Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La fédération des entreprises de boulangerie a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 25 mars 2016 par laquelle le préfet de l'Eure a rejeté implicitement sa demande d'abrogation, reçue le 25 janvier 2016, de l'arrêté du préfet de l'Eure du 9 octobre 1996 ordonnant dans ce département un jour de fermeture au public par semaine des établissements, parties d'établissements et dépôts, fixes ou ambulants, employant ou non des salariés, dans lesquels s'effectuent la vente, la distribution ou la livraison de pain et viennoiserie, d'enjoindre au préfet de l'Eure d'abroger cet arrêté et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa demande d'abrogation, dans un délai d'un mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre à la charge de la maison de la boulangerie-pâtisserie artisanale de l'Eure la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1701717 du 23 avril 2019, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés les 25 juin 2019, 25 novembre 2019 et 22 octobre 2020, la fédération des entreprises de boulangerie, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 23 avril 2019 ;
2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de l'Eure a refusé d'abroger l'arrêté en date du 9 octobre 1996 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure d'abroger l'arrêté en date du 9 octobre 1996 dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ; à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de l'Eure de réexaminer sa demande d'abrogation de l'arrêté du 9 octobre 1996, sous les mêmes conditions ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 4 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de rejeter la demande présentée sur ce même fondement à son encontre par la maison de la boulangerie-pâtisserie artisanale de l'Eure.
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Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le décret n° 2020-1406 du 18 novembre 2020 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me D..., représentant la fédération des entreprises de boulangerie, et de Me B..., représentant la maison de la boulangerie-pâtisserie artisanale de l'Eure.
Considérant ce qui suit :
1. Par un arrêté du 9 octobre 1996, intervenu à la suite d'un accord conclu le 7 octobre 1996 entre certains syndicats d'employeurs et de travailleurs concernés, le préfet de l'Eure a prescrit la fermeture au public, un jour par semaine, des établissements ou parties d'établissements dans lesquels s'effectue la vente, la distribution ou la livraison de pain et viennoiserie. La fédération des entrepreneurs de boulangerie a, par un courrier réceptionné le 25 janvier 2016, demandé à ce qu'une consultation de l'ensemble des organisations professionnelles intéressées soit réalisée et l'abrogation de cet arrêté préfectoral. La fédération des entreprises de boulangerie relève appel du jugement du 23 avril 2019 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite de refus opposée par le préfet de l'Eure.
Sur l'intervention de la maison de la boulangerie-pâtisserie artisanale de l'Eure :
2. La maison de la boulangerie-pâtisserie artisanale de l'Eure ayant intérêt au maintien de l'arrêté dont l'abrogation est demandée, son intervention est recevable.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. Aux termes de l'article L. 3132-29 du code du travail : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. Ces dispositions ne s'appliquent pas aux activités dont les modalités de fonctionnement et de paiement sont automatisées. / A la demande des organisations syndicales représentatives des salariés ou des organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique, le préfet abroge l'arrêté mentionné au premier alinéa, sans que cette abrogation puisse prendre effet avant un délai de trois mois. "
4. Il résulte de l'article L. 3132-29 du code du travail que la fermeture au public des établissements d'une profession ne peut légalement être ordonnée, par arrêté préfectoral, sur la base d'un accord syndical que dans la mesure où cet accord correspond pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire dans la zone géographique considérée et dont l'établissement ou une partie de celui-ci est susceptible d'être fermé. L'existence de cette majorité est vérifiée lorsque les entreprises adhérentes à la ou aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables exploitent la majorité des établissements intéressés ou que la consultation de l'ensemble des entreprises concernées a montré que l'accord recueillait l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité des établissements intéressés.
En ce qui concerne les négociations préalables à l'arrêté du 9 octobre 1996 :
5. Si, dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre la décision refusant d'abroger un acte réglementaire, la légalité des règles fixées par celui-ci, la compétence de son auteur et l'existence d'un détournement de pouvoir peuvent être utilement critiquées, il n'en va pas de même des conditions d'édiction de cet acte, les vices de forme et de procédure dont il serait entaché ne pouvant être utilement invoqués que dans le cadre du recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'acte réglementaire lui-même et introduit avant l'expiration du délai de recours contentieux.
6. La fédération des entreprises de boulangerie soutient que les négociations préalables à l'édiction de l'arrêté préfectoral du 9 octobre 1996 ont été irrégulières. Toutefois, un tel moyen tiré d'un vice de procédure ne saurait être utilement invoqué dans le cadre d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre un refus d'abrogation.
