Vu la requête, enregistrée le 20 avril 2005 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour la SARL SINGER, dont le siège est 18 place Léo Lagrange à Outreau (62230), par Me X... ; la SARL SINGER demande à la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 0401268 en date du 10 février 2005 par lequel le Tribunal administratif de Lille l'a condamnée à verser à la Société Nationale des Chemins de Fer Français (SNCF) la somme de 35 793,66 euros au titre des frais de réparation d'installations de chemin de fer ;
2°) de rejeter le déféré du préfet du Pas-de-Calais la poursuivant pour contravention de grande voirie ;
3°) de condamner l'Etat et la SNCF à lui verser la somme de 1500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que la SNCF avait proposé, à son assureur, une transaction par laquelle la société SINGER était reconnue responsable à hauteur de 20 % du sinistre ; qu'il ne peut, dès lors, être prétendu que ledit sinistre a été provoqué par sa société ; que la procédure de contravention de grande voirie est, par suite, inadaptée ; que l'assermentation des agents ayant rédigé les rapports d'incidents n'est pas justifiée ; qu'ils ne mettent pas en cause directement la responsabilité de la société ; que le procès-verbal du 14 novembre 2003 est tardif dès lors qu'il est intervenu après la disparition de toute source d'inondation ; que les rapports d'incidents ne lui ont pas été notifiés et qu'il lui a été impossible de présenter sa défense en violation de l'article 6§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'à titre subsidiaire, elle est en droit d'invoquer la force majeure du fait des intempéries exceptionnelles relevées pendant la période litigieuse ; que la SNCF a commis des fautes dans l'entretien de son ouvrage ; que ces fautes sont établies notamment par des photographies prises par un expert ; que la preuve de l'existence d'un lien de causalité entre le sinistre et le montant de la réparation demandé n'est pas apportée ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'ordonnance en date du 2 mai 2005 du président de la 1ère chambre portant clôture de l'instruction au 30 septembre 2005 ;
Vu le mémoire, enregistré le 14 juin 2005, présenté pour la SNCF, qui conclut au rejet de la requête et à la condamnation de la SARL SINGER à lui verser la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient qu'il résulte des dispositions de l'article 2 de la loi du 15 juillet 1845 sur la police du chemin de fer que le régime de la contravention de grande voirie est applicable aux dépendances domaniales du chemin de fer ; qu'une pièce est produite attestant de l'assermentation de la personne qui a dressé le procès-verbal contesté ; que la matérialité des faits est établie par l'ensemble des pièces produites au dossier alors même que le rédacteur du procès-verbal d'infraction n'aurait pas été personnellement témoin des faits en litige ; qu'il résulte de la tentative de recouvrement amiable opérée à l'encontre de la SARL SINGER, de l'expertise diligentée par cette dernière, du volume et de la précision des écritures déposées en défense, par la même société, que celle-ci a eu la possibilité d'organiser utilement sa défense ; que la procédure de contravention de grande voirie ne méconnaît pas, en l'espèce, les droits de la défense ; que la société appelante n'apporte pas de preuve tendant à démontrer que les intempéries revêtiraient le caractère de la force majeure ; que le détail des frais engagés pour procéder à la réparation des dommages ne peut être critiqué par le contrevenant ; que ce dernier n'est pas davantage recevable à demander la réduction des frais engagés pour tenir compte de l'état de vétusté de l'ouvrage endommagé ; que le procès-verbal d'infraction établit que les dommages en cause portent sur les circuits électriques de signalisation ; que la société appelante n'apporte pas de preuve contraire ;
Vu l'ordonnance en date du 15 septembre 2005 du président de la 1ère chambre portant report d'instruction au 31 octobre 2005 ;
Vu les mémoires, enregistrés les 25 et 27 octobre 2005, présentés pour la SARL SINGER, qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ; elle soutient, en outre, que la SNCF ne justifie pas, par le document qu'elle produit, de l'assermentation de l'agent ayant rédigé le procès-verbal d'infraction ; que ce document ne comporte aucune constatation personnelle et n'est accompagné d'aucun rapport d'incident ; que l'action engagée à son encontre est prescrite, méconnaît les dispositions de l'article L. 774-2 du code de justice administrative qui exigent la notification du procès-verbal dans les dix jours et les dispositions de l'article 6§3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que les intempéries exceptionnelles ont touché les grandes villes de la région et notamment la gare d'Abbeville, immobilisée pendant plusieurs semaines ; que le rapport d'expertise de M. X établit les fautes graves commises par la SNCF dans l'entretien de ses voies ferrées ;
