Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure:
M. C...D...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 22 janvier 2018 par lequel le préfet du Nord a décidé son transfert aux autorités finlandaises et l'a assigné à résidence pour une durée de quarante-cinq jours.
Par un jugement n° 1800741 du 14 février 2018, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 18 avril 2018, M.D..., représenté par Me B...E..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Lille du 14 février 2018 ;
2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;
3°) d'enjoindre au préfet de produire l'entier dossier le concernant.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;
- le règlement d'exécution (UE) n°118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. F...Albertini, président-rapporteur, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M.D..., ressortissant irakien né le 10 juillet 1994, a demandé l'asile en France le 21 décembre 2017, après y être entré irrégulièrement. L'introduction dans le fichier Eurodac des empreintes digitales de l'intéressé ayant montré que celui-ci avait déjà fait l'objet d'un relevé d'empreintes lorsqu'il avait demandé l'asile en Finlande, le 29 septembre 2015, puis en Allemagne, le 14 mars 2017, les autorités finlandaises, sur la demande du préfet du Nord, ont accepté la reprise en charge de M. D...le 8 janvier 2018. Par un arrêté du 22 janvier 2018, le préfet du Nord a décidé de le transférer en Finlande et de l'assigner à résidence pour une durée de quarante-cinq jours. M. D...relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.
2. Eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. Par un arrêté du 14 décembre 2017, régulièrement publié au recueil spécial des actes du département n° 282 du 18 décembre 2017, le préfet du Nord a donné délégation, à Mme A...G..., attachée d'administration de l'Etat, adjointe au chef du bureau de l'asile à la préfecture du Nord, signataire de l'arrêté en litige, à l'effet de signer, notamment, la décision attaquée. Le moyen d'incompétence du signataire de la décision litigieuse, qui manque en fait, doit donc être écarté.
3. Aux termes de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen. / Toute décision de transfert fait l'objet d'une décision écrite motivée prise par l'autorité administrative. (...) ".
4. La décision de transfert d'un demandeur d'asile en vue de sa reprise en charge par un autre Etat membre doit être suffisamment motivée, afin de le mettre à même de critiquer l'application du critère de détermination de l'Etat responsable de sa demande et, ainsi, d'exercer le droit à un recours effectif garanti par les dispositions de l'article 27 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, elle doit comporter, d'une part, tous les éléments de preuves et indices qui permettent de déterminer la responsabilité de l'Etat membre requis pour l'examen de la demande de protection internationale et, d'autre part, l'article du règlement sur la base duquel la requête aux fins de reprise en charge a été présentée audit Etat membre, parmi ceux visés à l'annexe III du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014.
5. L'arrêté du 22 janvier 2018 en litige, qui vise le règlement du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013, après avoir précisé les circonstances de l'entrée et du séjour irrégulier de M. D...sur le territoire français, de sa demande d'asile et du relevé de ses empreintes digitales, le 21 décembre 2017, énonce qu'il avait, auparavant, demandé l'asile en Finlande, le 29 septembre 2015, sous le n° FI 1 02244186, puis en Allemagne, le 14 mars 2017. sous le n° DA 1 170314XXX00541. Elle précise aussi que les autorités finlandaises, saisies le 3 janvier 2018 d'une demande de reprise en charge par le préfet du Nord, en application de l'article 18 paragraphe 1 point b) du règlement n°604/2013 et l'article 23 du même règlement, ont accepté leur responsabilité par un accord explicite du 8 janvier 2018. Ces énonciations, qui font état des éléments et indices permettant de déterminer la responsabilité des autorités finlandaises, requises aux fins de reprise en charge de l'intéressé, l'ont mis à même de comprendre les motifs de la décision en litige pour lui permettre d'exercer utilement son recours. Dès lors, la décision attaquée est suffisamment motivée au regard des exigences des dispositions de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.
6. Aux termes de l'article 5 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Afin de faciliter le processus de détermination de l'Etat membre responsable, l'Etat membre procédant à cette détermination mène un entretien individuel avec le demandeur. Cet entretien permet également de veiller à ce que le demandeur comprenne correctement les informations qui lui sont fournies conformément à l'article 4. (...) 4. L'entretien individuel est mené dans une langue que le demandeur comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'il la comprend et dans laquelle il est capable de communiquer. Si nécessaire, les Etats membres ont recours à un interprète capable d'assurer une bonne communication entre le demandeur et la personne qui mène l'entretien individuel. 5. L'entretien individuel a lieu dans des conditions garantissant dûment la confidentialité. Il est mené par une personne qualifiée en vertu du droit national. ( ...) " ;
7. Il ressort des pièces du dossier que M. D...a bénéficié, le 19 septembre 2017, d'un entretien individuel dans des conditions en garantissant la confidentialité, assisté d'un interprète en langue kurde-sorani, qu'il a déclaré comprendre, au cours duquel il a pu être vérifié qu'il avait correctement compris les informations dont il devait avoir connaissance, l'entretien s'inscrivant dans un processus de détermination de l'Etat membre de l'Union européenne responsable de l'examen de sa demande d'asile. Il n'est en outre pas sérieusement contesté par l'intéressé qu'il a été reçu par un agent de la préfecture du Nord, dans ses locaux. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 5 du règlement du 26 juin 2013 précité manque en fait.
