Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... C... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision par laquelle le directeur du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil a procédé à la saisie de son " lexique du Qor'an ", formalisée par un courrier du 30 novembre 2017.
Par un jugement n° 1806059 du 6 mars 2020, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 28 août 2020, M. C..., représenté par Me Benoit David, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler cette décision ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement est entaché d'irrégularités tenant à l'absence de précision suffisante du sens des conclusions du rapporteur public et au défaut de signatures de celui-ci ;
- il est insuffisamment motivé ;
- il est entaché d'une erreur de droit en ce que les premiers juges ont procédé à une substitution de base légale sans qu'il puisse au préalable présenter des observations ;
- la décision en litige est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 octobre 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par M. C... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 25 janvier 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 28 février 2022 à 12h00.
M. C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 juillet 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de procédure pénale ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Muriel Milard, première conseillère,
- et les conclusions de M. Bertrand Baillard, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. A... C..., incarcéré depuis le 27 janvier 2004 pour vingt-trois peines d'emprisonnement, relève appel du jugement du 6 mars 2020 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du directeur du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil ayant rejeté sa demande de restitution de son " lexique du Qor'an ", formalisée par un courrier du 30 novembre 2017.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 711-3 du code de justice administrative : " Si le jugement de l'affaire doit intervenir après le prononcé des conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires sont mis en mesure de connaître, avant la tenue de l'audience, le sens de ces conclusions sur l'affaire qui les concerne (...) ".
3. La communication aux parties du sens des conclusions, prévue par les dispositions de l'article R. 711-3 du code de justice administrative, a pour objet de mettre les parties en mesure d'apprécier l'opportunité d'assister à l'audience publique, de préparer, le cas échéant, les observations orales qu'elles peuvent y présenter, après les conclusions du rapporteur public, à l'appui de leur argumentation écrite et d'envisager, si elles l'estiment utile, la production, après la séance publique, d'une note en délibéré. En conséquence, à peine d'irrégularité de la décision rendue sur les conclusions du rapporteur public, les parties ou leurs mandataires doivent être mis en mesure de connaître, dans un délai raisonnable avant l'audience, l'ensemble des éléments du dispositif de la décision que le rapporteur public compte proposer à la formation de jugement d'adopter, à l'exception de la réponse aux conclusions qui revêtent un caractère accessoire, notamment celles qui sont relatives à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
4. Il ressort des pièces du dossier de première instance que les parties, contrairement à ce que soutient le requérant, ont été mises en mesure de savoir, par l'intermédiaire du système informatique de suivi de l'instruction, que le rapporteur public conclurait au " rejet au fond " de la requête introduite par M. C... devant le tribunal administratif de Lille. Eu égard aux caractéristiques du litige, cette mention indiquait de manière suffisamment précise le sens de la solution que le rapporteur public envisageait de proposer à la formation de jugement. Par suite, le moyen tiré de ce que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière doit être écarté.
5. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ". Il ressort des pièces du dossier de première instance que la minute du jugement attaqué est revêtue de la signature du président, du rapporteur et du greffier d'audience. La circonstance que l'expédition notifiée au requérant ne comporterait pas ces signatures est sans incidence sur la régularité du jugement. Le moyen tiré de l'irrégularité du jugement en raison du défaut de signature de la minute du jugement doit, par suite, être écarté.
6. En troisième lieu, il ne ressort pas du dossier de première instance et de l'examen du jugement attaqué que les premiers juges auraient procédé à une substitution de la base légale de la décision en litige, laquelle au demeurant, n'a pas été demandée.
7. Enfin, les premiers juges, en estimant que le document manuscrit dont la restitution a été refusée à M. C... ne constituait ni un objet de pratique religieuse, ni un livre au sens des dispositions précitées pour écarter le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 57-9-7 du code de procédure pénale, ont suffisamment motivé le jugement contesté. Par suite, le moyen tiré de son insuffisance de motivation doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement contesté :
8. En premier lieu, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : /1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; /2° Infligent une sanction ; /3° Subordonnent l'octroi d'une autorisation à des conditions restrictives ou imposent des sujétions ; /4° Retirent ou abrogent une décision créatrice de droits ; /5° Opposent une prescription, une forclusion ou une déchéance ; /6° Refusent un avantage dont l'attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l'obtenir ; /7° Refusent une autorisation, sauf lorsque la communication des motifs pourrait être de nature à porter atteinte à l'un des secrets ou intérêts protégés par les dispositions du a au f du 2° de l'article L.311-5 ; /8° Rejettent un recours administratif dont la présentation est obligatoire préalablement à tout recours contentieux en application d'une disposition législative ou réglementaire. "
9. La décision contestée du 30 novembre 2017, qui rejette la demande de M. C... tendant à la restitution de son " lexique du Qor'an ", n'entre dans aucune des catégories de décisions qui doivent être motivées en application des dispositions précitées de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Le moyen sera donc écarté.
10. En second lieu, aux termes de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites. / La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " Aux termes de l'article 26 de la loi n° 2009-1436 du 24 novembre 2009 précitée : " Les personnes détenues ont droit à la liberté d'opinion, de conscience et de religion. Elles peuvent exercer le culte de leur choix, selon les conditions adaptées à l'organisation des lieux, sans autres limites que celles imposées par la sécurité et le bon ordre de l'établissement. "
11. Il ressort de l'analyse des écrits de M. C..., établie le 11 décembre 2017 par un traducteur arabophone du " pôle traducteurs " de la direction interrégionale des services pénitentiaires des Hauts-de-France, que le document manuscrit d'une cinquantaine de pages rédigé par l'intéressé présente un caractère religieux et est organisé sous forme de cours avec une compilation de versets coraniques en fonction des thématiques traitées, sans commentaires personnels de la personne détenue, qui pourraient avoir comme objectif l'enrichissement personnel en apprenant à mieux connaître la religion. Cette analyse précise que " vu la forme bien organisée de ces écrits, il se pourrait également qu'il s'agisse d'un moyen de prosélytisme " et qu'il " serait intéressant d'observer M. C... et ses fréquentations afin de déterminer s'il a un profil prosélyte ou si les écrits sont pour des fins personnelles ". Elle indique ainsi que M. C... a un " intérêt particulier (...) pour des thèmes très présents dans l'idéologie wahhabite (salafisme saoudien) ", notamment, la charia comme unique loi légitime, le combat armé (Kital), les conditions du Jihad et la mort des martyrs. Il résulte de l'ensemble de ces éléments, et alors qu'il ressort des pièces du dossier que M. C... dispose toujours d'un exemplaire du Coran dans sa cellule, que le directeur du centre pénitentiaire de Vendin-le-Vieil a pu, en raison du profil prosélyte de M. C... et des risques d'utilisation de ce document pour promouvoir un islamisme radical au sein de l'établissement, refuser de restituer à l'intéressé le document manuscrit intitulé " lexique du Qor'an " par la décision en litige sans méconnaître les stipulations précitées de l'article 9 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni entacher sa décision d'une erreur d'appréciation.
12. Il résulte de tout ce qui précède que M. C... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Sur les frais liés à l'instance :
13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que demande M. C... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au garde des sceaux, ministre de la justice et à Me Benoit David.
Délibéré après l'audience publique du 26 avril 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- Mme Aurélie Chauvin, présidente-assesseure,
- Mme Muriel Milard, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mai 2022.
La rapporteure,
Signé : M. B...La présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°20DA01342