Vu la requête, enregistrée 3 mai 2004, présentée pour M. Y... , demeurant ..., par Me X... ; il demande à la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 0002773 en date du 13 février 2004 en tant que le Tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etablissement français du sang à lui verser une indemnité de 10 000 euros, qu'il juge insuffisante, en réparation des conséquences dommageables de sa contamination par le virus de l'hépatite C ;
2°) de condamner l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 228 673 euros ;
3°) de condamner l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que la responsabilité de l'Etablissement français du sang, retenue par les premiers juges, dans sa contamination par le virus de l'hépatite C devra être confirmée par la Cour ; que l'expert a curieusement estimé qu'aucune incapacité totale temporaire, ni incapacité permanente partielle n'était en relation avec sa contamination alors qu'il est démontré que l'hépatite C est génératrice de cirrhose et de cancer du foie, d'asthénie systématique, de fatigue et de perte d'appétit ; que les traitements entraînent de la fièvre et des douleurs musculaires et articulaires ; que le concernant son traitement a entraîné un état dépressif démontré par des tentatives de suicide ; qu'il n'a pu reprendre d'activité professionnelle ; qu'il subit par ailleurs un préjudice moral dans la crainte d'une évolution rapide de sa maladie ; qu'il semble aujourd'hui développer un cancer du foie ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 3 juin 2004, présenté pour le centre hospitalier de Clermont, qui conclut à la confirmation du jugement attaqué en ce qu'il a rejeté la demande de M. présentée à son encontre et à la condamnation de M. à lui verser la somme de 3 000 euros, au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient qu'il est étonnant que le tribunal administratif n'ait pas relevé l'irrecevabilité du recours de M. à son encontre et ne lui ait pas accordé une indemnité au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré le 8 septembre 2004, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de Creil, qui conclut à l'annulation du jugement attaqué en ce qu'il a limité l'indemnité que l'Etablissement français du sang a été condamné à lui verser à la somme de 9 769,71 euros, demande la condamnation dudit établissement à lui verser la somme de 161 866,63 euros majorée des intérêts de droit capitalisés, à compter du 4 décembre 2001 au titre du remboursement de ses débours et la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que les frais médicaux qu'elle a exposés au profit de M. sont directement en relation avec la contamination de ce dernier par le virus de l'hépatite C ;
Vu les mémoires, enregistrés les 21 septembre et 6 octobre 2004, présentés pour l'Etablissement français du sang, qui conclut au rejet de la requête, à la limitation à la somme de 1 193,22 euros de la somme allouée à la caisse primaire d'assurance maladie par le tribunal administratif et à la condamnation de M. ou de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil à lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; il soutient qu'il n'entend pas remettre en cause le principe de sa responsabilité ; que l'appelant ne produit aucun élément ou pièce nouvelle permettant de remettre en cause les indemnités octroyées par les premiers juges ; que M. allègue de nombreux faits sans les établir, notamment en ce qui concerne son cancer du foie, ou les effets secondaires des traitements ; qu'il ne semble pas atteint de cirrhose ; qu'il présente par ailleurs deux facteurs aggravants de son état de santé dont l'Etablissement français du sang ne peut être tenu pour responsable : l'obésité et l'alcoolisme ; que le Tribunal a fixé, sans explication et sans répondre aux arguments de l'Etablissement français du sang, l'indemnité allouée à la caisse primaire d'assurance maladie à la somme de 9 006,71 euros ; que les arrêts de travail susceptibles de justifier les indemnités journalières versées par la caisse ne sont pas mentionnés dans l'expertise ; que les frais médicaux et de transport ne sont justifiés par aucun document ; que s'agissant des frais d'hospitalisation, seules les périodes allant du 17 au 19 février 1993, du 20 au 25 septembre 1993, peuvent être retenues comme étant justifiées par l'hépatite C dont est atteint M. ; que les pensions d'invalidité versées à la victime ne sont pas justifiées ;
Vu le mémoire et les pièces complémentaires, enregistrés les 10 et 21 février 2005, présentés pour la caisse primaire d'assurance maladie de Creil, qui réduit le montant de sa demande indemnitaire à 158 160,50 euros ; elle demande, en outre, la condamnation de l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient, en outre, qu'elle produit aux débats une série de nouveaux documents médicaux intégrant l'attestation d'imputabilité en rapport avec les faits du 1er novembre 1992, établie par le médecin conseil de la caisse primaire d'assurance maladie ; qu'elle produit aussi les éléments médicaux relatifs à l'imputabilité des frais thérapeutiques et pharmaceutiques à l'infection par le virus de l'hépatite C ; que s'agissant des frais médicaux et pharmaceutiques, la caisse primaire a imputé les remboursements comportant la mention « LIS », cette mention indiquant la référence à l'affection qui bénéficie de l'exonération du ticket modérateur et les soins prescrits par le centre hospitalier de Clermont ;
Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 1er septembre 2005, régularisé par la production de l'original le 2 septembre 2005, présenté pour l'Etablissement français du sang, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;
Vu la pièce complémentaire, enregistrée le 12 septembre 2005, présentée pour M. ;
Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 22 mars 2006, régularisé par la production de l'original le 23 mars 2006, présenté pour la caisse primaire d'assurance maladie de Creil qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;
Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 27 mars 2006, régularisé par la production de l'original le 28 mars 2006, présenté pour l'Etablissement français du sang, qui conclut aux mêmes fins que son précédent mémoire par les mêmes moyens ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de la sécurité sociale ;
Vu le code civil ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 4 avril 2006 à laquelle siégeaient Mme Câm Vân Helmholtz, président de chambre, Mme Corinne A..., président ;assesseur et Mme Agnès Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Agnès Eliot, conseiller ;
- et les conclusions de M. Z... le Goff, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, d'une part, le Tribunal administratif d'Amiens a, par jugement du 13 février 2004, condamné l'Etablissement français du sang (EFS) à verser à M. une somme de 10 000 euros en réparation des préjudices qu'il a subis à la suite de son infection par le virus de l'hépatite C lors d'une hospitalisation au centre hospitalier de Clermont en 1986 ; qu'estimant cette somme insuffisante, M. demande à la Cour la réformation de ce jugement ; que, d'autre part, par le même jugement, le tribunal administratif a limité à la somme de 9 006,71 euros le remboursement des débours réclamé par la caisse primaire d'assurance maladie de Creil ; que celle-ci, au cours de cette même instance, demande la réévaluation de l'indemnité qui lui a été accordée ;
que l'Etablissement français du sang conclut au rejet des conclusions de M. et demande, par la voie de l'appel incident, que la somme allouée à la caisse primaire d'assurance maladie de Creil soit réduite au montant de 1 193,22 euros ; qu'enfin le centre hospitalier de Clermont demande l'annulation du jugement contesté en ce qu'il a rejeté sa demande tendant à condamner M. à lui verser la somme réclamée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Sur le préjudice :
Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. , contaminé par le virus de l'hépatite C, est aujourd'hui atteint d'une tumeur hépatique développée sur une cirrhose virale, qui, nonobstant l'obésité et l'éthylisme chronique constatés antérieurement chez l'intéressé et qui, selon l'expertise ordonnée par les premiers juges et plusieurs études scientifiques, sont des facteurs susceptibles de favoriser ou d'accélérer l'apparition de ces pathologies, ont un lien direct avec l'hépatite C ; que M. souffre par ailleurs de syndromes dépressifs qui constituent un des effets secondaires fréquemment constatés chez les patients contaminés, contraints de supporter de lourds traitements notamment à l'Interféron ; que la victime a ainsi dû subir de nombreux examens hépatiques, dont deux biopsies , qu'il a dû en outre être hospitalisé à plusieurs reprises pour « réaction dépressive » et acte suicidaire ; que, contrairement à ce que soutient l'Etablissement français du sang, la caisse primaire d'assurance maladie établit en appel que les frais médicaux et pharmaceutiques engagés pour un montant de 7 513,02 euros au profit de M. , pris en charge à 100 % au titre de l'hépatite C, ainsi que les différentes hospitalisations de la victime, représentant un montant de dépenses de 14 278,36 euros, sont la conséquence directe de sa contamination ; qu'il est par ailleurs constant que M. a cessé de travailler depuis le 4 janvier 1993 et est depuis le 1er juillet 1995 en invalidité justifiée d'après les termes de son médecin par la dépression grave de la victime dont l'origine tient « au rôle propre de la maladie virale, au rôle particulier de l'Interféron et au facteur réactionnel de l'asthénie » ; que les indemnités journalières, d'un montant de 15 335,68 euros et la pension d'un montant de 121 033,44 euros (arrérages échus et capital compris) versées à ce titre par la caisse primaire d'assurance maladie ont ainsi un lien direct et certain avec l'hépatite C ; qu'ainsi les débours exposés par la caisse primaire d'assurance maladie en relation directe avec l'hépatite C de M. s'élèvent à la somme de 158 160,50 euros ;
Considérant, en second lieu, que les nombreux examens et traitements médicaux subis par M. du fait de sa contamination par le virus de l'hépatite C ont été pour celui-ci à l'origine de douleurs physiques importantes ; que cette hépatite lui a causé des troubles de toute nature dans sa vie privée, dont des souffrances morales liées aux incertitudes sur son état de santé ; qu'il résulte de l'instruction que M. est désormais atteint d'une cirrhose à l'origine de nouvelles souffrances ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces chefs de préjudice, qui recouvrent également les préjudices « d'agrément », en fixant à 40 000 euros l'indemnité due à ce titre ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préjudice total causé par les transfusions sanguines dont l'Etablissement français du sang est responsable s'élève à la somme de 198 160,50 euros, dont 40 000 euros réparent les préjudices personnels ;
Sur les droits de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil :
