Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 26 novembre 2022 par laquelle le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Par un jugement n° 2209118 du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 17 octobre 2023, M. A..., représenté par Me Emilie Dewaele, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 26 novembre 2022 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Nord de lui délivrer une attestation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de sa situation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 31 juillet 1991.
Il soutient que :
- l'arrêté en litige méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et a porté une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale ;
- l'arrêté en litige est insuffisamment motivé et a méconnu les dispositions des articles L. 211-2 et L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration ;
En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- elle n'a pas été précédée d'un examen réel et sérieux de sa situation personnelle ;
- elle méconnaît les dispositions du 3°) de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision de refus de délai de départ volontaire :
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application du 5°) et du 8°) de l'article L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :
- elle est illégale par exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
En ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :
- elle est insuffisamment motivée ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 612- 6, L. 613-2 et L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est illégale par exception d'illégalité des décisions portant obligation de quitter le territoire français et de refus d'octroi d'un délai de départ volontaire ;
- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales.
Par ordonnance du 9 janvier 2024, la clôture d'instruction a été fixée au 2 février 2024 à 12 heures.
La requête a été communiquée au préfet du Nord qui n'a pas produit de mémoire.
M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 19 septembre 2023.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller honoraire, a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., de nationalité ivoirienne, relève appel du jugement du 4 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 novembre 2022 par lequel le préfet du Nord l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
2. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., entré en France, selon ses déclarations, en mai 2015, à l'âge de seize ans a fait l'objet d'un placement auprès de l'aide sociale à l'enfance à partir de ses dix-sept ans. Il a entamé une scolarité au titre de l'année scolaire 2017/2018, a obtenu un certificat d'aptitude professionnelle en juin 2019 puis un baccalauréat professionnel en juin 2020, a bénéficié d'une convention d'apprentissage du 10 juillet 2020 pour la période du 1er septembre 2020 au 31 août 2022, qui n'a pas été enregistrée, pour pouvoir intégrer la première année du brevet de technicien supérieur " maintenance des véhicules option A " ainsi que d'une promesse d'embauche en date du 23 novembre 2021. Les attestations établies par le personnel éducatif témoignent du sérieux, de la motivation et de l'implication de M. A... dans ses études. La volonté d'insertion professionnelle de l'intéressé est quant à elle démontrée par son embauche en emploi d'avenir le 21 novembre 2016, la convention d'apprentissage de 2020 pour une durée de deux ans et la promesse d'embauche de 2021 qui lui avaient été faites par une société d'automobile mais à laquelle il ne pouvait être donnée suite, faute pour M. A... d'être en possession d'un titre de séjour. Par ailleurs, celui-ci a bénéficié d'un suivi social et éducatif depuis son arrivée en France. Il fait également état d'une relation sentimentale avec une ressortissante française, née le 22 février 1986, avec laquelle il a conclu un pacte civil de solidarité le 20 octobre 2022 et entretient effectivement une relation stable et continue avec cette dernière depuis 2021. Aussi, alors même que M. A... ne serait pas isolé dans son pays d'origine, l'arrêté du 26 novembre 2022 du préfet du Nord a pour effet d'interrompre un parcours scolaire et d'intégration professionnelle cohérent et sérieux et de contrarier la poursuite d'une relation sentimentale avec une ressortissante française. Dès lors, dans les circonstances particulières de l'espèce, en obligeant M. A... à quitter le territoire français, le préfet du Nord a entaché sa décision d'une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale. Par suite, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens invoqués, M. A... est fondé à demander l'annulation de l'arrêté du 26 novembre 2022 l'obligeant à quitter le territoire français.
3. Par voie de conséquence, les décisions du même jour refusant à M. A... un délai de départ volontaire, fixant le pays de destination et lui interdisant tout retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans doivent également être annulées.
4. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 4 juillet 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 26 novembre 2022 par lequel le préfet du Nord lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination de la mesure d'éloignement et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
5. Compte tenu du motif d'annulation ainsi retenu, il y a lieu d'enjoindre au préfet du Nord, sur le fondement de l'article L. 614-16 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de sa situation dans le mois suivant la notification du présent arrêt.
Sur les frais exposés et non compris dans les dépens :
6. M. A... ayant été admis à l'aide juridictionnelle, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, de condamner l'Etat à verser une somme de 1 000 euros à Me Dewaele sous réserve que celle-ci renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 4 juillet 2023 du tribunal administratif de Lille et l'arrêté du 26 novembre 2022 du préfet du Nord sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au préfet du Nord de délivrer à M. A... une autorisation provisoire de séjour et de procéder au réexamen de sa situation, dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Dewaele une somme de 1 000 euros en application du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Dewaele renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur, au préfet du Nord et à Me Dewaele.
Délibéré après l'audience publique du 15 octobre 2024 à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Jean-Pierre Bouchut, magistrat honoraire.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 novembre 2024.
Le rapporteur,
Signé : J.-P. Bouchut
La présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
La greffière en chef,
Par délégation,
La greffière,
C. Huls-Carlier
N° 23DA01953 2