En ce qui concerne les consultations prévues par l'article R. 3132-22 du code du travail :
7. Aux termes de l'article R. 3132-22 du code du travail : " Lorsqu'un arrêté préfectoral de fermeture au public, pris en application de l'article L. 3132-29, concerne des établissements concourant d'une façon directe à l'approvisionnement de la population en denrées alimentaires, il peut être abrogé ou modifié par le ministre chargé du travail après consultation des organisations professionnelles intéressées. / Cette décision ne peut intervenir qu'après l'expiration d'un délai de six mois à compter de la mise en application de l'arrêté préfectoral. ".
8. Il résulte du second alinéa de l'article L. 3132-29 du code du travail que, depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015, seul le préfet a compétence pour se prononcer sur une demande d'abrogation ou de modification d'un arrêté de fermeture au public des établissements d'une profession dans un secteur géographique formée par une organisation syndicale représentative de salariés ou d'employeurs lorsque figure, au nombre des motifs fondant la demande, l'invocation de la modification de la volonté de la majorité des membres de la profession. En conséquence, l'article R. 3132-22 du code du travail, qui prévoit la compétence du ministre, doit être regardé comme ne régissant plus, à compter de cette date, cette hypothèse.
9. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le préfet de l'Eure n'aurait pas, à la suite de la demande d'abrogation de l'arrêté en litige réceptionnée le 25 janvier 2016, consulté les organisations professionnelles intéressées en méconnaissance de l'article R. 3132-22 du code du travail est inopérant dès lors que cet article ne concerne pas l'autorité préfectorale. Par suite, ce moyen doit être écarté.
En ce qui concerne les établissements concernés :
10. Contrairement à ce que soutient la fédération des entreprises de boulangeries, l'arrêté du préfet de l'Eure du 9 octobre 1996 délimite le champ professionnel concerné en des termes généraux. Il s'applique ainsi à tous les établissements et, le cas échéant, parties d'établissement du département pratiquant une activité de vente, distribution ou livraison de pain et de viennoiserie, à titre principal ou accessoire. Sont notamment concernés, outre les boulangeries, les établissements comprenant des " terminaux de cuisson, quelle que soit leur appellation " et ceux proposant des " dépôts de pain, sous quelque forme que ce soit ". En outre, la fédération requérante ne saurait utilement se prévaloir des circulaires du 19 septembre 1995 et du 6 juin 2000, et en particulier du modèle d'arrêté préfectoral qui leur est annexé, qui comportent des orientations générales adressées aux préfets pour les éclairer dans la mise en oeuvre de leur pouvoir et non des lignes directrices. Par suite, le moyen tiré de ce que le préfet aurait cantonné le champ de son arrêté aux seuls établissements exerçant une activité de vente de pain à titre principal et aurait ainsi fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 3132-29 du code du travail précité manque en fait et doit donc être écarté.
En ce qui concerne la volonté de la majorité des membres de la profession mentionnée par l'article L. 3132-29 du code du travail :
11. Aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. [...] "
12. En premier lieu, les dispositions du second alinéa de l'article L. 3132-29 du code du travail rappelées au point 3 concernent les demandes d'abrogation des arrêtés préfectoraux de fermeture hebdomadaire des établissements d'une profession d'une zone géographique concernée, émanant d'organisations professionnelles représentatives exprimant la volonté de la majorité des membres de cette profession. Ces dispositions ne font toutefois pas obstacle à ce que tout tiers puisse solliciter l'abrogation d'un tel arrêté auprès du préfet, qui est alors tenu d'y faire droit si les conditions prévues à l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration sont remplies, en particulier en cas de changement de la volonté de la majorité des établissements concernés. Ainsi, un tel moyen pouvait être utilement soulevé par la fédération des entreprises de boulangerie.
13. En second lieu, d'une part, l'effet utile de l'annulation pour excès de pouvoir du refus d'abroger un acte réglementaire illégal réside dans l'obligation, que le juge peut prescrire d'office en vertu des dispositions de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, pour l'autorité compétente, de procéder à l'abrogation de cet acte afin que cessent les atteintes illégales que son maintien en vigueur porte à l'ordre juridique. Il s'ensuit que, dans l'hypothèse où un changement de circonstances a fait cesser l'illégalité de l'acte réglementaire litigieux à la date à laquelle il statue, le juge de l'excès de pouvoir ne saurait annuler le refus de l'abroger. A l'inverse, si, à la date à laquelle il statue, l'acte réglementaire est devenu illégal en raison d'un changement de circonstances, il appartient au juge d'annuler ce refus d'abroger pour contraindre l'autorité compétente de procéder à son abrogation. Lorsqu'il est saisi de conclusions aux fins d'annulation du refus d'abroger un acte réglementaire, le juge de l'excès de pouvoir est conduit à apprécier la légalité de l'acte réglementaire dont l'abrogation a été demandée au regard des règles applicables à la date de sa décision.
