Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme A... C..., épouse B..., a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler l'arrêté du 28 janvier 2022 par lequel le préfet du Nord a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par un jugement n° 2203000 du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 13 octobre 2023, Mme C..., épouse B..., représentée par Me Navy, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 28 janvier 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de faire procéder sans délai à la suppression de son signalement aux fins de non admission dans le système d'information Schengen ;
4°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer le titre de séjour sollicité, à défaut de réexaminer sa situation sous astreinte de 155 euros par jour de retard et de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, en application des dispositions des articles L. 911-1 et suivants du code de justice administrative ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
En ce qui concerne la décision portant refus de titre de séjour :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- elle méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de cet article ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
En ce qui concerne la décision l'obligeant à quitter le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle est entachée d'un défaut d'examen sérieux de sa situation ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et présente un caractère disproportionné au regard de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 janvier 2024, le préfet du Nord conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.
Par ordonnance du 9 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 février 2024.
Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller honoraire, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme C..., de nationalité marocaine, relève appel du jugement du 13 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 janvier 2022 du préfet du Nord refusant de lui délivrer un titre de séjour, l'obligeant à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination de la mesure d'éloignement.
Sur la décision portant refus de titre de séjour :
2. En premier lieu, la décision en litige mentionne les textes applicables, rappelle le parcours de l'intéressée et le fondement de sa demande. Elle comporte les éléments propres à la situation de Mme C... dont le rappel est pertinent pour apprécier son droit au séjour au regard du fondement de sa demande. Elle comprend ainsi les éléments de fait et de droit permettant à Mme C... d'en contester utilement le bien-fondé. Le moyen tiré de son insuffisante motivation doit, par suite, être écarté.
3. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord n'aurait pas, préalablement au prononcé de la décision attaquée, procédé à un examen de la situation personnelle de Mme C.... En effet, non seulement l'arrêté attaqué rappelle les conditions de séjour de l'intéressée sur le territoire mais il rend également compte de l'examen de sa situation au regard des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et des stipulations des articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, le moyen tiré de ce que le préfet du Nord aurait entaché sa décision d'un défaut d'examen sérieux doit être écarté comme manquant en fait.
4. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention "vie privée et familiale" d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / (...) ". Les conditions d'établissement et de transmission de cet avis, ainsi que des certificats médicaux et rapports médicaux au vu desquels il est pris, sont fixées par les articles R. 425-11 à R. 425-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et précisées par des arrêtés des 27 décembre 2016 et 5 janvier 2017 du ministre de l'intérieur et du ministre chargé de la santé.
5. Il résulte de ces dispositions que la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée à l'étranger se prévalant de motifs de santé si deux conditions cumulatives sont remplies : d'une part, l'état de santé du demandeur doit nécessiter une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et, d'autre part, il doit être justifié que le demandeur ne peut pas effectivement bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Cette seconde condition s'apprécie au regard de l'offre de soins et des caractéristiques du système de santé dans le pays dont le demandeur est originaire. L'article 3 de l'arrêté du 5 janvier 2017 mentionné ci-dessus du ministre de la santé précise à cet égard que : " (...) / L'offre de soins s'apprécie notamment au regard de l'existence de structures, d'équipements, de médicaments et de dispositifs médicaux, ainsi que de personnels compétents nécessaires pour assurer une prise en charge appropriée de l'affection en cause. / L'appréciation des caractéristiques du système de santé doit permettre de déterminer la possibilité ou non d'accéder effectivement à l'offre de soins et donc au traitement approprié. / (...) ".
6. En outre, le préfet statue au vu, notamment, de l'avis rendu par un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII). S'il est saisi, à l'appui de conclusions tendant à l'annulation de la décision de refus, d'un moyen relatif à l'état de santé du demandeur, aux conséquences de l'interruption de sa prise en charge médicale ou à la possibilité pour lui d'en bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire, il appartient au juge administratif de prendre en considération cet avis médical. Si le demandeur entend en contester le sens, il appartient à lui seul de lever le secret relatif aux informations médicales qui le concernent, afin de permettre au juge de se prononcer en prenant en considération l'ensemble des éléments pertinents, notamment l'entier dossier du rapport médical au vu duquel s'est prononcé le collège des médecins de l'OFII, en sollicitant sa communication, ainsi que les éléments versés par le demandeur au débat contradictoire.
7. Il ressort de l'article 3 de l'arrêté du 5 janvier 2017 mentionné ci-dessus que la condition tenant à l'impossibilité de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine s'apprécie individuellement. Dans ce cadre, il s'agit donc de rechercher si l'offre de soins et les caractéristiques du système de santé dans le pays permettent d'assurer une prise en charge satisfaisante de la pathologie du demandeur, compte tenu de la gravité de celle-ci, de son état d'avancement et de ses perspectives d'évolution.
