Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la caisse de crédit municipal de Roubaix à lui verser la somme de 233 709,48 euros en réparation de ses préjudices résultant des évènements dont il a été victime le 24 novembre 2015 dans le cadre de ses fonctions, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts.
Par un jugement n° 1902336 du 3 octobre 2023, le tribunal administratif de Lille a condamné la caisse de crédit municipal de Roubaix à verser à M. B... la somme de 4 811,47 euros, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 28 décembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts à la date du 29 octobre 2020 puis à chaque échéance annuelle ultérieure, et a rejeté le surplus de sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés le 14 novembre 2023 et le 5 août 2024, M. B..., représenté par Me Jorion, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :
1°) de réformer ce jugement du 3 octobre 2023 en ce qu'il a limité le montant de la condamnation à la somme de 4 811,47 euros ;
2°) d'annuler la décision du 30 janvier 2019 par laquelle la caisse de crédit municipal de Roubaix a rejeté sa demande indemnitaire ;
3°) de condamner la caisse de crédit municipal de Roubaix à lui verser la somme de 135 726,72 euros en réparation de ses préjudices, cette somme étant assortie des intérêts au taux légal à compter du 27 décembre 2018 et de la capitalisation de ces intérêts ;
4°) de mettre à la charge de la caisse de crédit municipal de Roubaix une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- ses conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 étaient recevables dès lors qu'il a entendu se prévaloir à titre principal de ce fondement de responsabilité dans sa demande préalable ;
- au demeurant, ce fondement de responsabilité relève de la responsabilité sans faute, qui est d'ordre public et doit être soulevée d'office par le juge ;
- il est en droit d'obtenir l'indemnisation de ses préjudices sans attendre qu'il soit statué sur l'action civile devant le juge pénal et sans qu'il soit besoin de justifier l'impossibilité de recouvrer les sommes dues auprès des auteurs de l'infraction ou auprès du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions ;
- l'administration doit réparer les préjudices résultant des violences dont il a été victime dans l'exercice de ses fonctions, pour lesquelles la protection fonctionnelle lui a été accordée et l'imputabilité au service a été reconnue ;
- l'indemnisation de 7 000 euros accordée par les premiers juges en réparation de son préjudice moral et des troubles subis dans ses conditions d'existence doit être portée à la somme totale de 100 000 euros ;
- l'arrêt de la cour d'assise du Pas-de-Calais du 19 septembre 2022 est revêtue de l'autorité de chose jugée en ce qui concerne l'existence de ses souffrances morales, la perte de valeur de son bien immobilier, les frais engagés pour la conservation de ce bien dans l'attente de la levée des scellées, ses pertes de revenus, le préjudice lié à la baisse prévisionnelle de ses indemnités de retraite, et le montant de ces postes de préjudice ;
- il a subi un préjudice d'angoisse de mort imminente, lequel se distingue du préjudice moral, qui doit être évalué à la somme de 30 000 euros ;
- les évènements dont il a été victime le 24 novembre 2015, et plus particulièrement le décès d'un des malfaiteurs, survenu à son domicile, ont entraîné une moins-value sur le prix de ce bien immobilier dont il est fondé à demander l'indemnisation pour un montant de 30 000 euros ;
- il s'est trouvé contraint de vendre ce bien à un moment où le marché immobilier était en baisse, le conduisant à réduire de 20 000 euros le prix de vente de sa maison, justifiant une indemnisation supplémentaire à ce titre ;
- il a été contraint d'exposer des frais nécessaires à la conservation de sa maison en bon état, dans l'attente de la levée des scellés et de la vente, évalués à la somme de 5 726,72 euros ;
- les évènements subis le 24 novembre 2015 ont conduit la caisse de crédit municipal à le placer en congé spécial du 1er octobre 2018 au 30 juin 2020, entrainant des pertes de revenus pour un montant de 45 893,26 euros ;
- l'administration ne peut refuser d'indemniser ses pertes de revenus dès lors qu'elle lui a accordé le bénéfice de la protection fonctionnelle par une délibération du 15 décembre 2015, laquelle est une décision créatrice de droit qui ne peut plus être retirée ;
