Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... F...a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner l'Etat à lui verser la somme de 36 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait de son incarcération au sein de la maison d'arrêt de Rouen.
Par un jugement n° 1303502 du 25 août 2015, le tribunal administratif de Rouen a constaté la responsabilité de l'Etat et a fixé le montant de la réparation à 2 000 euros et a, après déduction de la provision de 2 000 euros versée par l'Etat suite à l'ordonnance du juge des référés du tribunal administratif de Rouen du 3 septembre 2012, rejeté la demande de M. F....
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 septembre 2015, M. F..., représenté par Me E...D..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rouen du 25 août 2015 ;
2°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 36 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il a subi du fait de ses conditions de détention au sein de la maison d'arrêt de Rouen ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- son enfermement avec deux autres codétenus dans une cellule de faible superficie et en mauvais état leur laissait un espace inférieur à 3 m² par détenu ce qui constituait un traitement inhumain et dégradant, en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et des dispositions des articles 716, D. 83 et D. 189 du code de procédure pénale ;
- les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ont été méconnues ;
- les locaux dans lesquels il a été détenu ne répondent pas aux exigences fixées par les articles D. 349, D. 350 et D. 351 du code de procédure pénale ;
- ses conditions de détention ont porté atteinte à sa dignité.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 mars 2017, le garde des Sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. F...ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code de la santé publique ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Lavail Dellaporta, président-rapporteur,
- et les conclusions de M. Jean-Marc Guyau, rapporteur public.
1. Considérant que, par un jugement du 25 août 2015, le tribunal administratif de Rouen a constaté la responsabilité de l'Etat et a fixé à 2 000 euros la somme due en réparation du préjudice moral subi par M.A... F... en raison de ses conditions de détention au sein de la maison d'arrêt de Rouen ; que ce dernier relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas fait droit à l'intégralité de sa demande indemnitaire ;
2. Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ; qu'aux termes de l'article D. 189 du code de procédure pénale, alors applicable : " A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale " ; qu'aux termes de l'article D. 349 du même code : " L'incarcération doit être subie dans des conditions satisfaisantes d'hygiène et de salubrité, tant en ce qui concerne l'aménagement et l'entretien des bâtiments, le fonctionnement des services économiques et l'organisation du travail, que l'application des règles de propreté individuelle et la pratique des exercices physiques " ; qu'aux termes des articles D. 350 et D. 351 du même code, d'une part, " les locaux de détention et, en particulier, ceux qui sont destinés au logement, doivent répondre aux exigences de l'hygiène, compte tenu du climat, notamment en ce qui concerne le cubage d'air, l'éclairage, le chauffage et l'aération " et, d'autre part, " dans tout local où les détenus séjournent, les fenêtres doivent être suffisamment grandes pour que ceux-ci puissent lire et travailler à la lumière naturelle. L'agencement de ces fenêtres doit permettre l'entrée d'air frais. La lumière artificielle doit être suffisante pour permettre aux détenus de lire ou de travailler sans altérer leur vue. Les installations sanitaires doivent être propres et décentes. Elles doivent être réparties d'une façon convenable et leur nombre proportionné à l'effectif des détenus " ;
3. Considérant que si la sur-occupation d'une seule et même cellule, par plusieurs détenus, peut, en raison des conditions et des modalités de cette occupation au regard notamment du nombre de détenus, de la superficie de cette cellule et des caractéristiques de ses aménagements, être de nature à établir l'existence de traitements inhumains et dégradants, le défaut de détention en cellule individuelle ne saurait, en tant que tel, constituer une violation de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'en outre, M. F... ne peut utilement se prévaloir des recommandations du Comité européen pour la prévention de la torture et des traitements inhumains et dégradants, selon lesquelles chaque détenu devrait disposer d'une superficie de 7 m², qui, en tout état de cause, n'ont qu'une valeur de recommandation, ni des principes affirmés par la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, indépendamment de toute appréciation concrète des modalités et conditions de détention effectives qui lui ont été réservées dans chacune des cellules qu'il a occupées et qui caractériseraient les atteintes invoquées ;
4. Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. F... a d'abord été incarcéré du 18 juillet au 13 novembre 2008 à la maison d'arrêt de Rouen ; qu'il a occupé, durant cette période, avec deux ou trois autres détenus les cellules 221 et 227 du bâtiment 3, qui ont une superficie de 12,21 et 12,08 m2, et dont les toilettes n'étaient séparées du reste de la cellule que par un muret bas ne permettant pas à des détenus amenés à vivre en cohabitation dans la même cellule de maintenir une intimité acceptable ; qu'en outre, ces cellules, dont les murs étaient couverts de suie et humides, ne disposaient pas d'une lumière naturelle et d'une aération suffisante ; que si l'administration soutient avoir entamé des travaux de rénovation des bâtiments dès 2007, elle n'établit pas que M. F... aurait bénéficié de ces travaux durant cette première période de détention ; que c'est par suite à juste titre que le tribunal administratif a estimé que la méconnaissance des dispositions précitées du code de procédure pénale constituait une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat pour cette première période d'incarcération ;
5. Considérant, en deuxième lieu, que le requérant a été de nouveau incarcéré à... ; qu'il résulte de l'instruction que, pendant la période du 26 janvier au 2 juillet 2009 et du 21 juillet 2009 au 28 janvier 2010, M. F... a occupé, avec un ou deux autres détenus, la cellule 227 du bâtiment 3, dont les toilettes n'étaient séparées du reste de la cellule que par un muret bas ne permettant pas à des détenus amenés à vivre en cohabitation dans la même cellule de maintenir une intimité acceptable, et ne disposait pas d'une lumière naturelle et d'une aération suffisante ; que, dès lors, et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Rouen, la responsabilité de l'Etat se trouvait engagée pour cette période de détention ; qu'en revanche, les cellules 233, 238 et 240 du bâtiment 3, occupées par l'intéressé seul ou avec un codétenu, durant les autres périodes de cette seconde incarcération étaient propres et disposaient de toilettes partiellement cloisonnées ; que l'absence de cloisonnement intégral et de ventilation spécifique des toilettes, qui a pour objectif de permettre à tout moment de contrôler la présence d'un détenu dans sa cellule, d'y pénétrer en cas d'urgence et de protéger les intéressés de toute tentative de suicide, était en partie compensée par la possibilité d'ouvrir les fenêtres ; que, dès lors, les conditions de détention du requérant durant ces autres périodes ne sont pas susceptibles d'engager la responsabilité de l'Etat ;
6. Considérant, en dernier lieu, que le requérant a été, une troisième fois, incarcéré à... ; que, durant cette période, M. F... a majoritairement occupé, seul ou avec un ou deux codétenus, des cellules dans un état correct, bénéficiant d'un éclairage et d'une aération suffisants, et disposant de toilettes partiellement cloisonnées, dans des conditions n'ouvrant pas droit à réparation ; qu'il résulte toutefois de l'instruction que, du 23 décembre 2011 au 6 janvier 2012, il était détenu dans la cellule 29 du bâtiment 2, d'une superficie de 11,02 m², avec deux codétenus ; que cette cellule disposait de toilettes qui n'étaient séparées du reste de la cellule que par un muret bas, ne permettant pas à des détenus amenés à vivre en cohabitation dans la même cellule de maintenir une intimité acceptable, et ne disposait pas d'une lumière naturelle et d'une aération suffisante ; que l'administration n'établit pas que des travaux y auraient été effectués avant ou pendant la période de détention de M. F..., alors que la cellule était signalée comme étant " à rafraîchir " dans l'état des lieux du 21 janvier 2011 ; que, dès lors, et ainsi que l'a jugé le tribunal administratif de Rouen, la responsabilité de l'Etat se trouvait engagée pour cette période de détention ;
7. Considérant que si M. F...fait valoir qu'il était contraint d'utiliser un système de chauffe-plat fabriqué par ses soins, dont la sécurité n'était pas assurée, il résulte de l'instruction que l'administration fournissait aux détenus des repas chauds en quantité suffisante ; qu'eu égard tant aux conditions matérielles d'incarcération décrites précédemment qu'à la durée de la détention dans des cellules dépourvues d'intimité minimale et d'aération suffisante, le tribunal administratif de Rouen n'a pas fait une insuffisante appréciation des circonstances de l'espèce en condamnant l'Etat à verser au requérant une indemnité de 2 000 euros ;
8. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen n'a fait que partiellement droit à sa demande d'indemnisation du fait de ses conditions de détention au sein de la maison d'arrêt de Rouen ; que, par voie de conséquence, il y a également lieu de rejeter ses conclusions présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... F...et au garde des Sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience publique du 14 mars 2017 à laquelle siégeaient :
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,
- Mme C...B..., première conseillère,
- M. Rodolphe Féral, premier conseiller.
Lu en audience publique le 28 mars 2017.
Le premier conseiller le plus ancien,
Signé : M. B...Le président-rapporteur,
Signé : M. G...
Le greffier,
Signé : M.T. LEVEQUE
La République mande et ordonne au garde des Sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
Marie-Thérèse Lévèque
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N°15DA01550