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16/10/2024 | FRANCE | N°23DA00010

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 16 octobre 2024, 23DA00010


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la Métropole européenne de Lille (MEL) à lui verser la somme totale de 62 559 euros en réparation de préjudices résultant selon elle de la gestion fautive de sa carrière, des fautes commises dans l'instruction de sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie et de faits de harcèlement moral.

Par un jugement no 1909059 du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Lille a

fait partiellement droit à sa demande en condamnant la MEL à lui verser une somme d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la Métropole européenne de Lille (MEL) à lui verser la somme totale de 62 559 euros en réparation de préjudices résultant selon elle de la gestion fautive de sa carrière, des fautes commises dans l'instruction de sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie et de faits de harcèlement moral.

Par un jugement no 1909059 du 7 novembre 2022, le tribunal administratif de Lille a fait partiellement droit à sa demande en condamnant la MEL à lui verser une somme de 1 500 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et deux mémoires, enregistrés les 4 janvier et 13 juin 2023 et 4 mars 2024, ce dernier mémoire n'ayant pas été communiqué, Mme A..., représentée par Me Creveaux, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il n'a fait que partiellement droit à sa demande ;

2°) de condamner la MEL à lui verser la somme de 65 459 euros, dont 29 459 euros en réparation du préjudice résultant de la gestion fautive de sa carrière, 21 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'instruction anormalement longue de sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie et 15 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle estime avoir subi ;

3°) de mettre à la charge de la MEL une somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

S'agissant de la régularité du jugement :

- il n'est pas justifié de la signature de la minute du jugement attaqué par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience ;

S'agissant de la gestion de sa carrière :

- son affectation sur un poste rattaché au pôle Ressources humaines, du 1er janvier 2017 au 30 juin 2017, constitue une illégalité fautive, dès lors qu'aucune mission effective ne lui a été confiée, que l'administration ne l'a pas accompagnée dans son évolution professionnelle, que cette affectation n'était que temporaire et qu'elle n'était pas de nature à répondre à la souffrance éprouvée dans ses précédentes fonctions ;

- son affectation le 1er juillet 2017 sur un poste de chargé d'analyse des faits d'ambiance et de fraudes est fautive, dès lors que les missions confiées ne sont pas conformes à son cadre d'emploi et à son grade et que l'intérêt du service ayant motivé ce changement d'affectation n'est pas démontré ;

- ces fautes ont entraîné un préjudice financier résultant de la diminution de ses indemnités dues au titre du régime indemnitaire tenant compte des fonctions, des sujétions, de l'expertise et de l'engagement professionnel (RIFSEEP), à hauteur de 11 025 euros, et de la perte de la nouvelle bonification indiciaire (NBI), à hauteur de 7 434 euros, un préjudice résultant des troubles dans les conditions d'existence en raison de la diminution de sa rémunération, à hauteur de 3 000 euros, et un préjudice moral à hauteur de 8 000 euros ;

S'agissant de l'instruction de la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie :

- le délai anormalement long entre sa demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie et la décision de l'administration présente un caractère fautif ;

- le préjudice financier résultant du surcroît d'imposition entraîné par le paiement des arriérés de salaires en 2019 doit être évalué à 6 000 euros ;

- le préjudice résultant des troubles dans ses conditions d'existence, en raison de l'absence de versement de son plein traitement et de la perte de son régime indemnitaire, doit être évalué à la somme de 10 000 euros ;

- le préjudice moral résultant du retard dans l'instruction de sa demande doit être évalué à la somme de 5 000 euros ;

S'agissant du harcèlement moral :

