Vu la requête, enregistrée le 19 décembre 2007 par télécopie au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai et confirmée par courrier original le 21 décembre 2007, présentée par le PREFET DE LA SEINE-MARITIME ; le préfet demande au président de la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 0702920, en date du 16 novembre 2007, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du
12 novembre 2007 décidant la reconduite à la frontière de M. Mohamed Y, lui a enjoint de se prononcer sur la situation de l'intéressé après lui avoir délivré une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. Y devant le Tribunal administratif de Rouen ;
Le préfet soutient que, pour retenir que M. Y justifiait de la continuité de son séjour depuis l'année 1990 et juger que l'arrêté attaqué était, compte tenu notamment de cette circonstance, entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'il comportait sur la situation personnelle de l'intéressé, le premier juge s'est fondé sur des pièces produites par M. Y et qui présentaient pourtant peu de garanties d'authenticité ; qu'en particulier, il ressort de ces pièces que l'intéressé aurait changé d'adresse à de nombreuses reprises durant la période ; que plusieurs d'entre elles ne mentionnent pas, par ailleurs, son prénom ; qu'en outre, trop peu de justificatifs à caractère probant sont fournis pour la période couvrant les années 1999 à 2002, durant lesquelles il est permis de douter de la présence effective de l'intéressé sur le territoire français ; que M. Y ne peut donc se prévaloir d'une présence continue sur le territoire français de dix-huit années consécutives, mais au mieux de cinq années ; que M. Y est, par ailleurs, célibataire, sans enfant, et ne fait état de la présence d'aucun membre de sa famille en France, tandis qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine ; que le jugement attaqué doit donc être annulé et le moyen écarté ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu l'ordonnance en date du 14 janvier 2008 par laquelle le président de la Cour fixe la clôture de l'instruction au 29 février 2008 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré par télécopie le 29 février 2008 et confirmé par courrier original le 3 mars 2008, présenté pour M. Mohamed Y, demeurant ..., par Me Demir ; M. Y conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 1 500 euros soit mise à la charge de l'Etat en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; M. Y soutient que le préfet ne conteste la continuité de son séjour en France que durant la période couvrant les années 1999 à 2002 mais n'apporte aucune critique s'agissant des périodes antérieures et postérieures, couvrant les années 1989 à 1998 et 2003 à 2007 ; que, compte tenu des nouvelles pièces qu'il verse au dossier, quatre pièces attestent de sa présence en France au cours de l'année 1999, trois apportent cette preuve pour l'année 2000, deux pour l'année 2001 et trois pour l'année 2002 ; que, contrairement à ce que soutient le préfet, la quasi-totalité des pièces qu'il a produites font mention de son nom et de son prénom ; que la mention d'adresses différentes sur les pièces couvrant les années 1989 à 2007 ne saurait en atténuer la valeur probante, l'exposant ayant, dès lors qu'il n'a pu se voir délivrer un titre de séjour, été hébergé durant cette période au gré des disponibilités de ses amis ; que le préfet n'apporte d'ailleurs pas la preuve de ce que certaines de ces pièces correspondraient à d'autres personnes que l'exposant ; qu'il a été jugé que la preuve de la continuité du séjour en France d'un ressortissant étranger peut être rapportée par tous moyens et que les pièces produites par l'intéressé doivent être prises en compte dans leur globalité et non pas analysées indépendamment les unes par rapport aux autres ; que le préfet ne conteste pas, par ailleurs, sa bonne intégration ; qu'il a, en effet, noué sur le territoire français de nombreuses relations ; qu'il n'est, en revanche, pas retourné dans son pays d'origine depuis dix-huit ans et n'y a conservé aucune attache effective ; que, dans ces conditions, le tribunal administratif a retenu à juste titre que l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué était entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences, au demeurant exceptionnellement graves, qu'il comporte sur sa situation personnelle ; que, dans ces circonstances, cet arrêté est également entaché d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu l'ordonnance en date du 3 mars 2008 portant réouverture de l'instruction ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979, modifiée, relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public ;
Vu la décision du président de la Cour en date du 15 octobre 2007 prise en vertu de l'article
R. 222-33 du code de justice administrative, désignant M. Albert Lequien en tant que juge des reconduites à la frontière ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mars 2008 :
- le rapport de M. Albert Lequien, magistrat désigné ;
- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, pour annuler, par le jugement attaqué, en date du 16 novembre 2007, l'arrêté du 12 novembre 2007 par lequel le PREFET DE LA SEINE-MARITIME a décidé de reconduire M. Y, ressortissant tunisien, à la frontière, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a estimé qu'eu égard notamment à la durée du séjour de l'intéressé en France, les pièces versées par lui au dossier établissant sa présence continue sur le territoire national depuis 1990, à sa bonne intégration au sein de la société française, ainsi qu'à son absence d'attaches familiales dans son pays d'origine, l'arrêté attaqué était entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'il comportait sur la situation personnelle de M. Y ; que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME, qui forme appel de ce jugement, conteste l'ancienneté et la continuité de ce séjour en critiquant le caractère probant de plusieurs des pièces produites par l'intéressé devant