Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 16 mars 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute et de mettre à la charge de la société Solvabilité Entreprise la somme de 1 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1704413 du 27 janvier 2021, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 29 mars 2021, M. A..., représenté par Me Andrieux, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision du 16 mars 2017 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé son licenciement pour faute ;
3°) de mettre à la charge de la société Solvabilité Entreprise la somme de 1 500 euros à lui verser au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- la décision contestée est entachée d'incompétence ;
- elle est entachée d'erreur de droit dès lors qu'elle ne fait pas état de la totalité des mandats qu'il possède ;
- la matérialité des faits qui lui sont reprochés n'est pas établie ;
- la décision litigieuse est entachée d'erreur d'appréciation dès lors que les faits reprochés ne justifiaient pas son licenciement ;
- la mesure de licenciement présente un lien avec son mandat.
Par un mémoire en défense, enregistré le 28 décembre 2021, la société Solvabilité Entreprise, représentée par la SCP Action-Conseils, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 1 500 euros soit mise à la charge de M. A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que la requête est irrecevable, à défaut pour l'appelant d'avoir produit le jugement attaqué, et qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 30 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été reportée au 31 janvier 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,
- et les observations de Me Fréger, pour la société Solvabilité Entreprise.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., recruté le 22 novembre 2010 en qualité de commercial par la société Solvabilité Entreprise, exerçant sous l'enseigne Credit Safe, spécialisée dans la vérification de la solvabilité des entreprises, a été promu au poste de responsable des comptes " stratégie " à compter du 1er juillet 2014. Par un courrier du 24 février 2017, la société Solvabilité Entreprise a demandé à l'inspecteur du travail l'autorisation de licencier M. A..., qui bénéficiait, en qualité de membre de la délégation unique du personnel, de la protection exceptionnelle instituée par le code du travail. Par une décision du 16 mars 2017, l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle de Roubaix-Tourcoing a autorisé le licenciement de M. A... pour motif disciplinaire. Ce dernier relève appel du jugement du 27 janvier 2021 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En vertu des dispositions du code du travail, les salariés légalement investis de fonctions représentatives qui bénéficient, dans l'intérêt des travailleurs qu'ils représentent, d'une protection exceptionnelle, ne peuvent être licenciés qu'avec l'autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées par l'intéressé ou avec son appartenance syndicale. Dans le cas où la demande est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables à son contrat de travail et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.
3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 2411-5 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur : " Le licenciement d'un délégué du personnel, titulaire ou suppléant, ne peut intervenir qu'après autorisation de l'inspecteur du travail. (...) ".
4. Il ressort des pièces du dossier que, par une décision du 6 janvier 2017, régulièrement publiée le 10 janvier suivant, M. D... C..., inspecteur du travail, signataire de la décision attaquée, a été affecté à l'unité de contrôle 01 Roubaix - Tourcoing pour effectuer les actions d'inspection de la législation du travail dans les entreprises relevant des sections d'inspection du travail la composant. Au demeurant, la décision contestée comportait la signature de son auteur ainsi que la mention, en caractères lisibles, du prénom, du nom et de la qualité de celui-ci. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision en litige doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 2326-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable à la date de la décision en litige : " Dans les entreprises de moins de trois cents salariés, l'employeur peut décider que les délégués du personnel constituent la délégation du personnel au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Il prend cette décision après avoir consulté les délégués du personnel et, s'ils existent, le comité d'entreprise et le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. / La faculté de mettre en place une délégation unique est ouverte lors de la constitution de l'une des institutions mentionnées au premier alinéa ou du renouvellement de l'une d'entre elles. (...) ".
6. Pour opérer les contrôles auxquels il lui incombe de procéder lorsqu'elle statue sur une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé, l'autorité administrative doit prendre en compte l'ensemble des mandats, au titre desquels le salarié est protégé, qui doivent être portés à sa connaissance par l'employeur, auquel il appartient de mentionner dans sa demande d'autorisation de licenciement l'intégralité des mandats du salarié protégé dont il est informé ou réputé avoir été informé. Lorsque l'administration a eu connaissance de chacun des mandats détenus par l'intéressé, la circonstance que la demande d'autorisation de licenciement ou la décision autorisant le licenciement ne fasse pas mention de l'un de ces mandats ne suffit pas, à elle seule, à établir que l'administration n'a pas, comme elle le doit, exercé son contrôle en tenant compte de chacun des mandats détenus par le salarié protégé.
7. Il ressort des termes de la décision attaquée que l'inspecteur du travail a mentionné que M. A... était membre de la délégation unique du personnel de la société Solvabilité Entreprise. Dès lors que cette fonction intègre, aux termes de l'article L. 2326-1 du code du travail, dans sa rédaction alors en vigueur, celles de délégué du personnel, délégué du personnel au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, l'inspecteur du travail n'était pas tenu de mentionner expressément ces trois composantes. En tout état de cause, il ressort de la demande d'autorisation de licenciement adressée le 24 février 2017 par la société Solvabilité Entreprise à l'autorité administrative qu'elle indiquait explicitement que M. A... était membre titulaire suppléant du collège " agent de maîtrise et cadre " de la délégation unique du personnel et qu'il était ainsi investi des trois mandats de délégué du personnel, délégué du personnel au comité d'entreprise et au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. L'administration a ainsi eu connaissance de chacun des mandats détenus par l'intéressé et a pu exercer son contrôle en tenant compte de chacun d'entre eux. Par suite, le moyen tiré de l'erreur de droit doit être écarté.