- elle a été victime de harcèlement moral dès lors que l'administration n'a pas anticipé les conséquences de la réorganisation des services sur ses missions et n'a pas pris de mesures suite à l'alerte relative à un risque psycho-social adressée en décembre 2016, qu'elle a été contrainte de rechercher un nouveau poste sans accompagnement, qu'elle a été affectée sur un poste ne correspondant pas à son grade, que le traitement de sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie a été excessivement long, de même que ses demandes de remboursement de frais de santé, que cette imputabilité n'a été reconnue qu'à compter du 1er juillet 2017, contrairement à l'avis de son médecin traitant, et qu'elle n'a pas bénéficié de son régime indemnitaire de janvier à mai 2019 ;

- le harcèlement moral dont elle a fait l'objet lui a causé un préjudice moral qui doit être évalué à 15 000 euros.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 30 mars 2023 et le 21 février 2024, la MEL, représentée par Me Walgenwitz, conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par une ordonnance du 13 février 2024, la clôture de l'instruction a été fixée au 5 mars 2024 à 12h00.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n° 87-602 du 30 juillet 1987 ;

- le décret n° 87-1099 du 30 décembre 1987 ;

- le décret n° 2006-779 du 3 juillet 2006 ;

- l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur ;

- les conclusions de M. Nil Carpentier-Daubresse, rapporteur public ;

- et les observations de Me Cwiklinski, représentant Mme A..., et de Me Lanciaux, représentant la MEL.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., attachée territoriale, titulaire du grade de directrice territoriale au sein de la Métropole européenne de Lille (MEL), a été affectée, de 2003 à 2015, au sein du secrétariat général, au service " affaires juridiques, marchés publics et documentation " dans lequel elle exerçait la fonction de responsable de l'unité fonctionnelle " marchés publics ". En 2015, une restructuration des services de la métropole a conduit à la création d'une direction de la commande publique comprenant notamment une unité fonctionnelle " procédure et expertise ", dont la responsabilité a été confiée à Mme A.... L'intéressée a alors développé un état dépressif qui a conduit, d'une part, à un arrêt de travail à compter du mois de novembre 2016 et, d'autre part, à son rattachement temporaire à compter du 1er janvier 2017 et pour une durée de six mois au pôle " ressources humaines " en vue de la réalisation d'un bilan professionnel lui permettant de se positionner sur un autre poste. Par une décision du 7 juillet 2017, Mme A... a été affectée sur un poste existant de chargée d'analyse des faits d'ambiance et de fraude sur le réseau de transports de la MEL, emploi relevant de la catégorie B. Par une décision du 17 avril 2018, la MEL a modifié la fiche de poste de l'intéressée afin de le faire correspondre à des missions relevant du cadre d'emplois des attachés territoriaux. Par un jugement du 10 novembre 2020, le tribunal administratif de Lille a annulé la décision du 17 avril 2018 par laquelle Mme A... a été formellement affectée sur le nouvel emploi de chargé d'analyse des faits d'ambiance et de fraude sur le réseau de transports de la MEL, en raison de l'absence de délibération créant ledit emploi. Par ailleurs, la MEL, saisie par Mme A... le 29 août 2017, a reconnu, par un arrêté du 17 avril 2019, l'imputabilité au service de la maladie présentée par la requérante, pour la période du 1er juillet 2017 au 1er mars 2019.

2. Par un courrier du 10 juillet 2019, Mme A... a demandé à son employeur l'indemnisation des préjudices qu'elle estime avoir subis en raison des fautes commises par la collectivité dans la gestion de sa carrière, dans l'instruction de sa demande d'imputabilité au service de sa maladie et en raison de faits constitutifs selon elle de harcèlement moral. Sa demande a été implicitement rejetée. Par un jugement du 7 novembre 2022, le tribunal a fait partiellement droit à sa demande en condamnant la MEL à lui verser une somme de 1 500 euros. Mme A... fait appel de ce jugement et demande que la MEL soit condamnée à lui verser la somme de 65 459 euros, dont 29 459 euros en réparation du préjudice résultant de la gestion fautive de sa carrière, 21 000 euros en réparation du préjudice résultant de l'instruction anormalement longue de sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie et 15 000 euros en réparation des préjudices résultant du harcèlement moral qu'elle estime avoir subi.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Il ressort de la minute du jugement attaqué qu'elle est revêtue des trois signatures exigées par l'article R. 741-7 du code de justice administrative. Par suite, le moyen d'irrégularité tiré de la méconnaissance des dispositions de cet article doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'affectation de Mme A... :