le premier juge et en faisant observer que ces pièces ne couvrent pas l'intégralité de la période ; que si M. Y faisait valoir résider habituellement et de façon continue sur le territoire français depuis la fin de l'année 1989, les documents versés au dossier par l'intéressé, tant en première instance qu'en appel, ne permettent pas de l'établir, alors, en particulier, qu'ainsi que le relève le préfet, trois pièces seulement sont produites pour justifier de son séjour effectif sur le territoire français durant la période s'étendant de décembre 1999 à mai 2002, tandis qu'il ressort par ailleurs des éléments du dossier qu'une seule pièce est produite par l'intéressé s'agissant respectivement des années 1994 et 2004, que seulement deux pièces sont fournies pour l'année 1993 et pour l'année 1995 et que les quatre justificatifs produits s'agissant de l'année 2002 ne concernent que les mois de mai et de décembre ; que, dans ces conditions et, dès lors, par ailleurs, qu'ainsi que le fait valoir le préfet, M. Y, alors même qu'il serait bien intégré à la société française et y aurait noué des liens amicaux, est célibataire, sans charge de famille et n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine, le PREFET DE LA SEINE-MARITIME est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté de reconduite à la frontière pris à l'égard de M. Y au motif que cet arrêté était entaché d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'il comporte sur la situation personnelle de l'intéressé, a enjoint au préfet de procéder à un nouvel examen de la situation de ce dernier après lui avoir délivré une autorisation provisoire de séjour et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Considérant qu'il appartient toutefois à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. Y tant devant le président du Tribunal administratif de Rouen que devant le président de la Cour ;
Sur la légalité de la mesure de reconduite à la frontière :
Considérant, au préalable, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction en vigueur à la date à laquelle l'arrêté attaqué a été pris : « II - L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) » ; que, pour prononcer la mesure de reconduite à la frontière contestée, le PREFET DE LA
SEINE-MARITIME s'est fondé tant sur les dispositions précitées du 1° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que sur celles du 2° de ce même article, qui visent notamment le cas des étrangers soumis à l'obligation de visa et qui se sont maintenus sur le territoire français au-delà de la durée de validité de leur visa ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. Y, qui a déclaré être arrivé en France le 26 septembre 1989 sous couvert d'un visa de court séjour, n'a toutefois été en mesure de présenter aucun document de nature à justifier d'une entrée régulière ; qu'il était donc, ainsi, dans la situation visée par les dispositions précitées du 1° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant au PREFET DE LA SEINE-MARITIME de décider qu'il serait reconduit à la frontière ;
Considérant, en premier lieu, que si l'obligation de motiver les mesures portant reconduite à la frontière d'un étranger, qui résulte notamment du II précité de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, implique que ces décisions comportent l'énoncé des éléments de droit et de fait qui fondent la mise en oeuvre de la procédure d'éloignement, l'autorité administrative n'est pas tenue de préciser en quoi la situation particulière de l'intéressé ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre de cette procédure ; que, par suite, et alors qu'il ressort de l'examen des motifs de l'arrêté attaqué, que ceux-ci comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, la seule circonstance que ces motifs ne font pas expressément mention de la durée du séjour de l'intéressé n'est pas de nature à permettre de faire regarder ledit arrêté comme insuffisamment motivé au regard des exigences posées tant par lesdites dispositions susrappelées que par celles des articles 1er et 3 de la loi susvisée du 11 juillet 1979, modifiée ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que le PREFET DE LA SEINE-MARITIME ne se serait pas livré, comme se borne à l'alléguer
M. Y, à un examen particulier de la situation de ce dernier ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ; qu'ainsi qu'il a été dit, M. Y n'établit pas, par les seuls éléments qu'il produit, résider habituellement et de façon continue sur le territoire français depuis l'année 1989 comme il le soutient ; que, tout au plus, peut-il être regardé comme justifiant par ces mêmes pièces d'un séjour continu à compter du début de l'année 2005 ; qu'il ressort, par ailleurs, ainsi qu'il a été dit, des pièces du dossier que l'intéressé est célibataire et sans charge de famille et qu'il n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine ; que, dans ces conditions, alors même que M. Y serait bien intégré à la société française et malgré les liens amicaux qu'il aurait tissés en France, l'arrêté de reconduite à la frontière pris à son égard n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la légalité de la désignation du pays de destination de cette mesure :
Considérant que si M. Y demande l'annulation de l'arrêté attaqué en tant qu'il désigne la Tunisie comme pays de destination de la mesure de reconduite à la frontière prise à son encontre, il n'assortit ses conclusions d'aucun moyen ; que celles-ci ne peuvent, dès lors et en tout état de cause, qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. Y demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 0702920 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen en date du 16 novembre 2007 est annulé.
Article 2 : La demande et les conclusions respectivement présentées par M. Y devant le président du Tribunal administratif de Rouen et devant le président de la Cour sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire et à M. Mohamed Y.
Copie sera transmise au PREFET DE LA SEINE-MARITIME.
N°07DA01948 2