Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen de condamner la commune de Bolbec à lui verser la somme de 50 000 euros assortie des intérêts à compter du 14 août 2015 ainsi que de leur capitalisation à compter du 14 août 2016, en réparation des préjudices qu'elle a subis et de mettre à la charge de la commune de Bolbec la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que les entiers dépens.
Par un jugement n° 1604132 du 18 février 2019, le tribunal administratif de Rouen a condamné la commune de Bolbec à verser la somme de 500 euros à Mme A..., en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 août 2015, date de la réception de sa demande indemnitaire préalable par les services de la commune de Bolbec ainsi que leur capitalisation à compter du 27 décembre 2016, date à laquelle celle-ci a été demandée et date à laquelle était due au moins une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure et mis à la charge de la commune de Bolbec la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 15 avril 2019, Mme A..., représentée par Me E..., demande à la cour :
1°) de réformer le jugement du tribunal administratif de Rouen du 18 février 2019 en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande d'indemnisation ;
2°) de condamner la commune de Bolbec à lui verser, à titre de dommages et intérêts, les sommes de 30 000 euros pour le préjudice moral enduré et de 20 000 euros pour les troubles subis dans les conditions d'existence, assorties de la capitalisation des intérêts à compter du 14 avril 2016 ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Bolbec une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ainsi que de la condamner aux entiers dépens.
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Vu le mémoire, enregistré le 9 novembre 2020, présenté par le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- le décret n° 85-603 du 10 juin 1985 ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme A..., qui exerce les fonctions d'agent territorial spécialisé dans les écoles maternelles au sein de la commune de Bolbec depuis 1978, occupait un poste au sein de l'école Desgenetais depuis 1983. Elle a été placée en congé de longue durée du 27 septembre 2011 au 31 août 2014. Par un arrêté du 18 décembre 2014, la maladie déclarée par l'intéressée le 31 mars 2013 a été reconnue comme imputable au service. Mme A... a, le 14 août 2015, sollicité auprès de la commune de Bolbec la réparation des préjudices qu'elle a subis. Sa demande est restée sans réponse. Elle a été radiée des cadres pour invalidité à compter du 13 mai 2016. Par un jugement du 18 février 2019, le tribunal administratif de Rouen a condamné la commune de Bolbec à verser à Mme A... la somme de 500 euros en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'elle a subis. Mme A... relève appel de ce jugement en tant qu'il n'a pas entièrement fait droit à sa demande d'indemnisation s'élevant à 50 000 euros.
Sur la fin de non-recevoir opposée par la commune de Bolbec :
2. Il résulte du principe de sécurité juridique que le destinataire d'une décision administrative individuelle qui a reçu notification de cette décision ou en a eu connaissance dans des conditions telles que le délai de recours contentieux ne lui est pas opposable doit, s'il entend obtenir l'annulation ou la réformation de cette décision, saisir le juge dans un délai raisonnable, qui ne saurait, en règle générale et sauf circonstances particulières, excéder un an. Toutefois, cette règle ne trouve pas à s'appliquer aux recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique qui, s'ils doivent être précédés d'une réclamation auprès de l'administration, ne tendent pas à l'annulation ou à la réformation de la décision rejetant tout ou partie de cette réclamation mais à la condamnation de la personne publique à réparer les préjudices qui lui sont imputés. La prise en compte de la sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause indéfiniment des situations consolidées par l'effet du temps, est alors assurée par les règles de prescription prévues par la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ou, en ce qui concerne la réparation des dommages corporels, par l'article L. 1142-28 du code de la santé publique.
3. Il résulte de ce qui vient d'être dit au point 2 que la circonstance que la demande de Mme A... n'ait été enregistrée que le 27 décembre 2016 devant le tribunal administratif de Rouen, soit plus d'un an après la décision rejetant implicitement sa demande indemnitaire, est sans incidence sur la recevabilité de son recours tendant à engager la responsabilité de la commune de Bolbec. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par cette dernière doit être écartée.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
4. Compte tenu des conditions posées à son octroi et de son mode de calcul, l'allocation temporaire d'invalidité doit être regardée comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions qui instituent ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Elles ne font en revanche pas obstacle à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice. Elles ne font pas non plus obstacle à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette personne ou à l'état d'un ouvrage public dont l'entretien lui incombait.
En ce qui concerne la responsabilité sans faute :
5. Il résulte de l'instruction, notamment de l'expertise médicale établie le 24 janvier 2014, que Mme A... présente des troubles anxio-dépressifs et qu'elle suit un traitement médical composé d'un antidépresseur et d'un anxiolytique. Par ailleurs, l'expertise médicale réalisée le 6 septembre 2014 fait état de la diminution de l'élan vital de l'intéressée, de son sommeil perturbé par des insomnies, de ruminations mentales au quotidien ainsi que de crises d'angoisse régulières prenant également un aspect agoraphobique, ces différents symptômes trouvant leur origine dans son précédent emploi au sein de l'école Desgenetais. En outre, Mme A... produit de nombreuses attestations faisant état de la dégradation de son état de santé et de l'arrêt d'activités de loisirs qu'elle réalisait jusqu'alors. Dans ces conditions, le lien entre le syndrome anxio-dépressif dont souffre la requérante, qui a été reconnu comme imputable au service, et le préjudice moral ainsi que les troubles dans les conditions d'existence qu'elle invoque pouvant être regardé comme établi, il sera fait une juste appréciation de ces chefs de préjudice en portant l'indemnité allouée à ce titre par le tribunal administratif de Rouen, à la somme de 1 000 euros.