S'agissant de la responsabilité de la MEL :

4. Aux termes de l'article 12 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa version alors en vigueur : " Le grade est distinct de l'emploi. / Le grade est le titre qui confère à son titulaire vocation à occuper l'un des emplois qui lui correspondent (...) ". En outre, aux termes de l'article 4 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, dans sa version alors en vigueur : " (...) Un cadre d'emplois regroupe les fonctionnaires soumis au même statut particulier, titulaires d'un grade leur donnant vocation à occuper un ensemble d'emplois (...) ". Enfin, aux termes de l'article 2 du décret du 30 décembre 1987 portant statut particulier du cadre d'emplois des attachés territoriaux : " Les membres du cadre d'emplois participent à la conception, à l'élaboration et à la mise en œuvre des politiques décidées dans les domaines administratif, financier, économique, sanitaire, social, culturel, de l'animation et de l'urbanisme. Ils peuvent ainsi se voir confier des missions, des études ou des fonctions comportant des responsabilités particulières, notamment en matière de gestion des ressources humaines, de gestion des achats et des marchés publics, de gestion financière et de contrôle de gestion, de gestion immobilière et foncière et de conseil juridique. Ils peuvent également être chargés des actions de communication interne et externe et de celles liées au développement, à l'aménagement et à l'animation économique, sociale et culturelle de la collectivité. Ils exercent des fonctions d'encadrement et assurent la direction de bureau ou de service. / (...) / Les titulaires du grade placé en voie d'extinction de directeur territorial exercent leurs fonctions dans (...) les établissements publics locaux assimilés à une commune de plus de 10 000 habitants dans les conditions fixées par le décret n° 2000-954 du 22 septembre 2000 (...) ".

5. Sous réserve de dispositions statutaires particulières, tout fonctionnaire en activité tient de son statut le droit de recevoir, dans un délai raisonnable, une affectation correspondant à son grade.

6. En vertu des principes généraux qui régissent la responsabilité de la puissance publique, un fonctionnaire qui a été irrégulièrement maintenu sans affectation correspondant à son grade a droit à la réparation intégrale du préjudice qu'il a effectivement subi du fait de ce maintien illégal. Pour déterminer l'étendue de la responsabilité de la personne publique, il est tenu compte des démarches qu'il appartient à l'intéressé d'entreprendre auprès de son administration, eu égard tant à son niveau dans la hiérarchie administrative que de la durée de la période pendant laquelle il a bénéficié d'un traitement sans recevoir une affectation correspondant à son grade.

7. Eu égard au grade et à l'ancienneté de Mme A... et au nombre d'emplois dont dispose l'établissement public employeur, le délai raisonnable à l'issue duquel la MEL devait légalement l'affecter sur un poste correspondant à son grade ne saurait, dans les circonstances de l'espèce, excéder six mois.

8. D'une part, il résulte de l'instruction que Mme A... a été affectée sur un poste rattaché au pôle " ressources humaines " à compter du 1er janvier 2017, sans qu'il soit établi qu'elle ait reçue des attributions effectives. Après avoir bénéficié d'un bilan de compétences et d'un accompagnement professionnel, Mme A... a été affectée à partir du 1er juillet 2017 sur un poste de " chargée d'analyse des faits d'ambiance et de fraude sur le réseau de transport de la MEL ", relevant de la catégorie B, par une décision 7 juillet 2017. Par une décision du 17 avril 2018, la MEL a retiré sa décision du 7 juillet 2017 et a affecté à nouveau Mme A... sur le poste de " chargée d'analyse des faits d'ambiance et de fraude sur le réseau de transport de la MEL ", en modifiant la fiche de poste afin que celui-ci relève désormais de la catégorie A.

