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23/10/2024 | FRANCE | N°23DA01901

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 2ème chambre, 23 octobre 2024, 23DA01901


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 28 février 2023 du préfet de la Seine-Maritime lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.



Par un jugement n° 2301871 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à sa demande et a enjoint à l'administration de délivrer un titre

de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".



Procédure devant la cour :



...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 28 février 2023 du préfet de la Seine-Maritime lui refusant la délivrance d'un titre de séjour, lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

Par un jugement n° 2301871 du 21 septembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à sa demande et a enjoint à l'administration de délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 octobre 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour d'annuler ce jugement.

Il soutient que la personne se présentant sous l'identité de M. A... a présenté des justificatifs d'état civil qui ne sont pas authentiques, de sorte que les premiers juges ne pouvaient pas considérer qu'il remplit les conditions pour bénéficier d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et lui enjoindre de délivrer un titre de séjour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er août 2024, M. A..., représenté par Me Montreuil, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au profit de son avocat au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à charge pour son conseil de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

Il soutient que :

- la requête d'appel est irrecevable dès lors qu'elle ne comporte pas de moyen d'appel et reprend les écritures produites par le préfet de la Seine-Maritime en première instance ;

- les moyens soulevés par l'appelant ne sont pas fondés.

M. A... a obtenu le maintien de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 27 juin 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91- 647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Vandenberghe, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Un ressortissant étranger se présentant sous l'identité de M. D... A..., ressortissant guinéen né le 3 mai 2004, entré en France le 10 août 2020 a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance le 24 août 2020. Il a sollicité le 11 avril 2022 la délivrance d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Compte tenu du placement de l'intéressé au service de l'aide sociale à l'enfance, les services préfectoraux ont examiné sa demande sur le fondement de l'article L. 435-3 du même code. Par un arrêté du 28 février 2023, le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer le titre demandé, l'a obligé à quitter le territoire dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel du jugement du 21 septembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et a enjoint à l'autorité préfectorale de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ".

Sur la recevabilité de la requête d'appel du préfet de la Seine-Maritime :

2. Aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ". Ces dispositions sont rendues applicables à l'introduction d'une instance devant le juge d'appel par les dispositions de l'article R. 811-13 du code de justice administrative.

3. Il ressort des énonciations de la requête enregistrée au greffe de la cour le 9 octobre 2023 que, pour demander l'annulation du jugement du 21 septembre 2023 du tribunal administratif de Rouen prononçant l'annulation de son arrêté du 28 février 2023 et, par voie de conséquence, le rejet des conclusions de première instance de M. A..., le préfet de la Seine-Maritime conteste la force probante des pièces que l'intéressé avait produites en première instance et soutient que c'est à tort que les premiers juges se sont fondés sur celles-ci pour accueillir le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Ainsi, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la requête d'appel du préfet est irrecevable pour ne comporter aucun moyen. Par suite, la fin de non-recevoir qu'il oppose en ce sens doit être écartée.

Sur le moyen retenu par les premiers juges :

4. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil. ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité (...) ". Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : / 1° Les documents justifiant de son état civil ; / 2° Les documents justifiant de sa nationalité (...) / La délivrance du premier récépissé et l'intervention de la décision relative au titre de séjour sollicité sont subordonnées à la production de ces documents. / (...) ".

5. La délivrance à un étranger d'un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile est subordonnée au respect par l'étranger des conditions qu'il prévoit, en particulier concernant l'âge de l'intéressé, que l'administration vérifie au vu notamment des documents d'état civil produits par celui-ci. A cet égard, la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

