Vu la requête, enregistrée le 30 juillet 2008 par télécopie au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai et régularisée le 1er août 2008 par courrier original, présentée pour
M. Septembre X, demeurant ..., par Me Fournier-Labat ; M. X demande au président de la Cour :
11) d'annuler le jugement n° 0802096, en date du 21 juillet 2008, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 15 juillet 2008 du préfet de la Seine-Maritime prononçant à son égard une mesure de reconduite à la frontière et désignant Haïti comme pays de destination de cette mesure et à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de procéder à un nouvel examen de sa situation après lui avoir délivré une autorisation provisoire de séjour ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, ledit arrêté ;
3°) d'enjoindre, sous astreinte, au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 24 392 euros sur le fondement de l'article
L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. X soutient :
- que l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué, qui ne mentionne aucun élément de fait concernant la vie privée et familiale de l'exposant qui pourrait justifier la mesure d'éloignement au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, est insuffisamment motivé en fait ; que les formules générales qui y sont utilisées ne sauraient suffire à constituer la motivation requise par l'article
L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- qu'il justifie être entré de façon régulière sur le territoire français, en possession d'un visa d'un an portant la mention « ascendant non à charge » ; que le préfet de la Seine-Maritime ne saurait valablement soutenir qu'il ignorait la véracité des déclarations faites sur ce point par l'exposant lors de sa garde à vue, alors qu'il lui appartenait de les vérifier ; que, dès lors, l'arrêté attaqué est entaché d'erreur d'appréciation et d'erreur de droit au regard des dispositions de l'article L. 511-1-II-1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- que cet arrêté porte, en outre, à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et méconnaît, par suite, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en effet, les parents de l'exposant sont décédés en 1995 et 2007 ; que son frère réside régulièrement en France depuis plus de 24 ans, sous couvert d'une carte de résident et y exerce la profession de chauffeur de taxi ; que sa soeur, de nationalité française, réside également en France, depuis plus de 21 ans ; qu'ils sont tous deux bien insérés au sein de la société française ; que si l'exposant a quatre enfants qui résident en Haïti, il n'a jamais eu de liens avec ceux-ci, qui sont d'ailleurs issus de mères différentes, alors même qu'il se trouvait dans son pays d'origine ; qu'il est donc incontestable, contrairement à ce qu'ont retenu à tort le préfet et le premier juge, que sa vie privée et familiale se situe sur le territoire français ; qu'ayant une bonne expérience professionnelle dans le bâtiment, l'exposant pourra bénéficier facilement d'une promesse d'embauche dès que sa situation administrative sera régularisée ; qu'il n'a, enfin, jamais troublé l'ordre public ;
- qu'en tant qu'il désigne Haïti comme pays de renvoi, cet arrêté méconnaît, en outre, l'article 3 de la même convention ; qu'en effet, l'instabilité politique régnant dans ce pays est reconnue tant par le Gouvernement français que par le Conseil de sécurité de l'ONU ; qu'en avril 2008, des manifestations ont eu lieu dans les plus grandes villes du pays, faisant de nombreux morts ; que les autorités diplomatiques françaises déconseillent aux ressortissants français de se rendre dans ce pays ; que l'on conçoit mal, dans ces conditions, comment le renvoi de ressortissants étrangers pourrait y être autorisé ;
Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;
Vu l'ordonnance en date du 11 août 2008 par laquelle le président de la 2ème chambre de la Cour administrative d'appel de Douai fixe la clôture de l'instruction au 30 septembre 2008 ;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 15 septembre 2008, présenté par le préfet de la Seine-Maritime ; le préfet conclut au rejet de la requête ; le préfet soutient :
- que l'arrêté en litige est suffisamment motivé, tant en droit qu'en fait ;
- que M. X n'était, lors de son interpellation, en possession d'aucun document justifiant d'une entrée régulière sur le territoire national, ayant d'ailleurs déclaré avoir perdu son passeport ; qu'il entrait ainsi dans le cas prévu au 1° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile permettant de décider qu'il serait reconduit à la frontière ; que l'arrêté en litige n'est donc entaché ni d'erreur de droit, ni d'erreur d'appréciation ;
- que M. X est entré en France il y a trois ans, après avoir vécu quarante-et-une années à Haïti ; qu'il a vécu éloigné de son frère et de sa soeur durant une vingtaine d'années ; que si M. X a fait état, lors de l'audition qui a suivi son interpellation, être père de quatre enfants résidant dans son pays d'origine et avec lesquels il n'aurait aucun lien, il avait déclaré lors d'une précédente audition être père de onze enfants nés de plusieurs unions ; qu'il ne peut donc sérieusement soutenir qu'il serait dépourvu d'attache familiale dans son pays d'origine ; que, dans ces conditions, l'arrêté en litige n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris ;
