Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... B... épouse D... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 2 août 2021 par lequel le préfet de l'Eure a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de renvoi et la décision du même jour par laquelle le préfet de l'Eure a retenu son passeport.
Par un jugement n° 2200121 du 5 mai 2022, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 10 juin et 11 octobre 2022, Mme B... épouse D..., représentée par Me Amèle Bentahar, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 2 août 2021 ;
3°) d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai de quinze jour à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
5°) d'enjoindre au préfet de l'Eure de lui restituer son passeport ;
6°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- le jugement est entaché d'une contradiction ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations des articles 4, 6 et 9 de l'accord franco-algérien et de l'article R. 434-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'arrêté méconnaît les stipulations de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'arrêté est entaché d'une erreur manifeste d'appréciation.
Par un mémoire en défense, enregistré le 9 septembre 2022, le préfet de l'Eure conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 17 octobre 2022, la clôture de l'instruction a été fixée au 21 novembre 2022.
Un mémoire présenté pour Mme B... épouse D... par Me Amèle Bentahar a été enregistré le 9 janvier 2023, postérieurement à la clôture de l'instruction et n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Marc Baronnet, président assesseur,
- et les observations de Me Jehane Mahdar, représentant Mme B... épouse D....
Considérant ce qui suit :
1. Mme A... B... épouse D..., ressortissante algérienne née le 10 juillet 1980, est entrée en France le 4 août 2018 sous couvert d'un visa de court séjour. Le 6 avril 2021, elle a présenté une demande de titre de séjour. Par arrêté du 2 août 2021, le préfet de l'Eure a rejeté sa demande, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être renvoyée à l'expiration de ce délai. Le même jour, son passeport a été retenu, contre remise d'un récépissé. Mme B... relève appel du jugement du 5 mai 2022 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 : " Les dispositions du présent article ainsi que celles des deux articles suivants, fixent les conditions de délivrance et de renouvellement du certificat de résidence aux ressortissants algériens établis en France ainsi qu'à ceux qui s'y établissent, sous réserve que leur situation matrimoniale soit conforme à la législation française. / Le certificat de résidence d'un an portant la mention "vie privée et familiale" est délivré de plein droit : (...) 5. Au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus (...) ". Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " 1. Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. (...) ".
3. Il ressort des pièces du dossier que Mme B... est entrée en France munie d'un visa C le 4 août 2018 et qu'un enfant est né le 10 février 2020 de son union avec son compatriote, M. D..., titulaire d'un certificat de résidence algérien de dix ans, avec qui elle s'est mariée le 28 novembre 2020. Si Mme B... n'est pas démunie d'attaches familiales dans son pays d'origine, compte tenu des conditions et de la durée de son séjour en France, de trois ans à la date de la décision attaquée, de la naissance d'un enfant dix-huit mois avant l'arrêté attaqué et de son mariage avec un compatriote en situation régulière qui est le père de cet enfant, l'arrêté du 2 août 2021 doit être regardé comme ayant porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au but en vue duquel il a été pris. Il a ainsi méconnu les stipulations précitées du 5. de l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié.
4. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de l'Eure du 2 août 2021 et qu'il y a lieu de prononcer l'annulation de cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Les motifs d'annulation de l'arrêté attaqué impliquent, d'une part, que le préfet de l'Eure délivre à Mme B... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " et, d'autre part, qu'il lui restitue le passeport qu'il avait retenu sur le fondement des dispositions de l'article L. 814-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet de l'Eure de procéder à la délivrance de ce titre de séjour dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et de restituer à Mme B... son passeport dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée par Mme B....
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros à verser à Mme B... au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement n° 2200121 du 5 mai 2022 du tribunal administratif de Rouen est annulé.
Article 2 : L'arrêté du 2 août 2021 du préfet de l'Eure est annulé.
Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Eure de délivrer à Mme B... un certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : Il est enjoint au préfet de l'Eure de restituer à Mme B... son passeport dans un délai de quinze jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 5 : L'Etat versera la somme de 1 000 euros à Mme B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... épouse D..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de l'Eure.
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023 à laquelle siégeaient :
- Mme Anne Seulin, présidente de chambre,
- M. Marc Baronnet, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 janvier 2023.
Le président-rapporteur,
Signé : M. C...La présidente de chambre,
Signé : A. Seulin
La greffière,
Signé : A.S. Villette
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
La greffière,
Anne-Sophie Villette
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N°22DA01222