Vu la requête, enregistrée le 6 mai 2004 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour M. et Mme Marc X, demeurant ..., par Me Labbée ; M. et Mme X demandent à la Cour :
1°) de réformer le jugement n° 02-1451 du 9 mars 2004 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens n'a condamné le centre hospitalier régional universitaire d'Amiens à ne leur verser qu'une somme de 10 000 euros en réparation du préjudice résultant de la perte de neuf embryons détenus par le centre de procréation médicalement assistée dudit centre hospitalier ;
2°) de condamner le centre hospitalier à leur verser une somme de 207 000 euros
(9 x 23 000 euros) soit au titre de la perte d'êtres chers soit au titre du préjudice matériel et moral, une somme de 76 225 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence ;
3°) de condamner le centre hospitalier régional universitaire d'Amiens au paiement d'une indemnité de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Ils soutiennent que la Cour devra confirmer la décision du Tribunal administratif d'Amiens sur la question de la responsabilité ; qu'elle devra confirmer la décision du Tribunal administratif sur la question du caractère certain du préjudice ; qu'elle devra, en revanche, considérer que l'embryon est un être humain avec toutes les conséquences qui en découlent ; que, subsidiairement, les concluants ont subi un préjudice matériel et moral ; que la somme de
10 000 euros allouée en première instance ne répare ni la perte de chance d'avoir un enfant, ni le trouble que constituerait une nouvelle procréation médicalement assistée ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 août 2004, présenté pour le centre hospitalier régional universitaire d'Amiens, par Me Montigny ; le centre hospitalier demande :
1°) de rejeter la requête de M. et Mme X ;
2°) d'annuler, par la voie de l'appel incident, ledit jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à M. et Mme X la somme de 10 000 euros au titre des troubles dans les conditions d'existence ;
Il soutient que c'est à tort que le Tribunal a considéré que la défaillance du matériel engageait la responsabilité de l'hôpital, même en l'absence de faute ; que les neuf embryons cryoconservés n'ont pas été détruits mais sont toujours conservés par le laboratoire de biologie ; que M. et Mme X n'ont jamais transmis à l'hôpital leur volonté quant au sort réservé à ces embryons ; qu'aucune perte de chance ne peut être invoquée à ce jour dans la mesure où seule la décongélation des embryons et leur implantation permettrait d'apprécier la possibilité pour les époux X d'être de nouveaux parents ; qu'un ovocyte fécondé n'est pas un embryon ; qu'il n'y a pas de perte de chance ; que la perte d'un ovocyte ne saurait générer la perte d'un bien valorisable ; que les oeufs fécondés ne constituent qu'un matériel potentiel dont la loi prévoit elle-même la destruction ; que les époux X peuvent, d'évidence, toujours être parents ; que le Tribunal est allé au-delà de ce que sollicitaient les requérants en leur reconnaissant des troubles dans les conditions d'existence ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 12 octobre 2004, présenté pour
M. et Mme X qui concluent aux mêmes fins que leur requête par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 8 novembre 2004, présenté pour le centre hospitalier régional universitaire d'Amiens qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 21 décembre 2004, présenté pour
M. et Mme X qui concluent aux mêmes fins que leur précédent mémoire par les mêmes moyens ;
Vu le nouveau mémoire, enregistré le 29 mars 2005, présenté pour le centre hospitalier régional universitaire d'Amiens qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code civil ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 novembre 2005 à laquelle siégeaient Mme Helmholtz, président de chambre, Mme Signerin-Icre, président-assesseur et
M. Bauzerand, premier conseiller :
- le rapport de M. Bauzerand, premier conseiller ;
- les observations de Me Labbée, pour M. et Mme X, et de Me François, pour le centre hospitalier régional universitaire d'Amiens ;
- et les conclusions de M. Le Goff , commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. et Mme X ont formulé, le 20 mars 1996, une demande d'assistance auprès du centre de procréation médicalement assistée du centre hospitalier régional universitaire d'Amiens, conformément à la mission échue à celui-ci en vertu des dispositions de l'article L. 2141-1 du code de la santé publique ; qu'après implantation de trois embryons chez Mme X, qui a pu donner naissance à des jumelles en 1998, les embryons surnuméraires ont été congelés dans un conteneur d'azote liquide ; que, par lettre en date du 6 octobre 2000,
M. et Mme X ont été prévenus par le directeur du centre de procréation médicalement assistée qu'un incident était survenu quant aux conditions de conservation des embryons encore détenus ; qu'ils ont saisi, par une requête enregistrée le 15 juillet 2002, le Tribunal administratif d'Amiens d'une demande tendant à la condamnation du centre hospitalier d'Amiens à leur verser les sommes de 207 000 euros en réparation du préjudice subi du fait de la perte des neuf embryons et de 76 225 euros au titre de la perte de chance d'être parents ; qu'ils demandent à la Cour de réformer le jugement en date du 9 mars 2004 par lequel le Tribunal a condamné le centre hospitalier régional universitaire d'Amiens à leur verser la somme de 10 000 euros qu'ils estiment suffisante, au titre des troubles dans les conditions d'existence ; que le centre hospitalier d'Amiens demande, par la voie de l'appel incident, l'annulation dudit jugement en soutenant, d'une part, que sa responsabilité n'est pas engagée, d'autre part, qu'aucun préjudice n'est établi ;