- que le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut être utilement invoqué à l'encontre d'un arrêté de reconduite à la frontière ; qu'il appartient, en tout état de cause, à M. X d'apporter la preuve de la réalité des risques qu'il encourrait dans son pays d'origine ;
Vu le mémoire en réplique, enregistré le 16 septembre 2008, présenté pour M. X, qui conclut aux mêmes fins que sa requête, par les mêmes moyens ; M. X soutient, en outre, qu'il a été contraint de fuir son pays, où il possédait un magasin de vêtements et de produits de première nécessité ; que sa situation, bien que modeste, suscitait la jalousie de certains de ses compatriotes ; que son commerce a été attaqué par deux fois en 2004 par des bandes armées ; que, la seconde fois, son magasin a été incendié et son employé a péri dans l'incendie ; que la famille de ce dernier, qui l'a tenu pour responsable de cet évènement, a porté plainte à son encontre ; qu'un mandat de comparution a été émis le 15 décembre 2004 à son endroit ; qu'il a été contraint de se cacher dans le Nord du pays dans l'attente de la délivrance d'un visa par le consulat de France ; qu'il risque, dans ces conditions, d'être exposé, en cas de retour dans son pays d'origine, à des traitements inhumains et dégradants ;
Vu la lettre en date du 4 décembre 2008 par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Douai a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que la décision à intervenir était susceptible d'être fondée sur un moyen relevé d'office ;
Vu la réponse audit moyen, enregistrée le 10 décembre 2008 par télécopie et confirmée le
15 décembre 2008 par courrier original, présentée pour M. X ; il soutient que le préfet s'est délibérément placé sur le terrain du 1° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sans tenir compte de ses constantes déclarations selon lesquelles il était entré régulièrement sur le territoire français ; que cette circonstance démontre qu'il n'a pas été procédé à un examen de sa situation particulière ; qu'il a déposé une demande d'asile dès après son entrée en France et sans attendre d'être en situation irrégulière de séjour ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 22 décembre 2008 :
- le rapport de M. André Schilte, président de la Cour ;
- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;
Considérant que, par arrêté en date du 15 juillet 2008, le préfet de la Seine-Maritime a décidé de reconduire M. X, ressortissant haïtien, né le 24 janvier 1964, et entré en France, selon ses déclarations, au cours du mois de septembre 2005, à la frontière, en se fondant sur les dispositions du 1° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a désigné Haïti comme pays de destination de cette mesure ; que M. X forme appel du jugement en date du 21 juillet 2008 par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté ;
Sur la légalité de la mesure de reconduite à la frontière :
Considérant, en premier lieu, que si l'obligation de motiver les mesures portant reconduite à la frontière d'un étranger, qui résulte notamment du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, implique que ces décisions comportent l'énoncé des éléments de droit et de fait qui fondent la mise en oeuvre de la procédure d'éloignement, l'autorité administrative n'est pas tenue de préciser en quoi la situation particulière de l'intéressé ne fait pas obstacle à la mise en oeuvre de cette procédure ; qu'il ressort, en l'espèce, de l'examen des motifs de l'arrêté attaqué que ceux-ci mentionnent notamment, sous le visa de l'article L. 511-1-II-1° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, que M. X a déclaré être entré en France dans le courant de l'année 2005 mais n'a pu justifier d'une entrée régulière et ne peut se prévaloir d'un titre de séjour en cours de validité ; que ces motifs comportent ainsi l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituaient le fondement de la mesure de reconduite à la frontière prise par le préfet de la Seine-Maritime à l'égard de M. X ; qu'eu égard à ce qui précède, et alors même que lesdits motifs ne reprennent pas les éléments de fait caractérisant la vie privée et familiale de l'intéressé et utiliseraient des formules générales, l'arrêté attaqué répond aux exigences de motivation posées par les dispositions susmentionnées de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'il ne ressort pas, dans ces conditions, des pièces du dossier que le préfet de la Seine-Maritime ne se soit pas livré à un examen particulier de la situation de M. X avant de prendre ledit arrêté ;
Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (...) II - L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; 2° Si l'étranger s'est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s'il n'est pas soumis à l'obligation de visa, à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de son entrée en France sans être titulaire d'un premier titre de séjour régulièrement délivré (...) » ; que M. X fait valoir, sans être contredit, qu'il est entré en France au cours du mois de septembre 2005 ; qu'au vu des éléments versés au dossier par l'intéressé, celui-ci doit être regardé, contrairement à ce qu'indiquent les motifs de l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué, comme justifiant de ce qu'il était en possession à cette date d'un passeport en cours de validité et revêtu d'un visa C « Etats Schengen » d'une durée de validité de quatre-vingt dix jours, portant la mention « ascendant non à charge » qui lui avait été délivré le 22 septembre 2005 ; que, par suite et comme le soutient M. X, la décision de le reconduire à la frontière ne pouvait être prise sur le fondement des dispositions précitées du 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Considérant, toutefois, que lorsqu'il constate que la décision contestée devant lui aurait pu être prise, en vertu du même pouvoir d'appréciation, sur le fondement d'un autre texte que celui dont la méconnaissance est invoquée, le juge de l'excès de pouvoir peut substituer ce fondement à celui qui a servi de base légale à la décision attaquée, sous réserve que l'intéressé ait disposé des garanties dont est assortie l'application du texte sur le fondement duquel la décision aurait dû être prononcée ; qu'une telle substitution relevant de l'office du juge, celui-ci peut y procéder de sa propre initiative, au vu des pièces du dossier, mais sous réserve, dans ce cas, d'avoir au préalable mis les parties à même de présenter des observations sur ce point ;
Considérant qu'en l'espèce, la décision attaquée, motivée par l'irrégularité du séjour de
M. X, est susceptible de trouver son fondement légal dans les dispositions précitées du 2° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, qui peuvent être substituées à celles du 1° dès lors, d'une part, que, s'étant maintenu sur le territoire français après l'expiration de la durée de validité de son visa sans être titulaire d'un premier titre de séjour, M. X se trouvait dans la situation où, en application du 2° précité du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet pouvait décider qu'il serait reconduit à la frontière, d'autre part, que cette substitution de base légale n'a pour effet de priver l'intéressé d'aucune garantie et, enfin, que l'administration dispose du même pouvoir d'appréciation pour appliquer l'une ou l'autre de ces deux dispositions ; qu'il suit de là que les moyens tirés de ce que l'arrêté de reconduite à la frontière serait entaché d'erreur d'appréciation quant aux conditions de l'entrée de l'intéressé en France et d'erreur de droit doivent être écartés ;
Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui » ; que si M. X, qui est entré sur le territoire national, ainsi qu'il a été dit, en septembre 2005, fait état de la présence en France depuis une vingtaine d'années d'une soeur, de nationalité française, et d'un frère, titulaire d'une carte de résident, il ressort des pièces du dossier que l'intéressé, qui a déclaré être veuf, a conservé des attaches familiales fortes dans son pays d'origine, puisqu'y demeurent au moins quatre enfants, son allégation selon laquelle il n'aurait aucun lien avec eux n'étant corroborée par aucun élément du dossier ; qu'ainsi, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, notamment de la durée et des conditions du séjour de M. X en France, l'arrêté de reconduite à la frontière attaqué n'a pas porté au droit de l'intéressé, malgré les perspectives d'insertion professionnelle qui seraient les siennes et alors même qu'il n'a jamais troublé l'ordre public, au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels il a été pris et n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la légalité de la désignation du pays de destination de cette mesure :
Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants » ; que si M. X soutient qu'il a fui son pays d'origine et qu'il craint pour sa sécurité en cas de retour, compte tenu de ce qu'il y est recherché par les autorités à la suite d'une plainte déposée à son encontre par la famille de son employé, décédé lors d'une attaque à main armée au cours de laquelle son commerce a été incendié, et s'il produit pour en justifier la copie d'un mandat de comparution qui aurait été décerné à son égard le 15 décembre 2005, ni cette pièce, qui ne présente pas de garanties suffisantes d'authenticité, ni les autres documents qu'il produit et qui sont relatifs à la situation générale prévalant à Haïti, ne sont pas de nature à établir que l'intéressé encourrait actuellement et personnellement des risques pour sa vie ou sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine ; que, dès lors, la désignation attaquée n'a pas méconnu les stipulations précitées ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de la
Seine-Maritime en date du 15 juillet 2008 prononçant à son égard une mesure de reconduite à la frontière et désignant Haïti comme pays de destination de cette mesure ; que, dès lors, les conclusions aux fins d'injonction assortie d'astreinte qu'il présente doivent être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que lesdites dispositions font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, en la présente instance, la partie perdante, la somme que M. X demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. X est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à M. Septembre X et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.
Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.
N°08DA01203 2