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22/11/2018 | FRANCE | N°17DA01309

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3, 22 novembre 2018, 17DA01309


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 mai 2017 du préfet du Pas-de-Calais lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un an et ordonnant son placement en rétention.

Par un jugement n° 1704770 du 1er juin 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal admi

nistratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...B...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 26 mai 2017 du préfet du Pas-de-Calais lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un an et ordonnant son placement en rétention.

Par un jugement n° 1704770 du 1er juin 2017, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il porte obligation de quitter le territoire français sans délai, fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement et prononce une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an, a enjoint au préfet du Pas-de-Calais de réexaminer la situation de M. B...dans un délai de quinze jours à compter de la signification du jugement et, dans l'attente, de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 4 juillet 2017, le préfet du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 1er juin 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille ;

2°) de rejeter la demande de M. B...devant ce tribunal.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention de Genève du 28 juillet 1951 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A...B..., ressortissant turc né le 3 mars 1987, a été interpellé le 25 mai 2017 dans la zone d'accès restreint du port de Calais, dissimulé dans un camion en partance vers la Grande-Bretagne. Démuni de tout document pour entrer ou séjourner en France, il a fait l'objet d'un arrêté du 26 mai 2017 du préfet du Pas-de-Calais, notifié le même jour à 11 h 50, lui faisant obligation de quitter sans délai le territoire français, fixant le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office, lui interdisant le retour sur le territoire français pour une durée d'un an et ordonnant son placement en rétention pour une durée de quarante-huit heures. Le préfet du Pas-de-Calais relève appel du jugement du 1er juin 2017 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé cet arrêté en tant qu'il porte obligation pour M. B...de quitter le territoire français sans délai, fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement et prononce une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

2. Il ressort des pièces du dossier que le 31 mai 2017, dernier jour de son placement en rétention, M. B...a introduit une demande d'asile, transmise le 1er juin 2017 à l'Office français des réfugiés et apatrides (OFPRA), alors qu'il avait auparavant clairement manifesté son intention de rejoindre la Grande-Bretagne en se cachant dans un ensemble routier. M. B...n'a ensuite entrepris aucune autre démarche en France. Sa demande d'asile, formulée cinq jours après la notification de l'arrêté contesté, constituait, dès lors, une demande dilatoire ayant pour seul but de lui permettre de se maintenir en France et de faire échec à la mesure d'éloignement dont il fait l'objet. Le préfet du Pas-de-Calais est, dès lors, fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé son arrêté en tant qu'il fait obligation à M. B...de quitter sans délai le territoire français, qu'il fixe le pays de destination de la mesure d'éloignement et qu'il prononce une interdiction de retour sur le territoire français pour une durée d'un an.

3. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. B...à l'encontre de l'arrêté en litige.

Sur les moyens communs aux différentes décisions :

4. Eu égard au caractère réglementaire des arrêtés de délégation de signature, soumis à la formalité de publication, le juge peut, sans méconnaître le principe du caractère contradictoire de la procédure, se fonder sur l'existence de ces arrêtés alors même que ceux-ci ne sont pas versés au dossier. Mme F...E..., adjointe au chef de bureau de l'immigration et de l'intégration de la préfecture du Pas-de-Calais, dispose d'une délégation de signature du 20 mars 2017, par arrêté régulièrement publié au recueil spécial des actes administratifs n° 24 du même jour, à l'effet de signer les décision attaquées. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte manque en fait et doit être écarté.

5. Les décisions contestées comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles le préfet du Pas-de-Calais s'est fondé. Le moyen tiré du défaut de motivation doit être écarté.

Sur l'obligation de quitter le territoire :

6. Si, aux termes de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ", il résulte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne que cet article s'adresse non pas aux Etats membres mais uniquement aux institutions, organes et organismes de l'Union. Ainsi, le moyen tiré de leur méconnaissance par une autorité d'un Etat membre est inopérant.

7. M. B...ne peut utilement se prévaloir du principe de non-refoulement énoncé par les stipulations de l'article 33 de la convention de Genève, dès lors que l'obligation de quitter le territoire français n'a pas pour objet de déterminer le pays à destination duquel il sera renvoyé et n'a pas non plus pour effet de le contraindre à retourner dans son pays d'origine. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces stipulations doit être écarté.