Sur la responsabilité du centre hospitalier régional universitaire d'Amiens :
Considérant que, sans préjudice d'éventuels recours en garantie, le service public hospitalier est responsable, même en l'absence de faute de sa part, des conséquences dommageables pour les usagers de la défaillance des produits et appareils qu'il utilise dans le cadre de l'assistance médicale à la procréation ;
Considérant qu'il résulte de l'instruction que, le 16 août 2000, un technicien du centre de procréation médicalement assistée d'Amiens a constaté l'existence de phénomènes de condensation sur le revêtement externe d'une bonbonne d'azote ; qu'après ouverture de ladite bonbonne, il a constaté un niveau de liquide anormalement bas provoquant une variation intempestive de température de -196 C° à -15 C°, une fissure dans l'enveloppe du conteneur étant à l'origine d'une évaporation de l'azote ;
Considérant qu'il résulte également de l'instruction que, si les embryons contenus dans la bonbonne d'azote incriminée n'ont pas été détruits et sont toujours cryoconservervés, le centre hospitalier admet qu'en l'état actuel des connaissances médicales, les conséquences de l'incident sur les embryons ne sont pas connues et qu'une altération des cellules lors de leur décongélation n'est pas exclue ; que, dans ces conditions, caractérisées par l'existence d'un risque à l'utilisation des embryons, l'impossibilité d'utiliser lesdits embryons doit être regardée comme certaine ; que, par suite, le centre hospitalier est responsable des conséquences dommageables de l'incident du 16 août 2000 ;
Sur le préjudice :
Considérant que la création médicalement assistée d'embryons in vitro ne peut être réalisée, ainsi que le prévoient les dispositions de l'article L. 2141-2 du code de la santé publique, que dans le cadre du projet parental du couple bénéficiaire ; que, dès lors, la perte d'embryons dont les requérants ne peuvent sérieusement soutenir que ceux-ci constituent des êtres humains ou des produits humains ayant le caractère de chose sacrée auxquels est attachée une valeur patrimoniale, n'est source de préjudice indemnisable que pour autant que ce couple poursuit un projet de procréation auquel cette perte porte une atteinte ;
Considérant qu'en l'espèce, le centre hospitalier fait valoir que M. et Mme X n'avaient plus de projet parental ; qu'il indique notamment que ces derniers n'ont plus entretenu de relations avec le centre de procréation après la naissance de leurs deux premiers enfants à l'automne 1998 avant qu'ils ne reçoivent la lettre du chef du service de l'hôpital en date du
6 octobre 2000 ; qu'il ont attendu plus de huit mois après la réception de cette lettre pour solliciter un rendez-vous qu'ils ont obtenu le 19 juin 2001 ; qu'ils n'ont pas répondu, à l'issue de ce rendez-vous, ni à la demande du centre de lui transmettre leurs instructions et leur volonté sur le sort des neuf embryons conservés, ni à la proposition d'enclencher un nouveau cycle de fécondation in vitro pris en charge par l'hôpital ; qu'eu égard à ces indications précises,
M. et Mme X se bornent à faire état, d'une manière générale, de la perte de chance d'être parent et ne produisent aucun élément de nature à démontrer qu'ils entendent poursuivre un projet parental, alors qu'ils n'ont indiqué, à aucun moment, ni devant les premiers juges, ni devant la Cour, souhaiter avoir d'autres enfants, et précisent même dans leurs écritures que la naissance de leurs filles a satisfait à leur demande de parentalité ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme X, auxquels incombe la charge de prouver l'existence du préjudice dont ils demandent réparation, ne sont pas fondés, en tout état de cause, à soutenir, en l'absence de tout projet parental, que l'incident ayant conduit à la perte des neuf embryons in vitro est à l'origine pour eux tant d'une perte de chance d'être parent que d'un préjudice lié à la difficulté de mener une nouvelle procréation médicalement assistée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. et Mme X ne sont pas fondés à demander la réformation du jugement du Tribunal administratif d'Amiens en tant qu'il n'a pas fait entièrement droit à leur demande d'indemnisation ; qu'en revanche, le centre hospitalier régional universitaire d'Amiens est fondé, par la voie de l'appel incident, à demander l'annulation du même jugement en tant qu'il l'a condamné à verser à M. et Mme X la somme de 10 000 euros en réparation des troubles divers dans les conditions d'existence ;
Sur les conclusions de M. et Mme X tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du centre hospitalier régional universitaire d'Amiens qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, la somme que
M. et Mme X demandent au titre des frais exposés par eux et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 9 mars 2004 est annulé en tant qu'il a condamné le centre hospitalier régional universitaire d'Amiens à verser la somme de 10 000 euros à M. et Mme Marc X.
Article 2 : La requête de M. et Mme Marc X est rejetée.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. et Mme Marc X, au centre hospitalier régional universitaire d'Amiens et au ministre de la santé et des solidarités.
N°04DA00376 2