9. D'autre part, Mme A... n'établit pas que les missions qui lui ont été effectivement confiées à compter du 17 avril 2018 après la modification de sa fiche de poste ne comportent pas les missions de pilotage, d'organisation, d'analyse et d'animation, conformes aux missions relevant de son cadre d'emplois. En outre, la circonstance que ce poste ne comporte aucune mission d'encadrement est sans incidence sur la légalité de cette affectation, dès lors qu'il ne ressort pas des dispositions citées au point 4 que les attachés territoriaux titulaires du grade de directeur territorial doivent nécessairement être affectées sur de tels postes. Il n'est pas établi que le poste de Mme A..., modifié dans les conditions précitées, se confondrait avec celui de chargé d'analyse de la lutte contre la fraude et la sécurisation, poste de catégorie B nouvellement créé au sein de l'équipe de travail. Par suite, les préjudices résultant de l'absence d'affectation sur un poste correspondant à son grade ne peuvent être regardés comme établis postérieurement au 17 avril 2018, sans qu'ait d'incidence à cet égard la circonstance que la décision d'affectation du 17 avril 2018 a été annulée par un jugement du 10 novembre 2020 du tribunal administratif de Lille en raison de l'absence de délibération créant le poste et quand bien même cette décision n'aurait pas été précédée de la consultation de la commission administrative paritaire en application des dispositions du premier alinéa de l'article 52 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale.

10. Il résulte de ce qui précède que la MEL, qui devait trouver à Mme A... une affectation conforme à son grade dans un délai de six mois à compter du 1er janvier 2017, a procédé à l'affectation requise le 17 avril 2018 seulement. L'administration a donc commis une faute en maintenant la requérante sans affectation correspondant à son grade du 1er juillet 2017 au 17 avril 2018.

S'agissant de l'évaluation du préjudice :

11. Sont indemnisables les préjudices de toute nature avec lesquels l'illégalité commise présente un lien direct de causalité. Pour l'évaluation du montant de l'indemnité due, doit être prise en compte la perte des primes et indemnités dont l'intéressé avait, pour la période en cause qui débute à la date d'expiration du délai raisonnable dont disposait l'administration pour lui trouver une affectation, une chance sérieuse de bénéficier, à l'exception de celles qui, eu égard à leur nature, à leur objet et aux conditions dans lesquelles elles sont versées, sont seulement destinées à compenser des frais, charges ou contraintes liés à l'exercice effectif des fonctions.

12. En premier lieu, il résulte de l'instruction que le régime indemnitaire dont bénéficiait Mme A... avant son affectation le 1er janvier 2017 au sein du pôle " ressources humaines " a été maintenu jusqu'au 30 juin 2017. Si Mme A... soutient avoir subi un préjudice financier résultant de la privation de la nouvelle bonification indiciaire (NBI) et de l'indemnité de responsabilité qu'elle percevait avant son changement d'affectation le 1er janvier 2017, il n'est pas établi qu'elle aurait eu une chance sérieuse d'en bénéficier du 1er juillet 2017 au 17 avril 2018, période pendant laquelle elle a reçu une affectation irrégulière, alors notamment qu'elle s'est elle-même portée candidate en juin 2017 à trois postes dépourvus de fonctions d'encadrement et qu'aucune suite n'a été apportée à sa candidature à un poste de chef de service en septembre 2017. En outre, il ne ressort pas des bulletins de salaire versés au dossier que l'affectation de Mme A... à compter du 1er juillet 2017 ait entraîné la diminution d'autres indemnités que la NBI ou l'indemnité de responsabilité. Par suite, ce préjudice, de même que, par voie de conséquence, le préjudice résultant des troubles dans les conditions d'existence engendrés par la diminution de sa rémunération ne peuvent être regardés comme établis.

