Vu la requête, enregistrée le 28 juillet 2006 au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai, présentée pour Mme Sandrine X, demeurant ..., par Me Titran, avocat ; Mme X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0300297, en date du 23 mai 2006, par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros, en réparation du préjudice moral qu'elle estime subir pour devoir assumer la charge, l'entretien et l'éducation d'un enfant poly-handicapé ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 150 000 euros, en réparation de son préjudice moral ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Elle soutient que le Tribunal administratif de Lille, en remettant d'office en question le diagnostic posé concernant son enfant alors que les parties étaient d'accord sur ce point, a méconnu le principe du contradictoire garanti par les dispositions de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que, sur le fond, l'Etat a engagé sa responsabilité du fait des fautes qu'il a commises dans l'obligation de prévention du trouble à l'ordre public que constituent les pathologies liées au syndrome d'alcoolisation foetale (SAF) compte tenu du caractère hautement toxique de l'alcool pour le foetus et ce, même en présence d'une consommation modérée ; que l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que la Nation garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère (...) la protection de la santé » ; que l'Etat a, en premier lieu, méconnu le devoir général de police qui incombe au ministre de la santé ; qu'il appartient en effet à l'administration de parer aux menaces pour l'ordre public en particulier au risque sanitaire, son inertie pouvant être fautive ; qu'en vertu d'une décision du Conseil d'Etat du 30 juillet 1997, il appartient au ministre de la santé, même en l'absence de texte, de prendre les mesures permettant de mettre en garde le public contre les produits dont la consommation présente un risque grave pour la santé ; qu'une mise en garde d'ordre général contre les produits alcoolisés, et en l'espèce, un simple conseil de modération, est inadéquate à rendre compte spécifiquement des effets tératogènes de l'alcool sur le foetus porté par la femme enceinte ; que l'Etat n'a pas fait respecter par les producteurs et distributeurs de boissons alcooliques les dispositions du code de la consommation et notamment ses articles L. 213-1, L. 213-2 et L 215-1 concernant l'information qui doit être portée sur l'étiquetage ; qu'il est constant au regard des enquêtes et sondages que ces lacunes ne sont pas compensées par une conscience largement répandue dans l'opinion des risques réels d'une consommation même modérée d'alcool sur le foetus ; qu'elle n'a pas bénéficié de la protection de la loi, au sens des dispositions des articles 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'Etat a encore commis une faute pour n'avoir pas assuré auprès des professionnels de la santé une formation suffisante et adaptée à la hauteur de la gravité des effets toxiques de l'alcool et de l'ampleur du trouble à l'ordre public sanitaire ; qu'il existe enfin une totale discordance entre la situation dont elle a été victime et la doctrine officielle en matière de sécurité alimentaire qui repose sur une réglementation spécifique d'étiquetage des aliments, afférente aux précautions d'emploi et aux préconisations en matière de conservation ; que le lien de causalité entre la carence fautive de l'Etat et le préjudice qu'elle a subi est incontestable puisque celui-ci est la conséquence directe d'une rétention d'information sanitaire capitale ; que la question de la quantité d'alcool qu'elle a pu consommer pendant sa grossesse est totalement indifférente dès lors que la gravité des effets toxiques de l'alcool est avérée dès les premières consommations sans qu'il soit question d'addiction ; que sans la carence de l'Etat, elle aurait nécessairement bénéficié d'une information adéquate lui permettant d'adapter en conséquence son comportement ;
Vu le jugement et la décision attaqués ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 septembre 2006, présenté pour le ministre de la santé et des solidarités qui demande à la Cour de rejeter la requête d'appel ; il soutient que si l'intéressée allègue d'un préjudice véritable, elle n'établit pas l'existence d'un lien de causalité direct et certain avec le fait générateur, à savoir une prétendue carence de l'Etat ; que s'il n'est pas sérieusement contestable qu'une simple consommation d'alcool risque d'induire des effets néfastes pour le foetus, les arguments relatifs à la prévalence et à l'incidence du syndrome d'alcoolisation foetale doivent être nuancés par rapport à la présentation qu'en fait l'appelante ; que le programme des études médicales tel qu'il ressort des arrêtés publiés en 1970, 1997 et 2000, certes de plus en plus précis, en ce qui concerne les médecins et à partir de 1985 en ce qui concerne les sages-femmes, comprend une formation aux risques liés aux toxicomanies dans le domaine de la pédiatrie ou de la natologie ; que ces préoccupations sont relayées au plan national ou dans le Nord/Pas-de-Calais par les organismes professionnels concernés ; qu'il n'y a donc pas de carence dans la formation des professionnels de santé ; que, depuis plusieurs années, ont été conduites avec le soutien de l'Etat ou à son initiative de nombreuses campagnes d'information et de sensibilisation sur les risques liés à la consommation de l'alcool, qui concernent notamment les femmes enceintes ; que les études réalisées parallèlement montrent que le danger est largement connu auprès du public féminin ; que l'Etat a donc pris les mesures pour mettre en garde le public contre les produits alcoolisés dont la consommation présente un risque grave pour la santé publique ; qu'il s'est donc conformé aux exigences de la jurisprudence du