- il a subi un préjudice, évalué à 2 089,50 euros, lié à la baisse prévisionnelle de ses indemnités de retraite pendant une période de vingt-et-un mois, qui est consolidé à la date de départ à la retraite le 1er juillet 2020 ;
- ses préjudices résultant de la perte de gains professionnels actuels, de la perte de gains professionnels futurs, de son déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées ont été indemnisés pour un montant total de 97 982,76 euros par le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 7 juin et 18 septembre 2024, la caisse de crédit municipal de Roubaix, représentée par Me Thoor, conclut, dans le dernier état de ses écritures, à ce qu'il soit donné acte du désistement partiel de l'appelant, au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de l'appelant en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- il convient de donner acte du désistement du requérant s'agissant de ses conclusions présentées au titre de ses pertes de rémunération, pour un montant de 45 893,26 euros, de sa perte de pension de retraite, pour un montant de 2 089,50 euros, des troubles dans les conditions d'existence pour un montant de 20 000 euros et du préjudice moral pour un montant de 30 000 euros ;
- les conclusions indemnitaires présentées sur le fondement de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 sont irrecevables dès lors qu'elles relèvent d'une cause juridique distincte de celle invoquée dans la demande préalable ;
- le juge administratif n'est pas lié par l'arrêt rendu par le juge pénal sur les intérêts civils ;
- le préjudice d'angoisse de mort imminente ne peut être invoqué en l'absence de décès de la victime ;
- les préjudices tenant à la perte de valeur du bien immobilier ne sont pas établis ;
- le préjudice résultant des frais engagés pour la conservation de ce bien ne présente pas de lien avec les évènements du 24 novembre 2015, alors au demeurant que l'administration a pris en charge les taxes foncières de 2016 à 2018 et le remplacement du matériel de vidéo-surveillance ;
- l'appelant n'a droit à aucune indemnisation résultant de pertes de revenus dès lors que ce préjudice relève du régime des pensions d'invalidité, exclusif de toute autre indemnisation, qu'il ne peut obtenir réparation pour avoir perdu des primes en l'absence d'exercice effectif des fonctions et que sa situation financière a résulté de son placement en congé spécial qui prévoit seulement le maintien du traitement indiciaire ;
- le préjudice résultant d'une perte de pension de retraite n'est pas établi ;
- le préjudice moral ne saurait être évalué à une somme supérieure à 7 000 euros ;
- il convient de déduire de cette somme les versements auxquels ont procédé les auteurs de l'infraction à l'origine du dommage ;
- l'appelant a bénéficié d'une double indemnisation de son préjudice moral.
Par un mémoire enregistré le 25 septembre 2024, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI), représenté par la SELAFA Cassel, conclut à la réformation du jugement attaqué, à la condamnation de la caisse de crédit municipal de Roubaix à lui verser la somme de 97 982,76 euros, assortie des intérêts au taux légal et de la capitalisation de ces intérêts, et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la caisse de crédit municipal sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- il est subrogé dans les droits de l'appelant qu'il a dédommagé, de sorte que son recours est recevable ;
- la demande indemnitaire préalable présentée par l'appelant lie nécessairement le contentieux dès lors que l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 se borne à réaffirmer un principe général du droit selon lequel l'agent victime d'une agression a droit à la réparation intégrale de ses préjudices par l'administration, que cette protection a été accordée à l'intéressé, que la caisse de crédit municipal est tenue de réparer ses préjudices du fait même qu'il a subi une agression, qu'elle s'en est prévalue dans le cadre de la procédure civile devant les juridictions criminelles, que la caisse n'a jamais contesté devant le tribunal administratif que la demande était présentée en application de l'article 11 précité, et que le régime issu de cet article est distinct de celui qui s'applique aux agents dont la maladie est imputable au service ;
- pour l'évaluation des préjudices, il n'y a pas lieu de s'écarter des montants retenus par les juridictions pénales.
