Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme C... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision de l'inspectrice du travail du 2 novembre 2017 autorisant son licenciement et de mettre à la charge de l'Etat et de la société Akzo Nobel Packaging Coatings la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Par un jugement n° 1704064 du 28 mai 2020, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 23 juillet 2020, 11 décembre 2020 et 26 novembre 2021, Mme B..., représentée par Me Verdier, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 2 novembre 2017 autorisant son licenciement ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Akzo Nobel Packaging Coatings la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'autorité de chose jugée par le jugement du 18 mai 2017 du tribunal administratif de Rouen ne faisait pas obstacle à ce que l'inspectrice du travail examine la réalité du motif économique invoqué par l'employeur ;
- en se fondant sur le motif économique tenant à la cessation de l'activité alors même que l'employeur n'invoquait que le motif de sauvegarde de la compétitivité de l'entreprise, l'inspectrice du travail a commis une erreur de droit ;
- c'est à tort que l'inspectrice du travail s'est prononcée sur la cessation d'activité du seul site de Saint-Pierre-lès-Elbeuf ; le motif économique du licenciement n'est pas établi dès lors qu'il n'existe pas de cessation totale et définitive de l'activité ; le motif économique tenant à la nécessité de sauvegarder la compétitivité de l'entreprise n'est pas davantage établi ; son poste n'a pas été supprimé mais a simplement été transféré vers d'autres sites de production ;
- en estimant que l'employeur avait satisfait à son obligation de reclassement, l'inspectrice du travail a méconnu l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement du tribunal administratif de Rouen du 18 mai 2017 ; la recherche de reclassement n'a pas été réelle et sérieuse ; il ne lui a pas été proposé de postes de reclassement à l'étranger ; son employeur n'établit pas avoir respecté ses obligations conventionnelles en saisissant la commission nationale paritaire de l'emploi.
Par un mémoire en défense, enregistré le 13 novembre 2020, la société Akzo Nobel, venant aux droits de la société Akzo Nobel Packaging Coatings, représentée par Mes Gonçalves et Bensoussan, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 2 500 euros soit mise à la charge de Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.
Par un mémoire, enregistré le 17 novembre 2021, la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.
Elle fait valoir qu'aucun des moyens soulevés dans la requête n'est fondé.
Par une ordonnance du 29 novembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 décembre 2021.
Un mémoire a été enregistré le 4 avril 2022 pour la société Akzo Nobel, représentée par Mes Gonçalves et Bensoussan.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... était salariée de la société Akzo Nobel Packaging Coatings, aux droits de laquelle est venue la société Akzo Nobel, employée sur le site de Saint-Pierre-lès-Elbeuf et membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Ce site fabriquait, exclusivement, des revêtements alimentaires utilisant du bisphénol A. Son employeur a demandé l'autorisation de licencier Mme B..., qui a été refusée par une décision de l'inspecteur du travail du 27 août 2014. Par une décision du 10 avril 2015, le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a retiré cette décision ainsi que le rejet implicite du recours hiérarchique formé contre celle-ci et a refusé d'autoriser le licenciement demandé au motif que la société n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. Le 31 août 2017, la société Akzo Nobel a adressé à l'administration une nouvelle demande d'autoriser le licenciement de Mme B.... Par une décision du 2 novembre 2017, l'inspectrice du travail a accordé l'autorisation de licencier l'intéressée. Mme B... relève appel du jugement du 28 mai 2020 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement :
2. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, ce licenciement ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé. Dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement présentée par l'employeur est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié.
