Vu la requête, enregistrée le 6 février 2012, présentée pour la société Travaux industriels maritimes et terrestres (TIMT), dont le siège est 39 rue Paul Doumer, BP 99 à Harfleur (76700), représentée par son représentant légal, par la SCP Sagon, Lasne, Loevenbruck, avocat ; la société Travaux industriels maritimes et terrestres demande à la cour :
1°) de réformer le jugement n° 0801396 du 9 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Rouen a condamné le Port autonome du Havre, devenu le Grand port maritime du Havre, à lui verser ainsi qu'à MeA..., liquidateur judiciaire de la société Isotherma entreprise nouvelle SA, une somme de 487 766,28 euros hors taxes (HT), sous déduction de la provision déjà versée, qu'elle estime insuffisante au titre des travaux supplémentaires réalisés dans le cadre du marché relatif à la réfection de la peinture de la porte P2 de l'écluse François Ier au Havre ;
2°) de condamner le Grand port maritime du Havre à verser la somme de 975 538,86 euros HT correspondant à la somme de 1 463 298,86 euros HT déduction faite de la somme de 487 760 euros HT déjà versée à titre de provision ;
3°) de condamner le Grand port maritime du Havre à verser la somme de 30 000 euros pour " résistance abusive " ;
4°) de mettre à la charge du Grand port maritime du Havre la somme de 7 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
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Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des marchés publics ;
Vu le décret n° 2001-797 du 3 septembre 2001 relatif aux comités consultatifs de règlement amiable des différends ou litiges relatifs aux marchés publics ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Hubert Delesalle, premier conseiller,
- les conclusions de M. David Moreau, rapporteur public,
- et les observations de Me Etienne Lejeune, avocat de la société Travaux industriels maritimes et terrestres, et de Me Dominique Dubosc, avocat du Grand port maritime du Havre ;
1. Considérant que, par un acte d'engagement du 16 août 2005, le Port autonome du Havre, devenu le Grand port maritime du Havre, a confié au groupement conjoint d'entreprises constitué par la société Travaux industriels maritimes et terrestres (TIMT) et par la société Isotherma entreprise nouvelle qui en était le mandataire solidaire, la réfection de la peinture, après décapage de la couche anticorrosion existante contenant pour certaines parties de l'amiante, de la porte P2 de l'écluse François Ier du port du Havre ; que le marché a été conclu pour un prix forfaitaire de 3 238 291,00 euros hors taxes (HT) ; qu'estimant avoir dû effectuer des prestations supplémentaires non prévues au marché, la société Isotherma entreprise nouvelle a obtenu, par une ordonnance du 6 juillet 2006 du juge des référés du tribunal administratif de Rouen, la désignation d'un expert à fin de constat, lequel a déposé son rapport le 18 août 2006 ; qu'à la suite de la présentation de son décompte final la société a adressé le 29 janvier 2007 au Port autonome du Havre un mémoire en réclamation qui a été rejeté le 19 avril 2007 ; que le mandataire du groupement a alors saisi le comité consultatif de règlement amiable des litiges relatifs aux marchés publics de Nantes qui a proposé de faire partiellement droit à sa demande le 24 novembre 2007 ; que, par une ordonnance en date du 4 avril 2008, le président de la cour a condamné le Grand port autonome du Havre à verser aux deux sociétés une provision d'un montant de 487 761 euros HT au titre de ces travaux ; qu'ayant engagé une instance au fond avec la société Isotherma entreprise nouvelle, depuis placée en liquidation judiciaire, la société Travaux industriels maritimes et terrestres relève appel du jugement du 9 décembre 2010 par lequel le tribunal administratif de Rouen a condamné le Grand port maritime du Havre à verser une somme de 487 766,28 euros HT, sous déduction de la provision déjà versée, qu'elle estime insuffisante au titre de ses travaux supplémentaires ; qu'elle doit être regardée comme demandant la condamnation du Grand port autonome du Havre à lui verser la somme de 975 538,86 euros HT correspondant à la somme de 1 463 298,86 euros HT, déduction faite de la provision déjà versée ;
Sur l'indemnisation des sujétions imprévues :
2. Considérant que l'entrepreneur ayant effectué des travaux non prévus au marché et qui n'ont pas été décidés par le maître d'ouvrage a droit à être rémunéré de ces travaux, en dépit du caractère forfaitaire du prix fixé par le marché s'ils ont été indispensables à la réalisation de l'ouvrage selon les règles de l'art, ou si l'entrepreneur a été confronté dans l'exécution du marché à des sujétions imprévues présentant un caractère exceptionnel et imprévisible, dont la cause est extérieure aux parties et qui ont pour effet de bouleverser l'économie du contrat ;
3. Considérant que la société Travaux industriels maritimes et terrestres soutient qu'elle a été contrainte d'effectuer des travaux supplémentaires par rapport à ceux initialement prévus au marché et qui étaient impliqués par la constatation, en début de chantier, que les épaisseurs des couches anticorrosion à décaper excédaient sensiblement celles retenues pour l'élaboration de son offre et qu'elle a de ce fait exposé des surcoûts importants liés à l'augmentation du temps de décapage du revêtement existant ainsi qu'à une modification du procédé technique employé ;
4. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des indications données par l'expert désigné par le tribunal administratif, que l'offre du groupement doit être regardée comme ayant été effectivement établie sur la base d'une couche de peinture à décaper de 600 µm, laquelle correspondait à une valeur moyenne et représentative des relevés effectués par le groupement avant l'acceptation de son offre ; que si cet expert a été désigné au titre des dispositions de l'article R. 531-1 du code de justice administrative afin de procéder à la constatation de faits et ne s'en est pas tenu aux termes de sa mission mais a également émis des appréciations sur des points qui ne figuraient pas dans sa mission, il l'a toutefois fait en les soumettant au débat ainsi que cela résulte de la note qu'il a adressée aux parties et auxquelles celles-ci ont répondu sur le fond ; qu'en tout état de cause, la seule circonstance que l'expert ait excédé le champ de sa mission ne fait pas obstacle à ce que les éléments contenus dans son rapport, qui a été en outre à nouveau discuté dans le cadre du présent litige, soient pris en compte à titre d'information ; qu'il résulte également de l'instruction, et il n'est pas contesté, que les couches représentaient une épaisseur réelle de 1 300 µm, soit un excédent de 120 % par rapport à l'offre, sur une superficie de plus de 11 000 mètres carrés concernant le caisson haut de l'écluse, ou " caisson marnant supérieur ", ainsi que le caisson bas ou " caisson marnant inférieur " ; que si le cahier des clauses techniques particulières applicable au marché effectuait à son point 11 une présentation historique des précédents travaux effectués sur la porte P2 en mentionnant les matériaux utilisés, il n'apportait aucune précision quant aux épaisseurs successivement mises en place ; qu'aucune autre mention figurant dans ce document ou dans le règlement de consultation ou l'acte d'engagement n'était de nature à attirer l'attention des sociétés sur ce point ; que le Grand port maritime du Havre n'établit, ni n'allègue, avoir fait réaliser une étude préalable pour préciser cet élément qu'il ignorait ; qu'il ne saurait donc faire valoir que les entreprises, en leur qualité de spécialistes des opérations de désamiantage et de peinture dans le domaine maritime, auraient dû effectuer des visites et des investigations complémentaires ainsi que les y invitaient les stipulations de l'article 6 du règlement de consultation ; que les difficultés rencontrées dans l'exécution du marché de la société Isotherma entreprise nouvelle et de la société Travaux industriels maritimes et terrestres présentaient ainsi un caractère exceptionnel et imprévisible lors de la conclusion du contrat sans qu'il ne résulte de l'instruction, en tout état de cause, qu'en l'espèce, ces sociétés auraient fait preuve d'imprudence dans l'élaboration de leur offre et en acceptant le marché ; que les difficultés rencontrées lors du décapage avaient, en l'espèce, une cause extérieure aux parties ; qu'il n'est pas contesté que les travaux supplémentaires qui en ont résulté ont représenté un coût de 1 463 298,86 euros HT correspondant à près de la moitié du prix du marché dont l'économie s'est trouvée ainsi bouleversée ; que, par suite, la société Travaux industriels maritimes et terrestres a droit à l'indemnisation des sujétions imprévues ;
5. Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment de l'acte d'engagement du 16 août 2005, que la société Travaux industriels maritimes et terrestres a droit au paiement de 45 % des sommes dues au titre du marché ; qu'elle a donc droit au versement de 45 % de la somme de 1 463 298,86 euros HT déduction faite de la part de la provision de 487 761 euros qui lui a déjà été versée ;
6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société Travaux industriels maritimes et terrestres est fondée à demander le versement de la somme correspondant à 45 % de la somme de 1 463 298,86 euros HT déduction faite de la provision et la réformation du jugement attaqué dans cette mesure ;
Sur la demande de condamnation pour " résistance abusive " :
7. Considérant que la société Travaux industriels maritimes et terrestres ne fait état d'aucun élément permettant d'établir que le Grand port autonome du Havre aurait fait preuve d'une résistance abusive de nature à lui ouvrir droit à indemnité ; que, par suite, la demande présentée au titre de ce chef de préjudice ne peut qu'être rejetée ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
8. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du Grand port maritime du Havre le versement à la société Travaux industriels maritimes et terrestres d'une somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par elle en première instance et en appel et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société Travaux industriels maritimes et terrestres, qui n'est pas, dans les deux instances, la partie perdante, la somme que demande le Grand port maritime du Havre au titre des frais de même nature exposés par lui ;
DÉCIDE :
Article 1er : Le Grand port maritime du Havre est condamné à verser à la société Travaux industriels maritimes et terrestres une somme correspondant à 45 % de la somme de 1 463 298,86 euros HT déduction faite de la part de la provision de 487 761 euros qui lui a déjà été versée.
Article 2 : Le Grand port maritime du Havre versera à la société Travaux industriels maritimes et terrestres une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la société Travaux industriels maritimes et terrestres et les conclusions du Grand port maritime du Havre présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetés.
Article 4 : Le jugement du 9 décembre 2010 du tribunal administratif de Rouen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société Travaux industriels maritimes et terrestres, au Grand port maritime du Havre et à MeA....
Copie sera adressée pour information au préfet de la Seine-Maritime.
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N°12DA00187 2