8. Il ressort des pièces du dossier que l'avis rendu le 9 février 2021 par le collège de médecins, sur lequel le préfet s'est fondé, mentionne que l'état de santé de Mme C... nécessite une prise en charge médicale, que le défaut de prise en charge médicale peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du Maroc, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. Mme C... soutient que, contrairement aux motifs de l'arrêté en litige elle ne peut pas bénéficier d'un traitement approprié dans son pays d'origine. Elle relève en effet que le Maroc souffre d'une pénurie d'insuline et que l'Acarbose qui est un antidiabétique, le Vésicare qui est un antispasmodique, l'Amgevita, qui est un immunosuppresseur et le Sibélium qui traite la migraine ne sont pas disponibles dans ce pays. Elle produit à cet effet les liens informatiques relayant trois articles de presse portant sur la pénurie de médicaments au Maroc. Toutefois, ces articles de presse mentionnent pour l'un, la nécessité de promouvoir la production nationale et de diversifier les fournisseurs pour éviter les pénuries de médicaments, pour l'autre, les raisons de la pénurie de médicaments et, pour le dernier d'entre eux, la difficulté de se procurer de l'insuline, à l'instar de nombre d'autres médicaments. Aucun de ces articles n'indique que la pénurie d'insuline ou des autres médicaments nécessaires au traitement de l'intéressée est définitive. L'appelante mentionne également dans ses écritures un lien informatique conduisant à une liste de médicaments commercialisés au Maroc dans laquelle ne figurent pas les quatre médicaments précités, sans démontrer qu'aucun autre médicament en vente dans son pays ne leur serait pas substituable. Ainsi, par les seules références qu'elle produit, elle n'établit pas que l'offre de soins disponible au Maroc ne pourrait pas traiter de manière satisfaisante les maladies dont elle est affectée.
9. Dans ces conditions, elle n'apporte pas d'éléments suffisants pour infirmer les conclusions de l'avis du collège des médecins de l'OFII quant à la possibilité de bénéficier effectivement d'un traitement approprié dans son pays d'origine et sur lequel s'est notamment appuyé le préfet pour prendre la décision en litige. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et celui de l'erreur manifeste d'appréciation qu'aurait commise le préfet dans l'application de cet article doivent être écartés.
10. En quatrième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
11. Pour soutenir qu'elle dispose de liens familiaux et personnels forts sur le territoire national, Mme C... met en avant la présence de quatre de ses enfants majeurs, trois d'entre eux séjournant régulièrement en France et l'un possédant la nationalité française, et de plusieurs petits enfants français et de son hébergement par l'une de ses filles. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme C..., née en 1958, déclare être entrée en France le 10 juin 2016 munie de son passeport revêtu d'un visa de court séjour valable jusqu'au 25 juillet 2016, qu'elle a bénéficié d'une carte de séjour temporaire pour raisons de santé délivrée le 4 décembre 2017 et renouvelée jusqu'au 18 juin 2019 et que le renouvellement de cette carte de séjour demandé le 14 août 2019 lui a été refusé par la décision en litige du 28 janvier 2022. Son époux a fait l'objet d'une décision du même jour rejetant sa demande de titre de séjour et l'obligeant à quitter le territoire français. Si Mme C... allègue qu'elle soutient deux de ses filles, l'une en raison de son handicap auditif et l'autre étant en invalidité, elle n'établit pas que sa présence serait indispensable auprès d'elles pour surmonter leur handicap ni auprès de ses autres enfants et petits-enfants. L'intéressée, qui a vécu dans son pays d'origine jusqu'à l'âge
de cinquante-huit ans, ne démontre pas une insertion notable dans la société française, nonobstant la circonstance qu'elle réside en France depuis 2016 et qu'elle s'occupe de temps à autre de ses petits-enfants. En outre, elle n'est pas dépourvue d'attaches familiales au Maroc où réside notamment sa mère. Par suite, eu égard aux conditions et à la durée de séjour de l'appelante en France, le préfet du Nord n'a pas porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ni fait une inexacte application des stipulations précitées en refusant à Mme C... l'octroi d'un titre de séjour et n'a pas davantage, pour les mêmes motifs, entaché son arrêté d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
12. En premier lieu, la décision en litige mentionne les textes applicables et comporte les éléments propres à la situation de Mme C.... Elle comprend ainsi les éléments de fait et de droit permettant à l'intéressée d'en contester utilement le bien-fondé. Le moyen tiré de son insuffisante motivation doit, par suite, être écarté.
13. En deuxième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que le préfet du Nord n'aurait pas, préalablement au prononcé de la décision attaquée, procédé à un examen de la situation personnelle de Mme C.... En effet, l'arrêté attaqué rappelle les conditions de séjour de l'intéressée sur le territoire mais il rend également compte de l'examen de sa situation au regard des textes qui lui sont applicables. Dès lors, le moyen tiré de ce que le préfet du Nord aurait entaché sa décision d'un défaut d'examen sérieux doit être écarté comme manquant en fait.
14. En troisième lieu, pour les mêmes motifs que ceux qui sont exposés au point 11, la décision en litige n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale et n'est ainsi pas entachée d'une méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni d'une erreur manifeste dans l'appréciation de ses conséquences sur la situation personnelle de Mme C....
15. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 13 juillet 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 28 janvier 2022. Par voie de conséquence, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme C... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... C... épouse B..., au ministre de l'intérieur et à Me Navy.
Copie en sera transmise, pour information, au préfet du Nord.
Délibéré après l'audience publique du 15 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Jean-Pierre Bouchut, magistrat honoraire.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : J.-P. Bouchut
La présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 23DA01930 2