6. Pour refuser la délivrance d'un titre de séjour à M. A..., le préfet de la Seine-Maritime a, eu égard à l'irrégularité des documents d'état-civil produits par l'intéressé, estimé qu'il n'était pas établi que celui-ci était âgé de moins de dix-huit ans à la date à laquelle il a été confié au service départemental de l'aide sociale à l'enfance, une telle situation faisant obstacle à ce qu'il soit admis au séjour sur le fondement de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. Il ressort des pièces du dossier que l'acte de naissance délivré le 22 janvier 2021 produit par M. A... à l'appui de sa demande de titre de séjour ne comporte ni numérotation, ni coordonnées de l'imprimerie, que certaines de ses mentions sont rédigées par abréviations et que deux timbres humides ont été superposés dont l'un porte sur une autre région que celle dont l'intéressé est originaire. De plus, la copie de l'extrait d'acte de naissance délivré le 22 janvier 2021 ne fait figurer la date de l'acte qu'en chiffres, ne mentionne pas le numéro d'identification nationale des personnes physiques et morales (NINA) et comporte plusieurs mentions rédigées sous forme d'abréviation. Le jugement supplétif d'acte de naissance n° 58 comporte quant à lui des mentions non parfaitement alignées et centrées. Suivant les analyses effectuées par la cellule " Fraude documentaire " de la direction interdépartementale de la police aux frontières de la Seine-Maritime et du Havre produites par le préfet, ces documents comportent donc de nombreuses anomalies dont certaines marquent une méconnaissance des dispositions de la loi malienne. Eu égard à leur nature et à leur nombre, ces anomalies sont de nature à renverser la présomption d'authenticité de cet acte de naissance, de la copie de l'extrait d'acte de naissance et du jugement supplétif. Quant au passeport et à la carte d'identité consulaire produits par M. A..., ils ne constituent pas des documents d'état civil susceptibles de justifier de son identité. En outre, l'appréciation de la minorité de M. A... par une enquête sociale réalisée préalablement à son placement provisoire à l'aide sociale à l'enfance ne permet pas de pallier l'absence d'authenticité des seuls actes d'état civil qu'il a produits. Dès lors, le préfet de la Seine-Maritime pouvait légalement considérer que l'intéressé, faute de justifier de son âge, ne remplissait pas les conditions posées par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

8. Il en résulte que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 28 février 2023 refusant la délivrance d'un titre de séjour à M. A..., lui faisant obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination.

9. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A....

Sur les autres moyens :

10. En premier lieu, l'arrêté du 28 février 2023 a été signé par M. C... B..., directeur des migrations et de l'intégration de la préfecture de la Seine-Maritime. Par un arrêté n° 23-033 du 30 janvier 2023, le préfet de la Seine-Maritime lui a donné une délégation aux fins de signer, notamment, les décisions relatives au refus de délivrance d'un titre de séjour, les mesures d'éloignement, les décisions relatives au délai de départ volontaire et celles fixant le pays de renvoi. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de l'arrêté attaqué, qui manque en fait, doit être écarté.

11. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-2 n'est pas opposable ".

12. M. A... ne justifiant pas de son identité, comme il a été dit au point 7 , il ne peut utilement soutenir qu'il remplirait les conditions relatives à son âge posées par l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile pour obtenir son admission exceptionnelle au séjour. Par suite, le moyen tiré de ce que l'arrêté attaqué méconnaîtrait les dispositions citées au point 11 doit être écarté.

13. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

14. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., célibataire et sans charge de famille, n'est présent sur le territoire français que depuis moins de trois ans à la date de l'arrêté attaqué. S'il se prévaut de son insertion sociale et professionnelle et fait valoir s'être vu délivrer le 21 septembre 2023 un certificat d'aptitude professionnelle dans la spécialité boulanger et avoir fait de nombreux stages en entreprise, il ne justifie toutefois pas de liens personnels intenses et stables en France, l'intéressé ne pouvant par ailleurs utilement se prévaloir du contrat de travail conclu le 4 juillet 2024, soit postérieurement à l'édiction de l'arrêté en litige. Il n'est par ailleurs pas établi qu'il serait dépourvu de toute attache privée ou familiale au Mali où vivent ses parents et sa sœur. Dans ces conditions, compte tenu notamment de la durée du séjour en France de l'intéressé, la décision attaquée ne porte pas au droit de M. A... au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise. Par suite et en tout état de cause, le préfet n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de ce que le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de M. A... doit être écarté.

15. En dernier lieu, il résulte de ce qui vient d'être dit que le moyen tiré de ce que l'obligation de quitter le territoire français serait dépourvue de base légale du fait de l'illégalité de la décision refusant la délivrance d'un titre de séjour doit être écarté. Le moyen tiré de ce que le pays de destination serait dépourvu de base légale du fait de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français doit également être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée par M. A... doit être rejetée. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais liés au litige doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2301871 du 21 septembre 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande de première instance de M. A... et ses conclusions présentées en appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. D... A... et à Me Montreuil.

Copie sera adressé au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 8 octobre 2024 à laquelle siégeaient :

- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,

- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,

- M. Guillaume Toutias, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 23 octobre 2024.

Le rapporteur,

Signé : G. VandenbergheLe président de chambre

Signé : B. ChevaldonnetLa greffière,

Signé : A-S. Villette

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Pour la greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Anne-Sophie Villette

N°23DA01901 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01901
Date de la décision : 23/10/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Chevaldonnet
Rapporteur ?: M. Guillaume Vandenberghe
Rapporteur public ?: Mme Regnier
Avocat(s) : MONTREUIL

Origine de la décision
Date de l'import : 03/11/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-10-23;23da01901 ?
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