Vu la requête, enregistrée le 15 décembre 2006 par télécopie et régularisée par l'envoi de l'original le 21 décembre 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée par le PRÉFET DE LA SEINE-MARITIME ; il demande au président de la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0602791 en date du 9 novembre 2006 par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté de reconduite à la frontière, en date du 24 octobre 2006, qu'il a prononcé à l'encontre de
Mme née X, et lui a enjoint de lui verser la somme de 1 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la requête de Mme ;
Il soutient que Mme est arrivée en France en septembre 2002 ; qu'elle s'est mariée avec M. en Turquie le 1er octobre 1991 ; que de cette union, sont nés deux enfants ; que le couple a, à la demande de Mme , divorcé en Turquie, le 13 juillet 1999 ; qu'un troisième enfant a vu le jour en février 2000 ; que M. est entré en France en 2000 ; qu'il a obtenu un titre de séjour valable dix ans en sa qualité de « conjoint de français » ; qu'il a par la suite divorcé de cette épouse ; que le 25 juin 2002, le Tribunal de grande instance de Erzincan a décidé de confier l'autorité parentale des trois enfants à M. ; que Mme X, épouse , est entrée en France en septembre 2002 ; qu'elle a de nouveau épousé M. le 21 octobre 2004 à Paris ; qu'elle a accouché de son quatrième enfant en janvier 2005 à Blois ; que ces circonstances ne suffisent pas à établir que l'arrêté de reconduite à la frontière pris à l'encontre de Mme porterait une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale ; qu'enfin, les différentes procédures engagées par les époux constituent des manoeuvres frauduleuses en vue de la délivrance d'un titre de séjour au bénéfice de Mme ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu l'ordonnance en date du 21 décembre 2006 fixant la clôture de l'instruction au
22 février 2007 à 16 h 30 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 février 2007 par télécopie et confirmé par la production de l'original le 19 février 2007, présenté pour Mme née X, demeurant ..., par Me Demir ; elle demande au président de la Cour de confirmer en tous points le jugement, en date du 9 novembre 2006, par lequel le magistrat délégué du Tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté de reconduite à la frontière en date du 24 octobre 2006, de faire droit à l'ensemble de ses écritures, de condamner le PRÉFET DE LA SEINE-MARITIME à lui verser la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; elle soutient que les écritures du préfet sont succinctes puisqu'elles ne mentionnent aucun argument sur l'erreur manifeste d'appréciation ; que l'arrêté de reconduite à la frontière a porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée ; que les liens familiaux qu'elle entretient en France sont intenses ; que son époux a des obligations professionnelles en France ; que trois de ses quatre enfants sont régulièrement scolarisés en France depuis quatre ans ; que ces derniers n'auraient pu rejoindre leur mère en Turquie, l'année scolaire ayant commencé à la date de l'arrêté litigieux ; que la perspective de bénéficier d'une procédure de regroupement familial « sur place » est impossible, le préfet ayant opposé un refus à une précédente demande introduite en ce sens ; que sa présence est indispensable à l'exercice d'une activité professionnelle pour son époux, puisqu'elle s'occupe de leurs quatre enfants ; que la quasi-totalité de sa famille vit en France ; qu'elle n'entretient plus de relations avec ses parents depuis sa venue en France et son mariage ; que, par suite, l'arrêté de reconduite à la frontière prononcé à son encontre viole les dispositions de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'après leur séparation, les époux sont restés en contact ; que son second mariage avec M. est intervenu plus de deux ans après son entrée en France ; que, dans ces conditions, elle ne saurait être suspectée de vouloir violer la loi aux seules fins d'obtenir une carte de séjour ; que si elle s'est vu révoquer l'autorité parentale, c'était pour assurer à ses enfants un avenir meilleur en France ; que la présence de leurs deux parents est indispensable aux enfants ; qu'une décision de reconduite à la frontière aurait nécessairement pour conséquence de priver les enfants de la présence de leur mère ou de leur père, dès lors que M. ne pourrait retourner vivre en Turquie en raison de sa situation professionnelle notamment ; qu'enfin, l'arrêté de reconduite à la frontière prononcé à son encontre est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant aux conséquences de la mesure sur la vie de l'intéressé et au regard des circonstances précédemment énoncées ;
Vu l'ordonnance en date du 16 février 2007 portant réouverture de l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la délégation du président de la Cour en date du 26 septembre 2006 prise en vertu de l'article R. 222-33 du code de justice administrative ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 28 mars 2007 :
- le rapport de M. Albert Lequien, magistrat désigné ;
- et les conclusions de M. Pierre Le Garzic, commissaire du gouvernement ;
Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « II. L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : (…) 3° Si l'étranger auquel la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour a été refusé, ou dont le titre de séjour a été retiré, s'est maintenu sur le territoire au-delà du délai d'un mois à compter de la date de notification du refus ou du retrait (…) ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que Mme , née le 1er février 1964 à Kelkit (Turquie), de nationalité turque, s'est maintenue irrégulièrement sur le territoire français plus d'un mois après la notification, le 26 juillet 2006, d'un refus de titre de séjour en date du 25 juillet 2006 l'invitant à quitter le territoire ; qu'elle était ainsi dans le cas où, en application du 3° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet peut décider la reconduite à la frontière d'un étranger ;
Sur l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que Mme , née X, a épousé en Turquie, le 1er octobre 1991, M. , ressortissant turc, avec lequel elle a eu en juin 1992 puis en février 1996, deux enfants nés en Turquie, d'autre part, que le couple a divorcé en Turquie le 13 juillet 1999 et, en février 2000, un troisième enfant est né ; qu'à la suite du prononcé de son divorce, M. est arrivé en France en 2000, s'est remarié avec
Mme Z, de nationalité française et a obtenu un titre de séjour valable dix ans en sa qualité de « conjoint de français » ; qu'il a ensuite divorcé de son épouse française et le 25 juin 2002, le Tribunal de grande instance de Erzincan a décidé de lui confier l'autorité parentale des trois enfants ; que Mme , pour sa part, est arrivée en France le 30 septembre 2002, sous couvert d'un passeport turc revêtu d'un visa Schengen délivré par les autorités autrichiennes et le couple s'est reconstitué puis s'est remarié le 21 octobre 2004 à Paris et un quatrième enfant est né de cette nouvelle union à Blois, le 13 janvier 2005 ; que si le préfet soutient que le mariage en France de M. et Mme constitue l'aboutissement de manoeuvres frauduleuses, il ne l'établit pas ; que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, des conditions de séjour en France de Mme , qui viennent d'être rappelées, et notamment, sa vie familiale qui s'est reconstituée sur le territoire français, l'arrêté du PRÉFET DE LA
SEINE-MARITIME, en date du 24 octobre 2006, a, eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale, une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ; qu'il a donc méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PRÉFET DE LA SEINE-MARITIME n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté en date du 24 octobre 2006 prononçant la reconduite à la frontière de Mme ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, en application dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de condamner l'Etat à payer à Mme née X la somme de 1 500 euros qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du PRÉFET DE LA SEINE-MARITIME est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Mme née X une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au PRÉFET DE LA SEINE-MARITIME, à Mme née X et au ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire.
N° 06DA01680 2