En ce qui concerne la responsabilité pour faute :
6. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". L'article 23 de la même loi dispose que : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail. " Aux termes de l'article 2-1 du décret du 10 juin 1985 relatif à l'hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu'à la médecine professionnelle et préventive dans la fonction publique territoriale : " Les autorités territoriales sont chargées de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité ".
7. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
8. Si, comme le fait valoir la commune de Bolbec, sa responsabilité ne saurait être engagée du fait du caractère fautif du comportement attribué au directeur de l'école maternelle dans laquelle travaillait Mme A..., car il est agent de l'Etat, il résulte des dispositions citées au point 6, qu'en sa qualité d'employeur, la commune de Bolbec est tenue de protéger la santé de ses agents notamment contre des agissements constitutifs de harcèlement moral.
9. Il résulte de l'instruction, et notamment du courrier du 8 octobre 2011 adressé par Mme A... et deux de ses collègues au maire de Bolbec, ainsi que de la plainte qu'elle a déposée le 27 juin 2012, que la requérante fait état de tensions entre elle et deux autres collègues avec le directeur de l'école maternelle, ainsi que de propos et d'actes inappropriés à compter du mois d'avril 2011. La commune de Bolbec fait valoir que le directeur de l'école maternelle a fait parvenir au maire de Bolbec, le 1er mai 2011, un courrier relatant sa version des faits, soulignant les difficultés auxquelles il était confronté depuis plusieurs années avec certains agents territoriaux spécialisés dans les écoles maternelles, dont Mme A.... Il résulte également de l'instruction que, la commune de Bolbec a organisé une médiation au cours du mois de mai 2011 à laquelle participaient Mme A..., le directeur de l'école maternelle ainsi que trois agents de la commune de Bolbec dont l'adjoint au maire chargé du personnel, puis qu'un entretien a également eu lieu, le 5 octobre 2011, entre l'intéressée et le maire de Bolbec. Dans ces conditions, si Mme A... a été placée en congé de maladie à compter du 27 septembre 2011, congé dont l'imputabilité au service a été reconnue, il n'apparaît pas que la commune de Bolbec disposait d'éléments caractérisant des faits constitutifs d'un harcèlement moral, de sorte que cette dernière ne peut être regardée comme ayant commis une faute et méconnu son obligation de protection de la santé de ses agents.
10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen n'a pas fixé l'indemnisation à laquelle elle peut prétendre à la somme de 1 000 euros.
En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :
11. Mme A... a droit aux intérêts au taux légal sur la somme de 1 000 euros à compter du 17 août 2015, date de la réception de sa demande indemnitaire préalable par la commune de Bolbec, ainsi que leur capitalisation à compter du 27 décembre 2016, date à laquelle celle-ci a été demandée et à laquelle était due au moins une année d'intérêts, puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
En ce qui concerne les conclusions d'appel incident :
12. Il résulte de ce qui précède, et notamment du point 5 du présent arrêt, que les conclusions d'appel incident de la commune de Bolbec tendant à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 18 février 2019 et au rejet de la demande introduite par Mme A... devant le tribunal doivent être rejetées.
En ce qui concerne les conclusions d'appel provoqué :
13. Si la commune de Bolbec demande à ce que l'Etat la garantisse des condamnations prononcées à son encontre, il résulte de ce qui a été dit précédemment que la somme de 1 000 euros mise à la charge de la commune vise à indemniser Mme A... des préjudices personnels subis du fait de sa maladie imputable au service et non des agissements fautifs attribués au directeur de l'école maternelle, fonctionnaire de l'Etat, dans laquelle elle travaillait. Dans ces conditions, la commune de Bolbec n'est pas fondée à appeler l'Etat à la garantir de la condamnation prononcée à son encontre.
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 7611 du code de justice administrative :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais exposés par la commune de Bolbec et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Bolbec une somme de 1 500 euros à verser à Mme A... au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 500 euros que la commune de Bolbec a été condamnée à verser à Mme A... par l'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen du 18 février 2019, en réparation des préjudices personnels subis du fait de sa maladie imputable au service, est portée à la somme de 1 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 17 août 2015 ainsi que de leur capitalisation à compter du 27 décembre 2016 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.
Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Rouen en date du 18 février 2019 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Bolbec versera la somme de 1 500 euros à Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Les conclusions d'appel incident et d'appel provoqué présentées par la commune de Bolbec ainsi que celles qu'elle a présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Me F... E... pour Mme C... A..., à Me B... D... pour la commune de Bolbec et au ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et des sports.
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N°19DA00891
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