13. En deuxième lieu, compte tenu de la durée limitée de l'affectation de la requérante sur un poste ne correspondant pas à son grade, les premiers juges n'ont pas fait une appréciation insuffisante de l'indemnité due au titre du préjudice moral en résultant en l'évaluant à la somme de 500 euros.

En ce qui concerne l'instruction de la demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa maladie :

S'agissant de la responsabilité de la MEL :

14. Aux termes de l'article 57 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, alors en vigueur : " Le fonctionnaire en activité a droit : (...) / 2° A des congés de maladie dont la durée totale peut atteindre un an pendant une période de douze mois consécutifs en cas de maladie dûment constatée mettant l'intéressé dans l'impossibilité d'exercer ses fonctions. Celui-ci conserve alors l'intégralité de son traitement pendant une durée de trois mois ; ce traitement est réduit de moitié pendant les neuf mois suivants. (...) / Toutefois, si la maladie provient de l'une des causes exceptionnelles prévues à l'article L. 27 du code des pensions civiles et militaires de retraite ou d'un accident survenu dans l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, le fonctionnaire conserve l'intégralité de son traitement jusqu'à ce qu'il soit en état de reprendre son service. (...) / Dans le cas visé à l'alinéa précédent, l'imputation au service de l'accident ou de la maladie est appréciée par la commission de réforme instituée par le régime des pensions des agents des collectivités locales ". Aux termes de l'article 16 du décret du 30 juillet 1987 relatif aux congés de maladie des fonctionnaires territoriaux, alors en vigueur : " (...) la commission de réforme prévue par le décret n° 65-773 du 9 septembre 1965 susvisé est obligatoirement consultée dans tous les cas où un fonctionnaire demande le bénéfice de l'article 57 (2°, 2ème alinéa) de la loi du 26 janvier 1984 susvisée. Le dossier qui lui est soumis doit comprendre un rapport écrit du médecin du service de médecine professionnelle et préventive compétent à l'égard du fonctionnaire concerné. Lorsque l'administration est amenée à se prononcer sur l'imputabilité au service d'une maladie ou d'un accident, elle peut, en tant que de besoin, consulter un médecin expert agréé. (...) ". Aux termes de l'article 13 de l'arrêté du 4 août 2004 relatif aux commissions de réforme des agents de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière : " La demande d'inscription à l'ordre du jour de la commission est adressée au secrétariat de celle-ci par l'employeur de l'agent concerné. / L'agent concerné peut également adresser une demande de saisine de la commission à son employeur, qui doit la transmettre au secrétariat de celle-ci dans un délai de trois semaines ; le secrétariat accuse réception de cette transmission à l'agent concerné et à son employeur ; passé le délai de trois semaines, l'agent concerné peut faire parvenir directement au secrétariat de la commission un double de sa demande par lettre recommandée avec accusé de réception ; cette transmission vaut saisine de la commission. / La commission doit examiner le dossier dans le délai d'un mois à compter de la réception de la demande d'inscription à l'ordre du jour par son secrétariat ".

15. Il résulte de l'instruction que Mme A... a adressé le 29 août 2017 à son employeur une demande de reconnaissance de l'imputabilité au service de sa dépression. La requérante a été convoquée par le médecin du travail le 28 septembre 2017 et l'expert psychiatre mandaté par la collectivité a rendu son rapport le 6 décembre 2017. La MEL a ensuite diligenté une enquête administrative du 5 mars au 27 avril 2018. Ainsi qu'il ressort des échanges de courriels entre Mme A... et la MEL, la requérante a saisi elle-même la commission de réforme en novembre 2018. Cette dernière s'est prononcée favorablement dans sa séance du 1er mars 2019 et la MEL a, par un arrêté du 17 avril 2019, reconnu l'imputabilité au service de la maladie présentée par la requérante à compter du 1er juillet 2017.