30 juillet 1997 ; que l'apposition d'un message sanitaire sur toute publicité en faveur des boissons alcooliques ne saurait constituer une tromperie au sens de l'article L. 213-1 du code de la consommation ; qu'il n'a donc pas commis de faute au regard des exigences de ce code ; que les obligations en matière d'étiquetage des produits et qui résultent de l'article R. 112-9 du code de la consommation n'ont pas été méconnues au regard de la jurisprudence judiciaire en la matière ; que le titrage en volume d'alcool figure sur chaque boisson alcoolisée conformément aux dispositions de l'article R. 112-9-1 du même code ; que, par suite, l'Etat n'a pas commis de faute ; qu'en cas de reconnaissance d'une faute de sa part, la relation causale n'est pas établie ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la Constitution et notamment l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et l'alinéa 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et notamment son article 5 ;
Vu le code de la consommation ;
Vu le code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme ;
Vu le code de la santé publique ;
Vu la loi n° 2004-806 du 9 août 2004 ;
Vu la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 décembre 2007 à laquelle siégeaient M. Marc Estève, président de chambre, M. Olivier Yeznikian, président-assesseur et Mme Agnès Eliot, premier conseiller :
- le rapport de M. Olivier Yeznikian, président-assesseur ;
- les observations de Me Titran, pour Mme X ;
- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant que Mme X a donné naissance, le 28 mars 1998 à Roubaix, à un enfant prénommé Alexandre souffrant de handicaps ; qu'elle demande la condamnation de l'Etat à l'indemniser de son préjudice moral dès lors que, selon elle, il aurait manqué à ses obligations dans le domaine de la prévention des risques liés à l'exposition de l'embryon et du foetus à l'alcoolisation ; qu'elle estime que ces carences résultent, d'une part, d'un défaut de mise en oeuvre de certaines dispositions du code de la consommation, d'autre part, d'une formation insuffisante des professionnels de santé et, enfin, de l'exercice insatisfaisant de la police sanitaire ; qu'elle relève régulièrement appel du jugement, en date du 23 mai 2006, par lequel le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ;
Sur la régularité du jugement attaqué :
Considérant que le juge administratif, saisi de conclusions mettant en jeu la responsabilité de la puissance publique, ne soulève pas d'office un moyen d'ordre public lorsqu'il constate au vu des pièces du dossier qu'une des conditions d'engagement de la responsabilité publique n'est pas remplie ; qu'alors même que les parties ne discutaient pas, en première instance, la réalité du syndrome d'alcoolisation foetale dont était atteint l'enfant de Mme X, le Tribunal administratif de Lille a pu, sans soulever d'office un moyen et sans méconnaître le caractère contradictoire de la procédure, estimer, au vu des pièces qui lui étaient soumises et notamment des certificats médicaux produits, que l'origine des pathologies n'étant pas certaine, l'intéressée n'établissait pas le lien de causalité entre son préjudice et une prétendue carence de l'Etat ; que, par suite, Mme X n'est pas fondée à soutenir que le Tribunal aurait ainsi violé les stipulations de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et aurait, par suite, entaché son jugement d'irrégularité ;
Sur la responsabilité de l'Etat :
Considérant que, pour écarter l'existence d'un lien direct de causalité entre la carence fautive imputée à l'Etat et le préjudice subi par Mme X et ainsi rejeter l'action en responsabilité de cette dernière, le Tribunal administratif de Lille a estimé que les documents médicaux produits ne permettaient pas d'établir la réalité du syndrome d'alcoolisation foetale c'est-à-dire du lien entre les handicaps de l'enfant de Mme X et une consommation d'alcool pendant la grossesse ; que, toutefois, il doit être regardé comme établi, au vu notamment des pièces produites en cause d'appel, que les handicaps de l'enfant trouvent leur cause dans la consommation d'alcool pendant la grossesse ; que, par suite, Mme X est fondée à soutenir que c'est à tort que, pour rejeter sa demande, le Tribunal administratif de Lille s'est fondé sur l'absence de réalité du syndrome d'alcoolisation foetale ;
Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les moyens soulevés par Mme X devant le Tribunal administratif de Lille ;
Considérant, en premier lieu, qu'en se prévalant, de manière générale, d'une carence de l'Etat dans la mise en oeuvre des dispositions des articles L. 123-1 et R. 112-9 du code de la consommation vis-à-vis des producteurs et des distributeurs de boissons alcoolisées,
