Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler la décision implicite du 26 mars 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a refusé d'indemniser le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis à raison du harcèlement moral et de la dégradation de ses conditions de travail dont il estime avoir été victime, d'autre part, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du dépôt de sa demande indemnitaire préalable, en réparation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il a subis à raison du harcèlement moral et de la dégradation de ses conditions de travail dont il a été victime.
Par un jugement n° 2101130 du 30 novembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 6 décembre 2022, M. A..., représenté par la SELAFA Cabinet Cassel, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision implicite du 26 mars 2021 par laquelle le garde des sceaux, ministre de la justice, a rejeté sa demande préalable indemnitaire déposée le 26 janvier 2021 ;
3°) de condamner l'Etat à lui verser une somme de 10 000 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du dépôt de sa demande indemnitaire préalable ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros à lui verser sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les entiers dépens.
Il soutient que :
- le tribunal a commis une erreur d'appréciation en refusant de qualifier de harcèlement moral, au sens de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983, les agissements qu'il a subis de la part de sa supérieure hiérarchique directe, alors qu'il était affecté au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de Beauvais ;
- la responsabilité pour faute de l'Etat est engagée en raison des faits de harcèlement moral dont il a été victime ;
- la responsabilité fautive de l'Etat est en tout état de cause engagée en raison des agissements de son employeur, qui ont dégradé ses conditions de travail et son état de santé ; la responsabilité de l'Etat est également engagée à raison de la faute personnelle commise par sa supérieure hiérarchique directe, non dépourvue de tout lien avec le service ;
- la responsabilité sans faute de l'Etat est également engagée sur le fondement de l'article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 qui oblige l'administration à réparer le préjudice résultant des agissements constitutifs de harcèlement, des violences psychologiques, des menaces et des injures dont il a été victime ;
- il est en droit d'obtenir le versement d'une somme de 10 000 euros réparant le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence résultant des agissements fautifs de l'administration.
Par un mémoire en défense, enregistré le 5 décembre 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice conclut au rejet de la requête et à la confirmation du jugement attaqué.
Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.
Par une ordonnance du 5 décembre 2023, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 10 janvier 2024 à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Frédéric Malfoy, premier conseiller,
- et les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. M. B... A..., inspecteur des douanes, a commencé sa carrière au service de l'Etat en septembre 2014 en tant qu'élève stagiaire du corps des conseillers pénitentiaires d'insertion et de probation. A compter de sa titularisation dans ce corps en septembre 2016, il a été affecté au service pénitentiaire d'insertion et de probation (SPIP) de Beauvais où il est demeuré en fonctions jusqu'au 1er mai 2018, date à laquelle il a été détaché, durant un peu plus d'un an, à la Commission Nationale Informatique et Libertés avant de rejoindre la direction générale des douanes et droits indirects où il a été intégré en tant qu'inspecteur. Estimant avoir été victime de faits de harcèlement moral lorsqu'il était affecté, durant l'année 2017, au SPIP de Beauvais, par un courrier du 25 janvier 2021, M. A... a sollicité du ministre de la justice le versement d'une indemnité de 10 000 euros réparant le préjudice moral et les troubles dans ses conditions d'existence qu'il estimait en lien avec ces agissements fautifs. Sa demande ayant été implicitement rejetée, M. A... a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler ce refus et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 10 000 euros. M. A... relève appel du jugement du 30 novembre 2022 par lequel ce tribunal a rejeté ses demandes.
Sur la responsabilité de l'Etat :
En ce qui concerne le harcèlement moral :
2. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
4. M. A... soutient qu'alors qu'il était affecté au SPIP de Beauvais en 2017, il a contesté certaines critiques portées dans son compte rendu d'entretien d'évaluation pour l'année 2016. Selon lui, sa démarche a marqué, de la part de sa supérieure hiérarchique directe, le début de nombreux agissements vexatoires, qui ont conduit à une dégradation de son état de santé.
