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24/05/2016 | FRANCE | N°15DA00487

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3, 24 mai 2016, 15DA00487


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...B...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 11 200 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait de son incarcération au sein de la maison d'arrêt de Rouen.

Par un jugement n° 1301379 du 27 janvier 2015, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 mars 2015, M. B..., représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jug

ement du tribunal administratif de Rouen du 27 janvier 2015 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser u...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...B...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 11 200 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait de son incarcération au sein de la maison d'arrêt de Rouen.

Par un jugement n° 1301379 du 27 janvier 2015, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 mars 2015, M. B..., représenté par MeA..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 27 janvier 2015 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 28 830 euros en réparation du préjudice moral subi du fait de ses conditions de détention au sein de la maison d'arrêt de Rouen ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

4°) de condamner l'Etat aux entiers dépens, lesquels comprendront la prise en charge de la somme de 185 euros qui lui sera réclamée dans l'hypothèse d'une renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- son encellulement avec deux autres codétenus dans une cellule de faible superficie leur laissait un espace inférieur à 3 m² par détenu ce qui constituait un traitement inhumain au sens des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;

- ses conditions de détention ont porté atteinte à sa dignité ;

- les locaux dans lesquels il a été détenu ne répondent pas aux exigences fixées par les articles D. 349, D. 350 et D. 351 du code de procédure pénale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 avril 2016, le garde des Sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice de M. B...pour un montant de 28 830 euros sont irrecevables en tant qu'elles sont supérieures à celles chiffrées en première instance et donc nouvelles en cause d'appel ;

- les moyens soulevés par M. B...ne sont pas fondés.

M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 11 mai 2015.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la recommandation n° R. 87 du comité des ministres des Etats membres du Conseil de l'Europe du 12 février 1987 sur les règles pénitentiaires européennes ;

- le code de procédure pénale ;

- le code de la santé publique ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- la loi pénitentiaire n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Guyau, rapporteur public.

1. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; qu'aux termes de l'article D. 189 du code de procédure pénale, alors applicable : " à l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " ; qu'aux termes de l'article D. 349 du même code : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques " ; qu'aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus " ; qu'enfin, aux termes de l'article D. 354 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Les détenus doivent recevoir une alimentation variée, bien préparée et présentée, répondant tant en ce qui concerne la qualité et la quantité aux règles de la diététique et de l'hygiène, compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de la nature de leur travail et, dans toute la mesure du possible, de leurs convictions philosophiques ou religieuses. " ;

2. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que tout prisonnier a droit à être détenu dans des conditions conformes à la dignité humaine, de sorte que les modalités d'exécution des mesures prises ne le soumettent pas à une épreuve qui excède le niveau inévitable de souffrance inhérent à la détention ; qu'en raison de la situation d'entière dépendance des personnes détenues vis-à-vis de l'administration pénitentiaire, l'appréciation du caractère attentatoire à la dignité des conditions de détention dépend notamment de leur vulnérabilité, appréciée compte tenu de leur âge, de leur état de santé, de leur personnalité et, le cas échéant, de leur handicap, ainsi que de la nature et de la durée des manquements constatés et des motifs susceptibles de justifier ces manquements eu égard aux exigences qu'impliquent le maintien de la sécurité et du bon ordre dans les établissements pénitentiaires, la prévention de la récidive et la protection de l'intérêt des victimes ; que seules des conditions de détention qui porteraient atteinte à la dignité humaine, appréciées à l'aune de ces critères et à la lumière des dispositions du code de procédure pénale, notamment des articles D. 349 à D. 351 et D. 354 révèlent l'existence d'une faute de nature à engager la responsabilité de la puissance publique ; qu'une telle atteinte, si elle est caractérisée, est de nature à engendrer, par elle-même, un préjudice moral pour la personne qui en est la victime ;

3. Considérant que, si la sur-occupation d'une seule et même cellule, par plusieurs détenus, peut, en raison des conditions et des modalités de cette occupation au regard notamment du nombre de détenus, de la superficie de cette cellule et des caractéristiques de ses aménagements, être de nature à établir l'existence de traitements inhumains et dégradants, le défaut de détention en cellule individuelle ne saurait, en tant que tel, constituer une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en outre, M. B...ne peut utilement se prévaloir des recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants, selon lesquelles chaque détenu devrait disposer d'une superficie de 7 m², qui, en tout état de cause, n'ont qu'une valeur de recommandation, ni des principes affirmés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, indépendamment de toute appréciation concrète des modalités et conditions de détention effectives qui lui ont été réservées dans chacune des cellules qu'il a occupées et qui caractériseraient les atteintes invoquées ;

4. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. B...a été incarcéré à... ; qu'il a d'abord occupé la cellule 337 du quartier arrivant du 27 janvier au 3 février 2012, avant d'être affecté à la division 2 où il a occupé les cellules 113 du 3 au 27 février 2012, 207 du 27 février au 30 mars, 213 du 30 mars 2012 au 8 février 2013 puis du 12 au 25 mars 2013, 223 du 8 février au 12 mars 2013, et enfin la cellule 222 du 25 mars 2013 jusqu'à son transfert au centre de détention de Val-de-Reuil le 10 juillet 2013 ; qu'il a majoritairement occupé ces cellules avec un ou deux codétenus ; que la superficie de ces cellules variait de 11,64 m² à 12,26 m² ; que cette superficie permettait à chacun de bénéficier d'un espace personnel proche de 4 m² qui, bien que restreint, ne peut être regardé comme constituant à lui seul un traitement dégradant au sens des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en outre M. B...a exercé, à partir du 23 février 2012, une activité professionnelle ; qu'il a également pratiqué une activité sportive une après-midi par semaine à partir du 24 juillet 2012 ; que ces activités lui permettaient donc de passer une partie de la journée en dehors de sa cellule dont le caractère insalubre n'est pas établi par les pièces du dossier ;

5. Considérant que, si les cellules ne comportaient pas de système de ventilation mécanique, il est constant qu'elles possédaient toutes une fenêtre pouvant être ouverte par le ou les détenus afin de renouveler l'air ambiant ; qu'elles disposaient d'un éclairage naturel complété par un néon et une applique ; que l'absence de cloisonnement intégral et de ventilation spécifique des toilettes, qui a pour objectif de permettre à tout moment de contrôler la présence d'un détenu dans sa cellule, d'y pénétrer en cas d'urgence et de protéger les intéressés de toute tentative de suicide, était en partie compensée par la possibilité d'ouvrir les fenêtres ; qu'il résulte en outre de l'instruction, que les sanitaires des cellules occupées par M. B...étaient équipés d'un cloisonnement partiel par le biais de portes battantes permettant de favoriser un minimum d'intimité ; que l'entretien des cellules est confié aux détenus qui disposent de produits de nettoyage distribués par l'administration pénitentiaire ; que la cour de promenade de la division 2 a été rénovée en 2009 ; que le rapport d'inspection des services pénitentiaires établi au mois de septembre 2009 mentionne que les douches étaient, au moment de la visite, en bon état et que les contrôles effectués par un organisme indépendant n'ont pas relevé de lacunes sur la production et la sécurité alimentaire ; qu'enfin, le requérant n'apporte aucun élément ni aucune précision permettant d'établir qu'il aurait personnellement souffert de l'insécurité qui règnerait selon lui au sein de l'établissement pénitentiaire ; que, dès lors, M. B...n'établit pas que les conditions de sa détention à la maison d'arrêt de Rouen auraient été contraires aux dispositions précitées du code de procédure pénale et aux stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et auraient été de nature à engager la responsabilité de l'Etat ;

6. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par le garde des Sceaux, ministre de la justice, que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ; que, par voie de conséquence, il y a également lieu de rejeter ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. E...B..., au garde des Sceaux, ministre de la justice et à Me C...A....

Délibéré après l'audience publique du 10 mai 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Michel Hoffmann, président de chambre,

- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- M. Laurent Domingo, premier conseiller.

Lu en audience publique le 24 mai 2016.

Le rapporteur,

Signé : M. LAVAIL DELLAPORTALe président de chambre,

Signé : M. D...

Le greffier,

Signé : M.T. LEVEQUE

La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Marie-Thérèse Lévèque

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N°15DA00487


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 15DA00487
Date de la décision : 24/05/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

60-02-091 Responsabilité de la puissance publique. Responsabilité en raison des différentes activités des services publics. Services pénitentiaires.


Composition du Tribunal
Président : M. Hoffmann
Rapporteur ?: M. Marc (AC) Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Guyau
Avocat(s) : SELARL ETIENNE NOEL

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-05-24;15da00487 ?
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