3. À ce titre, lorsque la demande d'autorisation de licenciement pour motif économique est fondée sur la cessation d'activité de l'entreprise, il appartient à l'autorité administrative de contrôler que cette cessation d'activité est totale et définitive. Il ne lui appartient pas, en revanche, de contrôler si cette cessation d'activité est justifiée par l'existence de mutations technologiques, de difficultés économiques ou de menaces pesant sur la compétitivité de l'entreprise. Il incombe ainsi à l'autorité administrative de tenir compte, à la date à laquelle elle se prononce, de tous les éléments de droit ou de fait recueillis lors de son enquête qui sont susceptibles de remettre en cause le caractère total et définitif de la cessation d'activité. Il lui incombe également de tenir compte de toute autre circonstance qui serait de nature à faire obstacle au licenciement envisagé, notamment celle tenant à une reprise, même partielle, de l'activité de l'entreprise impliquant un transfert du contrat de travail du salarié à un nouvel employeur en application de l'article L. 1224-1 du code du travail. Lorsque l'entreprise appartient à un groupe, la seule circonstance que d'autres entreprises du groupe aient poursuivi une activité de même nature ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce que la cessation d'activité de l'entreprise soit regardée comme totale et définitive.
4. Il ressort des pièces du dossier que, dans sa demande d'autorisation de licenciement de Mme B... du 31 août 2017, la société Akzo Nobel doit être regardée comme ayant invoqué, d'une part, un motif tiré de la cessation totale et définitive d'activité et, d'autre part, un motif tiré de la sauvegarde de la compétitivité. Il ressort de la décision en litige du 2 novembre 2017 que l'inspectrice du travail, qui ne s'est pas prononcée sur le second motif, a estimé que le premier motif était établi en raison de la cessation totale et définitive d'activité du site de Saint-Pierre-lès-Elbeuf ainsi que l'avait retenu le tribunal administratif de Rouen dans un jugement n° 1501750 du 18 mai 2017 devenu définitif. Toutefois, l'autorité relative de chose jugée, dont est revêtu ce jugement, ne saurait être opposée à la nouvelle demande dont était saisie l'inspectrice du travail et sur laquelle elle s'est prononcée par la décision en litige du 2 novembre 2017, dont l'objet est ainsi distinct de la décision du 10 avril 2015, qui était contestée dans le jugement du 18 mai 2017 précité, par laquelle le ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social avait alors refusé d'autoriser le licenciement de Mme B....
5. En outre, d'une part, en se prononçant sur la réalité de la cessation totale et définitive d'activité du seul site de Saint-Pierre-lès-Elbeuf et non de l'entreprise, l'inspectrice du travail a entaché sa décision d'une erreur de droit. D'autre part, il ressort des pièces du dossier, notamment du rapport d'analyse établi le 25 avril 2016 par le président de cette société, que le chiffre d'affaires net prévisionnel pour l'exercice 2016 de celle-ci était en augmentation de 18 % par rapport à celui de 2015 et qu'en janvier 2017, la société a publié de nombreuses offres d'emploi pour le recrutement de collaborateurs. Dans ces conditions, indépendamment de la fermeture du site de Saint-Pierre-lès-Elbeuf, l'activité de la société Akzo Nobel ne saurait être regardée comme ayant totalement et définitivement cessé à la date de la décision en litige. Par suite, en estimant que le motif économique du licenciement de Mme B... tiré de la cessation totale et définitive d'activité était établi, l'inspectrice du travail a également entaché sa décision du 2 novembre 2017 d'une erreur d'appréciation.
6. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 2 novembre 2017 par laquelle l'inspectrice du travail a autorisé son licenciement pour motif économique.
Sur les conclusions présentées au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
7. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de Mme B... qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante au titre des frais exposés par la société Akzo Nobel et non compris dans les dépens. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat et de la société Akzo Nobel le versement, chacun, à Mme B... de la somme de 500 euros au titre de ces mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 28 mai 2020 et la décision de l'inspectrice du travail du 2 novembre 2017 sont annulés.
Article 2 : L'Etat et la société Akzo Nobel verseront, chacun, à Mme B... la somme de 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Les conclusions présentées par la société Akzo Nobel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B..., à la société Akzo Nobel et à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion.
Délibéré après l'audience publique du 28 avril 2022 à laquelle siégeaient :
- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,
- M. D... A..., magistrat administratif honoraire,
- M. Nil Carpentier-Daubresse, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 mai 2022.
Le rapporteur,
Signé : N. Carpentier-Daubresse
La présidente de chambre,
Signé : G. Borot
La greffière,
Signé :C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi et de l'insertion en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
C. Huls-Carlier
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