5. En premier lieu, M. A... soutient qu'alors que sa supérieure hiérarchique directe s'était engagée, en février 2017 à ce que lui-même et sa collègue, par ailleurs sa compagne, bénéficient d'une décharge de vingt dossiers et notamment d'une dispense d'effectuer des permanences de service compte tenu de leur inscription à une formation d'animateurs, elle a ensuite informé l'équipe que tous deux seraient de permanence de service trois fois au cours du trimestre. Il résulte de l'instruction, notamment d'un compte-rendu de réunion du 16 février 2017, que la supérieure hiérarchique directe de M. A... avait pris les engagements précités s'agissant de la décharge de service. Si, par un courriel daté du 9 mars 2017, elle est revenue partiellement sur cet aménagement, il n'apparaît pas que l'engagement pris impliquait une décharge complète des permanences de M. A... et de sa compagne, dès lors que cette mesure visait seulement à permettre aux intéressés de participer à l'animation du programme ESPACE, dont aucun élément ne permet d'établir qu'il les mobiliserait durant tout le trimestre. Ce changement d'attitude, qui au demeurant résulte du pouvoir d'organisation du service, ne saurait par conséquent être regardé comme manifestant une volonté de tenir des discours contradictoires ou déstabilisants vis-à-vis de l'appelant.
6. En deuxième lieu, M. A... soutient avoir été la cible de nombreux reproches sur sa manière de servir et de convocations incessantes, chaque semaine, dans le bureau de sa supérieure hiérarchique directe au point qu'en juillet 2017, il a été contraint de l'alerter sur sa charge de travail et les conséquences sur sa santé. S'il résulte de l'instruction, que les 11 et 13 avril, 12 mai, 3 et 4 juillet 2017, M. A... a adressé à sa supérieure hiérarchique directe des courriels pour l'informer que sa surcharge de travail ne lui permettait pas de lui soumettre un certain nombre de rapports en temps voulu en arguant, à deux reprises, qu'elle préjudiciait à son état de santé, ces échanges ne révèlent pas, par eux-mêmes que l'intéressé se serait vu confier un volume excessif de tâches par rapport aux exigences normales du service. La teneur de ces échanges, qui portent sur des points précis et argumentés, ne révèlent pas davantage que les reproches concernant le retard pris dans le traitement des dossiers, au demeurant reconnu par l'intéressé, auraient été dépourvus de tout fondement.
7. En troisième lieu, si M. A... soutient s'être vu refuser, les 23 mai, 21 juillet, 1er septembre et 3 août 2017, des demandes de récupérations d'heures supplémentaires cumulées, il n'apparaît pas que ces refus n'auraient pas été en lien avec l'intérêt du service. Il en va de même de l'avis défavorable de sa hiérarchie, en réponse à une demande d'inscription à une formation professionnelle dispensée par l'Ecole nationale de la magistrature, le 30 août 2017.
8. En quatrième lieu, M. A... reproche à sa hiérarchie de l'avoir invité à utiliser des outils tels que le RBR (risque besoin réceptivité) au prétexte que cette utilisation améliorerait ses pratiques professionnelles, alors qu'aucune note de service n'imposait d'utiliser de tels outils et que ses autres collègues n'y étaient pas contraints. Toutefois, une telle circonstance ne saurait révéler une discrimination à son égard dès lors qu'il n'allègue pas que cet outil était dépourvu de toute utilité ou de tout rapport avec son activité professionnelle. Au demeurant, il est constant qu'il n'avait été titularisé dans le corps des CPIP que très récemment, de sorte qu'une telle recommandation n'était pas sans fondement.
9. En cinquième lieu, si M. A... allègue avoir subi divers comportements humiliants ou démontrant une volonté d'acharnement à son encontre, il n'apporte aucun élément permettant de laisser présumer que sa présence aurait été contrôlée en formation obligatoire devant les autres participants, que des reproches lui auraient été faits lors de réunions de service ou encore que ses supérieurs auraient laissé divulguer à d'autres agents des informations sur ses démarches d'évolution professionnelle. S'il résulte d'un courriel en date du 14 septembre 2017 que le responsable administratif de la gestion des ressources humaines lui a demandé de restituer un double de clés de son bureau, alors, selon l'appelant, qu'il n'a jamais existé de doubles pour les bureaux et que la clé de celui-ci se serait déjà trouvée au secrétariat de service, une telle circonstance ne saurait être regardée comme manifestant une volonté d'humiliation ou d'acharnement à son encontre. A cet égard, il est constant qu'il était placé en congé de maladie depuis le 1er septembre 2017, de sorte qu'une telle demande de disposer de clefs supposées être en sa possession n'était pas illégitime.