Vu l'ordonnance en date du 31 novembre 2005 du président de la 1ère chambre portant réouverture de l'instruction ;
Vu le mémoire, enregistré le 28 février 2006, présenté pour la SNCF, qui maintient les moyens présentés dans le cadre du précédent mémoire ; elle soutient, en outre, qu'elle produit l'attestation de la prestation de serment effectuée par l'agent verbalisateur à l'audience publique du Tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer en date du 24 novembre 1994 ;
Vu le mémoire, enregistré le 13 avril 2006, présenté par le ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer, qui déclare faire siennes les observations et conclusions de la SNCF ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la loi du 29 floréal an X, rendue applicable aux chemins de fer par la loi du 15 février 1845 ;
Vu la loi n° 97-135 du 13 février 1997 portant création de l'établissement « Réseau Ferré de France » en vue du renouveau du transport ferroviaire ;
Vu le décret n° 97-445 du 5 mai 1997 portant constitution du patrimoine initial de l'établissement public Réseau Ferré de France ;
Vu le code de procédure pénale ;
Vu le code du domaine public ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 8 juin 2006, à laquelle siégeaient Mme Christiane Tricot, président de chambre, M. Olivier Yeznikian, président-assesseur et
Mme Agnès Eliot, conseiller :
- le rapport de Mme Agnès Eliot, conseiller,
- les observations de Me X... pour la SARL SINGER,
- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;
Sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que la société SINGER a fait l'objet d'un procès-verbal de contravention de grande voirie pour avoir endommagé, à plusieurs reprises, entre le
18 août 1999 et le 3 mai 2001, différentes infrastructures ferroviaires situées sur la voie ferrée de raccordement Outreau-Loubet, qui ont été recouvertes, à l'occasion de fortes pluies, de boues provenant du terrain utilisé par ladite société pour le stockage de divers matériaux de concassage, limons et sable ; que la société demande l'annulation du jugement par lequel le Tribunal administratif d'Amiens l'a condamnée à verser à la SNCF la somme de 35 793,66 euros au titre des frais de réparation d'installations de chemin de fer ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 774-2 du code de justice administrative : « Dans les dix jours qui suivent la rédaction d'un procès-verbal de contravention, le préfet fait faire au contrevenant notification de la copie du procès-verbal (…) La notification indique à la personne poursuivie qu'elle est tenue, si elle veut fournir des défenses écrites, de les déposer dans le délai de quinzaine à partir de la notification qui lui est faite (…) » ; que si l'observation du délai de dix jours mentionné par ce texte n'est pas prescrite, à peine de nullité, la notification tardive du procès-verbal ne doit pas porter atteinte aux droits de la défense ; qu'il est constant que le procès-verbal de contravention de grande voirie, établi le 14 novembre 2003, pour des faits commis entre août 1999 et février 2001, n'a été notifié à la société appelante que le 11 mars 2004 ; que les treize rapports d'incidents, rédigés après chaque infraction constatée pendant cette période, n'ont pas été communiqués à la SARL SINGER ; que si la SNC F soutient que la société a pu organiser utilement sa défense au cours de nombreux échanges écrits et de réunions organisées entre l'administration et la contrevenante dans le cadre d'une tentative de transaction, il ne ressort pas de l'instruction que la société ait eu la possibilité de rassembler des preuves utiles pour présenter sa défense, pour chacun des faits pour lesquels sa responsabilité a été mise en cause dans le cadre de la procédure de contravention de grande voirie ; que par suite, la SARL SINGER est fondée à soutenir que les poursuites ont été engagées à son encontre dans des conditions irrégulières et ne peuvent ainsi légalement fonder sa condamnation à verser à la SNCF une indemnité au titre des frais de réparation des installations de chemin de fer ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de la société SINGER, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, le versement à la SNCF de la somme que celle-ci demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
Considérant, en revanche, qu'il y a lieu de condamner l'Etat, d'une part, la SNCF, d'autre part, à verser chacun à la société SINGER la somme de 750 euros au titre des dispositions susmentionnées ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif de Lille en date du 10 février 2005 est annulé.
Article 2 : La demande du préfet du Pas-de-Calais devant le Tribunal administratif de Lille est rejetée.
Article 3 : L'Etat, d'une part, et la SNCF, d'autre part, verseront chacun à la société SINGER la somme de 750 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société SINGER, au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer et à la SNCF.
Copie sera transmise au préfet du Pas-de-Calais.
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N°05DA00428