16. Les retards pris par la MEL pour instruire la demande de la requérante, et notamment diligenter une enquête administrative et saisir la commission de réforme, présentent un caractère fautif. La circonstance, au demeurant non établie par les pièces du dossier, que le secrétariat de la commission ait omis de convoquer les membres de celle-ci lors de la séance de février 2019 ne suffit pas à expliquer un délai d'instruction de près de dix-neuf mois. Par suite, la responsabilité de la MEL est engagée pour les préjudices résultant de ce manque de diligence.

S'agissant de l'évaluation des préjudices :

17. En premier lieu, la mise en place d'une retenue à la source à compter du 1er janvier 2019, pour le règlement de l'impôt sur le revenu, a induit une " année blanche " pour les revenus perçus en 2018 qui, relevant d'un crédit d'impôt de modernisation du recouvrement, n'ont pas été soumis à l'impôt. Il résulte de l'instruction que le retard pris par la MEL pour instruire la demande d'imputabilité au service présentée par Mme A... a entraîné son placement en congé de maladie à mi-traitement au cours de l'année 2017 et tout au long de l'année 2018, suivi d'une régularisation au cours de l'année 2019. La requérante est donc fondée à soutenir que ce retard fautif a eu pour effet de soumettre à l'impôt sur le revenu, au titre de l'année 2019, les éléments de salaire qu'elle aurait dû percevoir au cours de l'année 2018 et qui lui ont été versés, à titre de régularisation, au cours de l'année suivante. Il ressort du bulletin de paie relatif au mois d'avril 2019, au cours duquel Mme A... a obtenu la régularisation de sa situation financière, que les rappels de traitement, de complément de rémunération, de retenue sur prime et d'indemnité complémentaire au titre de l'année 2018 s'établissent, après déduction des cotisations sociales (CSG, CRDS), de la cotisation de retraite (CNRACL) et de la cotisation additionnelle, à la somme de 17 865 euros. Selon l'avis d'imposition sur les revenus de l'année 2019, Mme A... a déclaré au cours de cette année des salaires pour un montant de 73 809 euros. Il y a donc lieu, après avoir déduit de ce montant la somme de 17 865 euros, tenu compte des revenus déclarés par son conjoint, lesquels présentent un niveau constant depuis 2016, et appliqué l'abattement de 10 % à ces revenus et les barèmes d'imposition à chacune des parts résultant du quotient familial, d'en déduire qu'en l'absence de retard de l'administration, le montant d'impôt se serait établi à la somme de 11 962 euros, et non de 16 785 euros comme indiqué dans l'avis d'imposition précité. Mme A..., qui évalue en appel le montant de son préjudice à 6 000 euros, est donc seulement fondée à soutenir que la MEL doit lui verser la somme de 4 823 euros en réparation du préjudice résultant du retard à instruire sa demande d'imputabilité.

18. En second lieu, la reconnaissance tardive de l'imputabilité au service de la pathologie de Mme A... a nécessairement entraîné, d'une part, des troubles dans ses conditions d'existence résultant du bénéfice prolongé d'un demi-traitement et de la perte de son régime indemnitaire à compter du 21 décembre 2018, date de son placement en disponibilité pour maladie et, d'autre part, un préjudice moral résultant de l'incertitude quant à sa situation administrative et financière. Le tribunal administratif n'a pas fait une insuffisante évaluation de ces préjudices, en l'absence d'élément de nature à remettre en cause leur appréciation, en fixant l'indemnité à ce titre à 1 000 euros.

En ce qui concerne le harcèlement moral :

19. Aux termes de l'article 6 quinquies de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dont les dispositions ont été reprises depuis aux articles L. 133-2 et L. 133-3 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. / Aucune mesure concernant notamment le recrutement, la titularisation, la rémunération, la formation, l'évaluation, la notation, la discipline, la promotion, l'affectation et la mutation ne peut être prise à l'égard d'un fonctionnaire en prenant en considération : / 1° Le fait qu'il ait subi ou refusé de subir les agissements de harcèlement moral visés au premier alinéa ; / 2° Le fait qu'il ait exercé un recours auprès d'un supérieur hiérarchique ou engagé une action en justice visant à faire cesser ces agissements ; / 3° Ou bien le fait qu'il ait témoigné de tels agissements ou qu'il les ait relatés. / Est passible d'une sanction disciplinaire tout agent ayant procédé ou ayant enjoint de procéder aux agissements définis ci-dessus ".

20. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile.

21. Mme A... soutient que les agissements de la MEL dans la gestion de sa carrière, dans l'instruction de sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie professionnelle, dans la prise en charge de ses frais de santé et dans la gestion de sa rémunération sont constitutifs d'un harcèlement moral. Toutefois, si, ainsi qu'il a été énoncé au point 10, l'absence d'affectation correspondant à son grade dans un délai raisonnable présente un caractère fautif, il résulte de l'instruction qu'au cours du premier semestre 2017, la MEL a changé Mme A... d'affectation en réponse à un signalement de risque psycho-social adressé par une collègue et après que l'intéressée a été reçue par le service de médecine du travail et par le service des ressources humaines. En outre, la MEL a mis en place un accompagnement professionnel en faveur de Mme A..., comportant notamment la réalisation d'un bilan de compétences et de formations et son affectation fautive sur un poste de catégorie B le 1er juillet 2017 n'a été maintenue que pour une période limitée. De surcroît, il ne ressort pas des échanges de courriels entre Mme A... et des responsables de la MEL entre les mois d'août et octobre 2019 que le délai de traitement des demandes de prise en charge des frais de santé de la requérante ait présenté un caractère excessif. De même, il ressort des échanges de courriels des 3 et 4 juin 2019 que l'absence de versement des rappels de primes et indemnités lors de la régularisation financière d'avril 2019 consécutive à la reconnaissance de l'imputabilité au service de sa pathologie résulte seulement d'une erreur du service qui a été corrigée dès la mise en paie du traitement versé en juin 2019, et non d'une volonté de lui nuire. De plus, si l'administration a manqué de diligence dans l'instruction de sa demande de reconnaissance d'imputabilité au service de sa maladie, cette dernière a fait l'objet d'une décision favorable de la MEL. Enfin, la circonstance que l'administration ait fixé au 1er juillet 2017 le début de la période d'imputabilité de sa pathologie, alors que le certificat médical initial et le rapport d'expertise préconisaient de retenir le 22 avril 2016, ne permet pas de supposer l'existence d'agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de l'administration. Dans ces conditions, les agissements de la MEL dénoncés par Mme A... ne présentent pas un caractère suffisant de répétition et de gravité, de sorte qu'elle ne peut être regardée comme étant victime de harcèlement moral de la part de son employeur.

22. Il résulte de tout ce qui précède, notamment de ce qu'il a été dit aux points 13, 17 et 18, que Mme A... est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a limité à 1 500 euros l'indemnisation due par la MEL, qu'il y a lieu de porter à la somme de 6 323 euros.

Sur les frais liés à l'instance :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme A..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par la MEL au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la MEL une somme de 2 000 euros, à verser à Mme A... sur le fondement des mêmes dispositions.

DÉCIDE:

Article 1er : La somme de 1 500 euros que la MEL a été condamnée à verser à Mme A... par le jugement du tribunal administratif de Lille no 1909059 du 7 novembre 2022 est portée à 6 323 euros.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 7 novembre 2022 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : La MEL versera la somme de 2 000 euros à Mme A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et à la Métropole européenne de Lille.

Délibéré après l'audience publique du 1er octobre 2024, à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre ;

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur :

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 octobre 2024.

Le président-rapporteur,

Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,

Signé : M.-P. Viard

La greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière

C. Huls-Carlier

2

N° 23DA00010


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00010
Date de la décision : 16/10/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guerin-Lebacq
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : AARPI ADMYS Avocats

Origine de la décision
Date de l'import : 27/10/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-16;23da00010 ?
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