14. D'autre part, il appartient au juge de l'excès de pouvoir de former sa conviction sur les points en litige au vu des éléments versés au dossier par les parties. S'il peut écarter des allégations qu'il jugerait insuffisamment étayées, il ne saurait exiger de l'auteur du recours qu'il apporte la preuve des faits qu'il avance. Le cas échéant, il revient au juge, avant de se prononcer sur une requête assortie d'allégations sérieuses non contredites par les éléments produits par l'administration en défense, de mettre en oeuvre ses pouvoirs généraux d'instruction et de prendre toutes mesures propres à lui procurer, par les voies de droit, les éléments de nature à lui permettre de former sa conviction, en particulier en exigeant de l'administration compétente la production de tout document susceptible de permettre de vérifier les allégations du demandeur.
15. En l'espèce, la fédération des entreprises de boulangerie soutient qu'il n'existait pas de majorité d'établissements concernés dans le département de l'Eure favorables à la fermeture hebdomadaire tant à la date d'édiction de l'arrêté préfectoral du 9 octobre 1996 qu'à la date à laquelle le préfet a implicitement rejeté sa demande d'abrogation de cet arrêté. Au soutien de son argumentation, elle indique, que seules 141 boulangeries adhérentes à la maison de la boulangerie-pâtisserie de l'Eure, signataire de l'accord intervenu le 7 octobre 1996, étaient alors favorables à la fermeture hebdomadaire sur les 304 boulangeries-pâtisseries et, plus largement, les 636 " points de vente de pain " que comptait le département. En outre, elle produit, à l'appui de ses allégations, un tableau établi sur la base des chiffres émanant du fichier national des entreprises de France qui mentionne que les boulangeries artisanales ne seraient plus aujourd'hui qu'au nombre de 274 sur un total de 1 033 établissements concernés, soit 26,5%. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier qu'outre la maison de la boulangerie-pâtisserie de l'Eure, ledit accord a été signé par la fédération des syndicats d'épiciers détaillants de France, le syndicat professionnel des épiciers en détail et le syndicat de la pâtisserie de l'Eure, sans que le nombre des établissements qu'ils représentent et qui vendraient effectivement du pain, qui est apprécié différemment selon les parties, ne puisse être établi par les seules pièces figurant au dossier.
16. Dès lors, afin de permettre à la cour de se prononcer en toute connaissance de cause, il y a lieu d'ordonner à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion, avant de statuer sur les conclusions de la requête, tous droits et moyens des parties réservés à l'exception de ceux sur lesquels il est statué par le présent arrêt, de fournir, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, tout élément, notamment chiffré, permettant d'établir l'existence d'une majorité indiscutable favorable à la fermeture hebdomadaire des établissements dans lesquels s'effectue, à titre principal ou accessoire, la vente, la distribution ou la livraison de pain et viennoiserie dans le département de l'Eure tant à la date d'édiction de l'arrêté préfectoral du 9 octobre 1996 qu'à la date à laquelle les éléments seront produits, le cas échéant en les assortissant de données prospectives afin de prendre en compte les évolutions susceptibles d'intervenir d'ici à ce que la cour se prononce au fond. En particulier, il est demandé à la ministre d'indiquer, pour ces deux dates, le nombre d'établissements de ce département vendant effectivement du pain et des viennoiseries, à titre principal ou accessoire, ainsi que le nombre de ces établissements favorables à l'accord de fermeture hebdomadaire ou, à défaut, le nombre d'entreprises adhérentes aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables.
DÉCIDE :
Article 1er : L'intervention de la maison de la boulangerie-pâtisserie artisanale de l'Eure est admise.
Article 2 : Avant dire droit sur les conclusions de la requête de la fédération des entreprises de boulangerie, il est ordonné à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion de communiquer à la cour, dans un délai de trois mois à compter de la notification du présent arrêt, les éléments définis par les motifs du présent arrêt.
Article 3 : Tous droits et moyens des parties, à l'exception de ceux sur lesquels il est statué par le présent arrêt, sont réservés.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Me E... A... pour la fédération des entreprises de boulangerie, à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion et à Me C... B... pour la maison de la boulangerie-pâtisserie artisanale de l'Eure.
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N°19DA01465
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