8. Aux termes de l'article 29 - Droits des personnes concernées - du règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 relatif à la création d'Eurodac pour la comparaison des empreintes digitales aux fins de l'application efficace du règlement (UE) n° 604/213 : " 1. Toute personne relevant de l'article 9, paragraphe 1, de l'article 14, paragraphe 1, ou de l'article 17, paragraphe 1, est informée par l'Etat membre d'origine par écrit et, si nécessaire, oralement, dans une langue qu'elle comprend ou dont on peut raisonnablement supposer qu'elle la comprend : / a) de l'identité du responsable du traitement au sens de l'article 2, point d), de la directive 95/46/CE, et de son représentant, le cas échéant ; / b) de la raison pour laquelle ses données vont être traitées par Eurodac, y compris une description des objectifs du règlement (UE) n° 604/2013, conformément à l'article 4 dudit règlement, et des explications, sous une forme intelligible, dans un langage clair et simple, quant au fait que les Etats membres et Europol peuvent avoir accès à Eurodac à des fins répressives ; / c) des destinataires des données ; / d) dans le cas des personnes relevant de l'article 9, paragraphe 1, ou de l'article 14, paragraphe 1, de l'obligation d'accepter que ses empreintes digitales soient relevées ; / (...) ".
9. Il ressort des pièces du dossier que M.D..., dont les empreintes digitales ont été relevées le 21 décembre 2017, a aussi bénéficié, le même jour d'un entretien individuel en langue kurde-sorani, assisté d'un interprète. A cette occasion il s'est vu remettre, en langue anglaise, à défaut de documents en langue kurde-sorani, le guide du demandeur d'asile par le truchement de l'interprète, ainsi que, cette fois en langue kurde-sorani une brochure d'information " A " relative à la détermination de l'Etat responsable et une brochure " B " concernant la procédure Dublin du règlement (UE)° n°604/2013, comportant les informations prévues par les dispositions citées au point 8 de l'article 29 du règlement (UE) n°603/2013.Le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit, dès lors, être écarté.
10. Il ressort aussi des pièces du dossier, et notamment de la fiche Eurodac produite par le préfet, que M. D...a été enregistré dans cette base, le 28 septembre 2015, par les autorités finlandaises, sous le code 1 en tant que demandeur d'asile, et, au demeurant, que lors de l'entretien individuel dont il a bénéficié en préfecture, M.D..., a déclaré qu'il avait demandé l'asile en Finlande. Le moyen tiré de l'erreur de droit et d'une erreur de fait, faute de preuve de demande d'asile présentée en Finlande par M.D..., doit, par suite, être écarté.
11. Aux termes du paragraphe 1 de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsque l'Etat membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'Etat membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'Etat membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale ". Le paragraphe 1 de l'article 27 de ce règlement prévoit, pour sa part, que le demandeur " dispose d'un droit de recours effectif, sous la forme d'un recours contre la décision de transfert ou d'une révision, en fait et en droit, de cette décision devant une juridiction ". Il résulte de ces dispositions que pour pouvoir procéder au transfert d'un demandeur d'asile vers un autre Etat membre en mettant en oeuvre ces dispositions du règlement, et en l'absence de dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile organisant une procédure différente, l'autorité administrative doit obtenir l'accord de l'Etat responsable de l'examen de la demande d'asile avant de pouvoir prendre une décision de transfert du demandeur d'asile vers cet Etat. Une telle décision de transfert ne peut donc être prise, et a fortiori être notifiée à l'intéressé, qu'après l'acceptation de la prise en charge par l'Etat requis.
12. La demande de reprise en charge de M. D...a été formée le 3 janvier 2018 par le préfet du Nord auprès des autorités finlandaises par l'intermédiaire du réseau de communication " DubliNet" qui permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile. Les autorités finlandaises ont ensuite accepté expressément cette demande, le 8 janvier 2018, avant le prononcé de la décision en litige. Par suite, la décision de transfert du 22 juillet 2018 ne méconnaît pas les dispositions précitées de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013.
13. Aux termes de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 susvisé : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement (...) ".
14. La faculté laissée à chaque Etat membre, par l'article 17 de ce règlement, de décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement, est discrétionnaire et ne constitue nullement un droit pour les demandeurs d'asile. Il ne ressort pas du dossier que le requérant aurait porté à la connaissance du préfet, avant l'édiction de l'arrêté en litige, des éléments relatifs à sa situation personnelle de nature à justifier la mise en oeuvre, à titre dérogatoire, des dispositions précitées. Le préfet du Nord, qui a pris connaissance des observations formulées par M. D...concernant les craintes exprimées pour sa personne en cas de retour en Finlande, a estimé que cet Etat, membre de l'Union européenne et partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, était en mesure d'offrir toutes les garanties exigées par le droit d'asile. M. D...n'apporte en outre aucun élément lui permettant de justifier d'une impossibilité de retourner en Finlande, où il n'établit pas qu'il serait exposé à des risques personnels constitutifs d'une atteinte grave au droit d'asile. En conséquence, en ne mettant pas en oeuvre la procédure dérogatoire prévue par les dispositions précitées de l'article 17 du règlement (UE) du 26 juin 2013, le préfet du Nord n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation.
15 Aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants " .
16. Si M. D...soutient qu'il craint pour son intégrité physique et sa sécurité en cas de retour dans son pays d'origine en raison des défaillances systémiques du système d'asile en Finlande, ce moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté, pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 14.
17. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'enjoindre au préfet de produire l'entier dossier, que M. D...n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'annulation ainsi que celles présentées au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D...est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...D..., au ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et à Me B...E....
Copie en sera adressée pour information au préfet du Nord.
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N°18DA00797
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