pansement occlusif ; que dans la nuit du 11 au 12 juin, M. X a ressenti de vives douleurs à l'oeil et a été victime de fièvre et de vomissements ; que le lendemain, l'équipe médicale du service des urgences du CHRU DE LILLE auquel il s'était rendu a diagnostiqué une irritation au décours d'un épisode de frottement du globe oculaire gauche ; que malgré une nouvelle intervention chirurgicale pour suture de la greffe cornéenne réalisée en 1996, l'infection s'est étendue à tout le globe oculaire et le patient a perdu totalement l'usage de son oeil gauche ;
Considérant qu'il est constant que la perte de l'oeil résulte d'une infection, dont M. X n'était pas porteur avant l'intervention chirurgicale et qui a touché l'ensemble de son globe oculaire gauche ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que si compte tenu de la survenue de l'infection le jour même de l'intervention et de la progression rapide du germe, l'expert, commis par le juge d'instruction au Tribunal de grande instance de Lille, évoque une infection nosocomiale par un bacille pyocyanique, connu en milieu hospitalier, le rapport de l'expert désigné par le tribunal administratif, décrit une infection provoquée par les frottements effectués par le patient sur une cornée déjà fragilisée, en soulignant que l'infection n'était pas apparue sur les incisions mais sur le périmètre de la cicatrice de la greffe antérieure de cornée et qu'un germe de la nature de celui du staphylocoque pouvait avoir les mêmes conséquences néfastes que celles précédemment décrites sur les structures cellulaires de l'appareil visuel ; que dans ces conditions, il n'est donc pas établi que le germe, qui au demeurant n'a pu être identifié, a été introduit lors du geste opératoire du 11 juin 1998 ou pendant la courte hospitalisation du patient ce même jour ; que dès lors, la circonstance que l'oeil gauche de M. X ait été infecté après une intervention médicale ne peut être regardée, en l'espèce, comme révélant une faute dans l'organisation et le fonctionnement du service public hospitalier ; que par suite, le CHRU DE LILLE est fondé à soutenir que c'est à tort, par le jugement attaqué, que le Tribunal administratif de Lille, l'a condamné, pour faute, à réparer les conséquences dommageables de l'accident survenu à l'oeil gauche de M. X ; qu'ainsi, le jugement attaqué sera annulé ;
Sur les frais d'expertise :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de laisser les frais d'expertise à la charge du CHRU DE LILLE ;
Sur l'appel incident de M. X et de la caisse primaire d'assurance maladie de Lens :
Considérant que la mise hors de cause du CHRU DE LILLE entraîne par voie de conséquence le rejet des conclusions incidentes présentées par M. X et la caisse primaire d'assurance maladie de Lens relatives aux indemnités qui leur ont été allouées par les premiers juges ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge du CHRU DE LILLE qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la caisse primaire d'assurance maladie de Lens de la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lille en date du 18 novembre 2003, à l'exception de son article 4, est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. X et par la caisse primaire d'assurance maladie de Lens devant le Tribunal administratif de Lille sont rejetées.
Article 3 : Les conclusions de M. X et de la caisse primaire d'assurances maladie de Lens tendant à la condamnation du CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE LILLE au paiement de frais exposés par eux et non compris dans les dépens sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au CENTRE HOSPITALIER REGIONAL UNIVERSITAIRE DE LILLE, à M. Mohamed X, à la caisse primaire d'assurance maladie de Lens ainsi qu'au ministre de la santé et des solidarités.
Copie sera transmise au préfet du Nord.
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N°04DA00119