8. L'arrêté du 26 mai 2017 en litige décide qu'il est fait obligation à M. B...de quitter le territoire français à destination de la Turquie ou de tout autre pays où il établirait être légalement admissible. M. B...n'établit pas que sa vie ou sa liberté y seraient menacées ou qu'il y encourrait des risques d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants du fait de son appartenance à la communauté kurde ou de son choix d'être objecteur de conscience. Dès lors, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commis le préfet du Pas-de-Calais doit être écarté. Au demeurant, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, par une décision du 20 juin 2018, a clôturé la procédure de demande d'asile de M. B...sur le fondement des dispositions de l'article L. 723-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. Il résulte de tout ce qui précède que M. B...n'est pas fondé à soutenir que la décision d'obligation de quitter le territoire français serait illégale.

Sur la décision portant refus de délai de départ volontaire :

10. Il résulte de ce qui a été dit au point 9 que M. B...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français à l'encontre de la décision portant refus de délai de départ volontaire.

11. Aux termes des dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : / (...) / 3° S'il existe un risque que l'étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / a) Si l'étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour ; / (...) ".

12. Il ressort des pièces du dossier que M. B...ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français et n'a pas sollicité la délivrance d'un titre de séjour. Dès lors, il entre dans le champ des dispositions citées au point précédent qui permettent au préfet du Pas-de-Calais de l'obliger à quitter le territoire français sans délai. Il ne se prévaut d'aucune circonstance particulière qui aurait justifié de lui octroyer un délai de départ volontaire. Par suite, le préfet n'a pas méconnu les dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur la décision fixant le pays de destination :

13. Ainsi qu'il est dit au point 8, M. B...n'établit pas que sa vie ou sa liberté seraient menacées ou qu'il encourrait des risques d'être exposé à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Turquie du fait de son appartenance à la communauté kurde ou de son choix d'être objecteur de conscience. Il ne produit aucun élément de nature à établir la réalité des risques personnels, direct et actuel qu'il encourait en cas de retour dans son pays d'origine. Dans ces conditions, l'arrêté du 26 mai 2017 du préfet de Pas-de-Calais ne méconnaît ni les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni les dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Sur l'interdiction de retour sur le territoire français :

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 9 et 12 que M. B...n'est pas fondé à exciper de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français et de l'illégalité du refus de délai de départ volontaire à l'encontre de la décision d'interdiction de retour sur le territoire français.

15. Contrairement à ce qu'il soutient, M. B...a été informé, par les articles 2 et 4 de la décision litigieuse, qu'il faisait l'objet d'un signalement aux fins de non-admission dans le système d'information Schengen, conformément à l'article 96 de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 et de la possibilité d'exercer un droit d'accès aux informations. Par suite, le moyen tiré du défaut d'information complète quant à l'enregistrement aux fins de non-admission doit être écarté.

16. Il ressort des termes mêmes des dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que l'autorité compétente doit, pour décider de prononcer à l'encontre de l'étranger soumis à l'obligation de quitter le territoire français une interdiction de retour et en fixer la durée, tenir compte, dans le respect des principes constitutionnels, des principes généraux du droit et des règles résultant des engagements internationaux de la France, des quatre critères qu'elles énumèrent, sans pouvoir se limiter à ne prendre en compte que l'un ou plusieurs d'entre eux. La décision d'interdiction de retour doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement, de sorte que son destinataire puisse à sa seule lecture en connaître les motifs. Si cette motivation doit attester de la prise en compte par l'autorité compétente, au vu de la situation de l'intéressé, de l'ensemble des critères prévus par la loi, aucune règle n'impose que le principe et la durée de l'interdiction de retour fassent l'objet de motivations distinctes, ni que soit indiquée l'importance accordée à chaque critère.

17. Il ressort des pièces du dossier que M. B...est entré irrégulièrement sur le territoire français et y séjournait, selon ses déclarations lors de son audition par les services de police, depuis quelques jours lorsqu'il a été interpellé. Il n'a pas cherché à régulariser sa situation, ne se prévaut d'aucune attache privée et familiale en France et indique que son objectif était de gagner la Grande-Bretagne. Par suite, en prononçant à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an, le préfet du Pas-de-Calais n'a pas entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation.

18. Il résulte de tout ce qui précède qu'aucun des moyens soulevés par M. B...à l'encontre de l'arrêté préfectoral n'est fondé. Par suite, le préfet du Pas-de-Calais est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a annulé l'arrêté en litige. Par voie de conséquence, les conclusions de M. B...à fin d'injonction et celles tendant à l'application de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 1er juin 2017 du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 2 : La demande de M. B...devant le tribunal administratif de Lille est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A...B..., au ministre de l'intérieur et à Me C...D....

Copie en sera adressée, pour information, au préfet du Pas-de-Calais

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N°17DA01309

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 17DA01309
Date de la décision : 22/11/2018
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Jean-Jacques Gauthé
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : CABARET

Origine de la décision
Date de l'import : 11/12/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2018-11-22;17da01309 ?
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