Considérant qu'en se bornant à fixer l'indemnité à verser à la caisse primaire d'assurance maladie au montant de 9 006,71 euros sans en exposer les motifs, le tribunal administratif a insuffisamment motivé le jugement attaqué sur ce point ; qu'il y a lieu en conséquence de l'annuler en tant qu'il se prononce sur ce chef de préjudice ; qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la caisse primaire d'assurance maladie de Creil devant le Tribunal administratif d'Amiens ;
Considérant que la caisse primaire d'assurance maladie de Creil a, comme dit ci-dessus, droit à être indemnisée des frais exposés au profit de M. à hauteur de la somme de 158 160,50 euros ; qu'elle est, en outre, fondée à réclamer le versement de l'indemnité forfaitaire de 760 euros en application des dispositions de l'article L. 376-1 du code de la sécurité sociale ; qu'il y a lieu, par suite, de condamner l'Etablissement français du sang à lui verser la somme de 158 920,50 euros ;
Considérant qu'en application de l'article 1153 du code civil, la caisse primaire d'assurance maladie a droit aux intérêts sur le montant de l'indemnité de 37 127,06 euros correspondant aux frais médicaux et pharmaceutiques, aux frais d'hospitalisation et aux indemnités journalières à compter du 28 décembre 2000, date de sa première demande ; que la somme de 760 euros portera intérêts au taux légal à compter du 10 décembre 2001, date de sa première demande concernant l'indemnité forfaitaire ; que les arrérages de la pension d'invalidité porteront intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2000 en ce qui concerne les arrérages échus avant cette date et, au fur et à mesure de leurs échéances respectives, jusqu'au jour du paiement en ce qui concerne, d'une part, les arrérages échus postérieurement au jour de la réception de la demande du 28 décembre 2000, d'autre part, le capital constitutif de la rente au 31 décembre 2003 ; que la capitalisation des intérêts a été demandée le 8 septembre 2004 ; qu'à cette dernière date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;
Sur les droits de M. :
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la somme due par l'Etablissement français du sang à M. , en réparation du préjudice que lui a causé l'hépatite C qu'il a contractée par transfusion, s'élève à 40 000 euros ; que, par suite, M. est fondé à demander la réformation du jugement attaqué en tant que les premiers juges ont sous-évalué le montant de l'indemnité destinée à réparer les préjudices subis ;
Sur les conclusions du centre hospitalier de Clermont :
Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que les premiers juges auraient commis, dans les circonstances de l'espèce, une erreur d'appréciation en rejetant les conclusions du centre hospitalier de Clermont tendant à condamner M. à lui verser les frais exposés et non compris dans les dépens de la première instance ; que, par suite, les conclusions du centre hospitalier tendant à réformer le jugement attaqué sur ce point doivent être, en tout état de cause, rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de M. ou de la caisse primaire d'assurance maladie de Creil qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que l'Etablissement français du sang demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ; qu'il n'y a pas davantage lieu de faire droit à la demande présentée à ce titre par le centre hospitalier de Clermont à l'encontre de M. , qui n'est pas partie perdante à son égard ;
Considérant, en revanche, qu'il y a lieu de mettre à la charge de l'Etablissement français du sang une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens exposés, d'une part, par M. , d'autre part, par la caisse primaire d'assurance maladie de Creil ;
DECIDE :
Article 1 : L'article 5 du jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 13 février 2004 est annulé.
Article 2 : L'Etablissement français du sang est condamné à verser à la caisse primaire d'assurance maladie de Creil la somme de 158 920,50 euros. La somme de 37 127,06 euros portera intérêts à compter du 28 décembre 2000. La somme de 760 euros portera intérêts à compter du 10 décembre 2001. Les arrérages de la pension d'invalidité porteront intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2000 en ce qui concerne les arrérages échus avant cette date et, au fur et à mesure de leurs échéances respectives, jusqu'au jour du paiement en ce qui concerne les arrérages échus postérieurement au jour de la réception de la demande du 28 décembre 2000 et le capital constitutif de la rente au 31 décembre 2003. Les intérêts échus au 8 septembre 2004 seront capitalisés pour porter eux mêmes intérêts.
Article 3 : La somme de 10 000 euros que l'Etablissement français du sang a été condamné à verser à M. Y... par l'article 1er du jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 13 février 2004 est portée à 40 000 euros.
Article 4 : Le jugement du Tribunal administratif d'Amiens est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 3 du présent arrêt.
Article 5 : Le surplus des conclusions de M. Y... , les conclusions du centre hospitalier de Clermont et l'appel incident de l'Etablissement français du sang sont rejetés.
Article 6 : L'Etablissement français du sang versera à M. Y... et à la caisse primaire d'assurance maladie de Creil chacun la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à M. Y... , à la caisse primaire d'assurance maladie de Creil, à l'Etablissement français du sang, au centre hospitalier de Clermont, au centre hospitalier de Creil et au ministre de la santé et des solidarités.
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N°04DA00364