8. En troisième lieu, d'une part, il est reproché à M. A... de ne pas avoir respecté le partenariat entre sa société et une autre société en communiquant, le 25 novembre 2016 à l'un de ses clients, également client de cette autre société, des informations sur les dettes de cette dernière et en la dénigrant. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a accepté, le 23 novembre 2016, de participer à un rendez-vous avec ce client, qui ne faisait pas partie des clients dont il avait la charge, afin de remplacer un collègue. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du témoignage de la responsable de la société cliente que M. A... a rencontrée le 25 novembre 2016, que celui-ci lui a notamment indiqué que la société partenaire " était vouée à disparaître dans les six à douze mois et que [ses] factures étaient impayées ". La circonstance que la situation financière de cette société partenaire était, à cette date, effectivement dégradée ainsi que le mentionne le rapport réalisé par la société Solvabilité Entreprise ne saurait justifier les propos excessifs utilisés par M. A... alors au demeurant que cette société était dans une situation partenariale avec la société Solvabilité Entreprise. De même, la circonstance que l'assistante qui a pris le rendez-vous avec la société cliente rencontrée le 25 novembre 2016 a indiqué à M. A... que cette dernière voulait être mise en contact avec une société concurrente de la société partenaire ne justifiait pas davantage, eu égard à ses fonctions de responsable des comptes " stratégie ", les propos qu'il a tenus au sujet d'une société partenaire et alors qu'il lui appartenait, s'il s'y croyait fondé, de solliciter des précisions de la part de sa hiérarchie sur la conduite à tenir lors de cet échange. Enfin, il ressort des pièces du dossier que le responsable de la société partenaire a, le 31 décembre 2016, fait part de son intention de déposer plainte à l'encontre de la société Solvabilité Entreprise au sujet des propos tenus par M. A... auprès de la société cliente rencontrée le 25 novembre 2016. Dans ces conditions, les propos de divulgation par M. A..., lors de l'échange avec cette société cliente le 25 novembre 2016, d'informations financières sur la société partenaire de nature à mettre en cause sa viabilité sont établis.
9. D'autre part, il est reproché à M. A... d'avoir tenu des propos injurieux envers le responsable de la société partenaire. Il ressort des pièces du dossier, notamment de l'attestation du responsable de la société partenaire, qui n'est pas sérieusement contestée, que M. A... lui a tenu des propos grossiers alors que ce responsable lui reprochait d'avoir diffusé des informations concernant sa société au cours du rendez-vous précité du 25 novembre 2016. Ces faits sont ainsi établis.
10. Enfin, il est reproché à M. A... d'avoir relayé, au sein de sa société et auprès d'autres sociétés, des informations sur la dégradation de la situation financière de la société partenaire. Il ressort des pièces du dossier, et notamment d'attestations de collègues de M. A..., que ce dernier relayait, à compter du mois de septembre 2016, l'information selon laquelle cette société partenaire allait fermer et qu'il en avait informé une société concurrente. Ces faits sont ainsi établis.
11. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de l'erreur de fait doit être écarté.
12. En quatrième lieu, il ressort des pièces du dossier, eu égard notamment à ce qui a été dit précédemment, que les faits, d'une part, de divulgation d'informations confidentielles à un client de la société Solvabilité Entreprise concernant l'un de ses partenaires, dont le contenu est susceptible de porter atteinte à la pérennité de l'activité de ce partenaire, d'autre part, de divulgation de ces mêmes informations à une société concurrente de la société partenaire et, enfin, de propos grossiers tenus à l'endroit d'un des responsables de cette société sont de nature à porter atteinte à l'image et aux intérêts commerciaux de la société Solvabilité Entreprise alors au demeurant que l'intéressé est soumis à une obligation de loyauté à l'égard de son employeur. Nonobstant la satisfaction qu'il apportait à son employeur antérieurement à 2016 et la pression sur les résultats commerciaux à laquelle il était soumis, ces faits constituent, eu égard notamment aux fonctions de responsable des comptes " stratégie " exercées par M. A..., des fautes d'une gravité suffisante pour justifier son licenciement. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être écarté.
13. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier, notamment des messages de sa hiérarchie concernant les exigences en matière d'objectifs commerciaux à atteindre, que la dégradation de la situation professionnelle de M. A... qu'il mentionne en 2016 est antérieure à son élection en qualité de membre suppléant de la délégation unique du personnel le 13 juin 2016. La circonstance qu'il a, le 3 novembre 2016, fait l'objet d'un avertissement du fait d'une insuffisante activité ne permet pas d'établir un lien entre le licenciement et son mandat alors au demeurant que les résultats commerciaux de l'intéressé depuis le début de l'année étaient en-deçà de ceux attendus. Enfin, la circonstance que l'assistante qui a pris le rendez-vous du 25 novembre 2016 avec la société cliente rencontrée ce jour n'a pas fait l'objet d'une sanction disciplinaire ne permet pas davantage d'établir un lien entre le licenciement de l'intéressé et son mandat au regard notamment des différences de fonctions et de responsabilités exercées par ces deux salariés. Par suite, le moyen tiré du lien entre la mesure de licenciement et le mandat détenu par l'appelant doit être écarté.
14. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par la société Solvabilité Entreprise, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 16 mars 2017 par laquelle l'inspecteur du travail de l'unité de contrôle de Roubaix-Tourcoing a autorisé son licenciement pour motif disciplinaire.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la société Solvabilité Entreprise qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. A..., la somme demandée par la société Solvabilité Entreprise au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Les conclusions présentées par la société Solvabilité Entreprise au titre des dispositions de l'article L. 761-1 sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., à la société Solvabilité Entreprise et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience publique du 10 mars 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. Marc Lavail Dellaporta, président-assesseur,
- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mars 2022.
Le rapporteur,
Signé : N. Carpentier-Daubresse
La présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Chloé Huls-Carlier
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N°21DA00721
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N°"Numéro"