Mme X ne met pas la Cour en mesure d'apprécier si et dans quelle mesure la responsabilité de l'Etat devant la juridiction administrative pourrait être recherchée sur un tel fondement, ni, au surplus, de vérifier qu'il existerait un lien de causalité entre le préjudice allégué et la prétendue faute que l'administration aurait pu commettre en matière d'étiquetage des produits alcoolisés et d'information des consommateurs sur les dangers que ces produits peuvent comporter à l'égard des femmes enceintes ; qu'il est, par ailleurs, seulement allégué par l'intéressée que, pour n'avoir pas su résister à des groupes de pression intervenant dans le secteur des boissons alcoolisées, l'Etat aurait commis une faute et porté ainsi atteinte au droit qu'elle invoque à la protection de la loi et à la sûreté résultant selon elle de l'article 2 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 5 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne résulte pas de l'instruction et il est seulement allégué que, dans l'exercice notamment de son pouvoir réglementaire pour fixer les programmes des études des professionnels de santé, ou dans l'exercice de la mission qui lui incombe pour s'assurer de la qualité de la formation de ces professionnels, l'Etat aurait commis une faute ; que la circonstance que des études ou enquêtes ont pu mettre en évidence chez les praticiens une certaine méconnaissance du devoir d'information de la femme enceinte sur les dangers d'une exposition de l'embryon et du foetus à l'alcool et sur les précautions à prendre en la matière tout au long de la grossesse ou une ignorance des caractéristiques du syndrome d'alcoolisation foetale, n'est pas, par elle-même, de nature à établir la responsabilité de l'Etat dans la mesure où un enseignement initial en ce domaine -en particulier à la faculté de médecine de Lille- est assuré et où les professionnels de santé ont également une obligation d'actualisation de leurs connaissances tout au long de leur activité ; qu'au surplus, le lien direct de causalité entre une faute éventuelle de l'Etat et le préjudice n'est pas établi ;
Considérant, en troisième lieu, que l'article L. 355-1 du code de la santé publique, applicable à l'époque où Mme X était enceinte (devenu l'article L. 3311-1 du même code), dispose que : « L'Etat organise et coordonne la prévention et le traitement de l'alcoolisme, sans préjudice du dispositif prévu à l'article L. 326 du présent code. / Les dépenses entraînées par l'application du présent article sont à la charge de l'Etat sans préjudice de la participation des régimes d'assurance maladie aux dépenses de soins » ; qu'aux termes de l'article L. 97-1 du code des débits de boissons et des mesures contre l'alcoolisme dans sa version issue de la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 (codifié désormais sous le premier alinéa de l'article L. 3311-3 du code de la santé publique) : « Les campagnes d'information menées dans le cadre de la lutte anti-alcoolique doivent comporter des messages de prévention et d'éducation. (...) » ;
Considérant que les pathologies qui correspondent au syndrome d'alcoolisation foetale résultent d'une alcoolisation in utero de l'embryon ou du foetus ; que la protection des embryons et foetus pendant la grossesse relève, par suite, de la prévention et du traitement de l'alcoolisme au sens des dispositions figurant à l'époque à l'article L. 355-1 -désormais à l'article L. 3311-1- du code de la santé publique ; que si, comme l'a d'ailleurs indiqué le ministre chargé de la santé, le 11 octobre 1990, dans une réponse à une question parlementaire : « Les effets de la consommation d'alcool sur l'embryon et le foetus sont actuellement bien connus et se manifestent par des avortements spontanés, de la prématurité ou de la post-maturité, ou par le syndrome d'alcoolisme foetal ou embryo-foetopathie alcoolique » en précisant que « la prévention de ces pathologies passe par une diminution ou une suppression de la consommation d'alcool par la femme enceinte », il ne résulte pas de l'instruction, au regard de l'état des données expérimentales, cliniques et épidémiologiques disponibles sur le sujet et notamment avant la publication en 2001 par l'Inserm d'une expertise collective, que l'Etat disposait, à l'époque où Mme X était enceinte, d'une information suffisamment certaine et précise sur le risque qu'un enfant à naître présente à la suite d'une consommation pourtant modérée d'alcool par la femme enceinte, un syndrome d'alcoolisation foetale ; que, par suite, l'Etat n'a pas méconnu l'obligation légale qui lui incombe en matière de prévention et d'éducation à l'égard notamment des femmes enceintes, en s'étant abstenu de lancer, au cours des années quatre-vingt-dix, des campagnes spécifiques recommandant une abstinence totale de boissons alcoolisées par la femme enceinte ; que, par ailleurs, les nombreuses campagnes à vocation plus générale sur les dangers liés à l'alcool devaient déjà inciter notamment les futures mères à réduire fortement si ce n'est à supprimer toutes boissons alcoolisées de leur consommation ; que Mme X n'est donc pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis une faute en s'abstenant de mettre en oeuvre à l'époque une campagne ciblée de prévention et d'éducation qui lui aurait permis de disposer de l'information pertinente pour adopter face à l'alcool un comportement adéquat ; que, dans ces conditions, il ne résulte pas davantage de l'instruction que l'Etat aurait commis de faute dans l'exercice de son pouvoir général de police sanitaire ou dans la mise en oeuvre de la protection de la santé de la mère et de l'enfant qui figure au 11 du préambule de la Constitution de 1946 auquel renvoie celui de la Constitution du 4 octobre 1958 ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme X n'est pas fondée à rechercher la responsabilité de l'Etat et à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, les conclusions qu'elle a présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ne peuvent qu'être rejetées ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme X est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Sandrine X et au ministre de la santé, de la jeunesse et des sports.
Copie sera transmise au préfet du Nord.
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N°06DA01014