10. En sixième lieu, M. A... soutient que pour s'extraire de la situation de harcèlement moral et de pressions diverses qu'il subissait au sein du SPIP de Beauvais, il a effectué de nombreuses démarches qui ont toutes reçu des avis défavorables ou se sont heurtées à une fin de non-recevoir. Il résulte toutefois de l'instruction que si deux demandes de mutation déposées en mai et juillet 2017, lui ont été refusées par le directeur fonctionnel des services pénitentiaires d'insertion et de probation de l'Oise (DFSPIP), ces refus étaient motivés par la nécessité de maintenir les effectifs du SPIP au centre pénitentiaire de Beauvais, motif d'intérêt du service que l'appelant ne remet pas en cause. De même, s'il résulte de l'instruction que ses demandes, successivement formulées en juillet et octobre 2017, de mise à disposition au sein de divers services de la direction de l'administration pénitentiaire ou de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse ont fait l'objet d'un avis " très défavorable " du DFSPIP de l'Oise, le directeur avait toutefois dûment motivé et justifié ses deux avis dès lors qu'il se fondait, d'une part, sur la faible durée d'exercice professionnel de M. A..., titularisé depuis le mois de septembre 2016 au sein de l'équipe dédiée du nouveau centre pénitentiaire de Beauvais, et d'autre part, sur les enjeux liés à l'ouverture récente de cet établissement et de l'état de ses effectifs.
11. En dernier lieu, M. A... fait valoir que, plongé dans un état dépressif, il a dû être placé en arrêt de travail du 1er septembre 2017 au 30 avril 2018 et qu'en dépit d'une fiche de visite du médecin de prévention indiquant que sa mutation était nécessaire en raison de son état de santé, il n'a eu aucune réponse favorable. Toutefois, il résulte de ce qui a été dit au point précédent que chacun des refus opposés à ses demandes étaient justifiés par un motif d'intérêt du service.
12. Au vu de l'ensemble de ces éléments et malgré la circonstance que l'intéressé a été placé en congé de maladie pour un syndrome anxiodépressif du 1er septembre 2017 au 30 avril 2018, les agissements que M. A... impute à l'administration sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement moral.
En ce qui concerne la dégradation des conditions de travail :
13. M. A... soutient que quand bien même la situation qu'il a vécue ne serait pas qualifiée de harcèlement moral, il a pour autant subi une " mise au placard " constitutive d'une faute de l'administration, consistant à avoir dégradé ses conditions de travail, laquelle engage la responsabilité de l'Etat. Toutefois, il résulte de ce qui vient d'être dit précédemment que les agissements que M. A... impute à l'administration du SPIP de Beauvais ne révèlent aucune faute consistant à avoir dégradé ses conditions de travail ou à l'avoir mis à l'écart de nature à engager la responsabilité de l'Etat.
En ce qui concerne l'existence d'une faute personnelle du supérieur hiérarchique direct :
14. M. A... soutient également que la responsabilité de l'administration est engagée à raison de la faute, non dépourvue de tout lien avec le service, commise par sa supérieure hiérarchique directe, dont il a subi la vindicte personnelle et qui n'a eu de cesse de le convoquer à de multiples reprises pour formuler divers reproches et lui donner des instructions contradictoires. Toutefois, ainsi qu'il a été dit aux points 4 à 11, aucun agissement de la nature de ceux qu'il invoque, ne peuvent être imputés à sa supérieure hiérarchique directe. Par suite, aucune faute personnelle de cette dernière, en lien avec le service, n'est susceptible d'engager la responsabilité de l'Etat.
Sur les conclusions à fins d'indemnisation :
15. Il résulte de ce qui a été dit précédemment qu'en l'absence de faits fautifs faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral, d'une dégradation de ses conditions de travail ou d'un fait personnel d'un agent du SPIP non dépourvu de tout lien avec le service, M. A... n'est pas fondé à solliciter l'indemnisation du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qu'il estime avoir subis.
16. Pour les mêmes motifs, en l'absence d'agissements de la nature de ceux mentionnés au IV de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 de nature à entraîner une obligation de protection, l'Etat ne saurait être tenu de réparer les préjudices invoqués par M. A....
17. Il résulte de tout ce qui précède, que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué du 30 novembre 2022, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.
Sur les dépens :
18. A défaut de dépens dans la présente instance, la demande présentée à ce titre par M. A... ne peut qu'être rejetée.
Sur les frais liés au litige :
19. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. A..., au titre des frais qu'il a exposés et non compris dans les dépens.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A... et au garde des sceaux, ministre de la justice.
Délibéré après l'audience publique du 19 mars 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2024.
Le rapporteur,
Signé : F. Malfoy
La présidente de chambre,
Signé : M-P. Viard
Le greffier,
Signé : F. Cheppe
La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme
Le greffier,
F. Cheppe
No 22DA02526 2