Par une ordonnance du 26 septembre 2024, la clôture d'instruction a été fixée en dernier lieu au 16 octobre 2024, à 12 heures.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des pensions civiles et militaires de retraite ;
- le code de procédure pénale ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;
- la décret n° 88-614 du 6 mai 1988 ;
- le décret n° 2005-442 du 2 mai 2005 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Pryfer, représentant M. B..., et de Me Thoor, représentant la caisse de crédit municipal de Roubaix.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., attaché territorial, a été nommé directeur de la caisse de crédit municipal de Roubaix en 1991. Le 24 novembre 2015, cinq individus armés l'ont séquestré à son domicile, ainsi que son épouse, sa fille et son petit-fils, en vue d'obtenir un accès aux coffres du crédit municipal. L'intervention des forces de l'ordre, au cours de laquelle l'un des preneurs d'otages a été mortellement blessé, a permis la libération de M. B... et de sa famille. Par un arrêté du 27 novembre 2015, la caisse de crédit municipal de Roubaix a reconnu que ces évènements constituaient un accident imputable au service. Par un courrier du 27 décembre 2018, M. B... a saisi la caisse de crédit municipal afin d'obtenir l'indemnisation des préjudices résultant des faits survenus le 24 novembre 2015. Sa demande ayant été explicitement rejetée par un courrier du 30 janvier 2019, il a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner la caisse de crédit municipal de Roubaix à lui verser la somme de 233 709,48 euros en réparation de ses préjudices. Par un jugement du 3 octobre 2023, le tribunal administratif a retenu le préjudice moral et les troubles dans les conditions d'existence subis par M. B..., a évalué ces postes de préjudices au montant total de 7 000 euros, a déduit de cette somme celle de 2 188,53 euros dont l'un des auteurs de l'infraction s'était acquitté après avoir été pénalement condamné, a mis la somme de 4 188,53 euros à la charge de la caisse de crédit municipal de Roubaix et a rejeté le surplus de la demande. En application d'un constat d'accord signé le 15 avril 2024, le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI) a versé la somme de 97 982,76 euros à M. B... en réparation de ses pertes de revenus, de ses pertes de pension de retraite, du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées. M. B... relève appel du jugement du 3 octobre 2023 et, tenant compte du versement accordé par le FGTI en cours d'instance, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures, de condamner la caisse de crédit municipal à lui verser la somme de 135 726,72 euros. Le FGTI, subrogé dans les droits de l'appelant, demande la condamnation de la caisse à lui rembourser la somme de 97 982,76 euros.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article R. 421-1 du code de justice administrative : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. / Lorsque la requête tend au paiement d'une somme d'argent, elle n'est recevable qu'après l'intervention de la décision prise par l'administration sur une demande préalablement formée devant elle (...) ". Il résulte de ces dispositions qu'avant de saisir le tribunal administratif de conclusions indemnitaires, le requérant doit présenter une demande préalable à l'administration dans laquelle il lui appartient d'invoquer les faits en raison desquels il demande réparation et la cause juridique sur laquelle repose le ou les chefs de préjudice invoqués. Pour être recevables devant le tribunal administratif, ces conclusions indemnitaires doivent ainsi se rattacher au même fait générateur et reposer sur la même cause juridique que le ou les chefs de préjudices invoqués dans la réclamation préalable.
3. Par ailleurs, le fonctionnaire qui subit, du fait de son invalidité ou de sa maladie imputable au service, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature que ceux qui sont réparés par la rente viagère d'invalidité ou l'allocation temporaire d'invalidité, ainsi que des préjudices personnels, peut rechercher, dans les conditions du droit commun, la responsabilité sans faute de la personne publique qui l'emploie au titre de l'obligation qui lui incombe de garantir ses agents contre les dommages corporels qu'ils peuvent subir dans l'accomplissement de leur service, ou même engager une action de droit commun contre la personne publique, pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
4. En revanche, les dispositions de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, reprises aux articles L. 134-1 et suivants du code général de la fonction publique, en vertu desquelles une collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires qu'elle emploie à la date des faits en cause contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en est résulté, sont relatives à un droit statutaire à protection qui découle des liens particuliers qui unissent une collectivité publique à ses agents et n'ont pas pour objet d'instituer un régime de responsabilité de la collectivité publique à l'égard de ses agents.
5. Dans sa demande préalable adressée à la caisse de crédit municipal de Roubaix par un courrier du 27 décembre 2018, M. B... a sollicité l'indemnisation des préjudices résultant des évènements survenus le 24 novembre 2015 en se référant à la seule imputabilité au service de ces préjudices, reconnue par l'arrêté précité du 27 novembre 2015. Si, dans sa demande préalable, M. B... reprend les termes de la délibération du conseil d'orientation et de surveillance de la caisse de crédit municipal du 15 décembre 2015, cette délibération se borne à réaffirmer le soutien de l'institution, impliquant une prise en charge par celle-ci des frais engagés par l'intéressé lorsqu'ils n'ont pas été remboursés par son assureur, sans se référer à l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, et sans mentionner le droit de l'intéressé à obtenir la protection fonctionnelle. Dans ces conditions, il résulte de l'instruction, ainsi que l'ont estimé les premiers juges, que M. B... a seulement invoqué dans sa réclamation préalable la responsabilité sans faute de l'administration au titre de l'obligation qui lui incombe de le garantir contre les dommages corporels qu'il a subis dans l'accomplissement de son service. Par suite, les conclusions indemnitaires présentées directement devant le tribunal administratif sur le fondement de l'article 11 de la loi du 13 juillet 1983, lequel relève d'un droit statutaire à protection et non d'un régime de responsabilité, reposent sur une cause juridique distincte de celle de la responsabilité sans faute seule invoquée dans la demande préalable, et sont irrecevables en l'absence de liaison du contentieux.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
6. D'une part, les dispositions des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite et du décret du 2 mai 2005 relatif à l'attribution de l'allocation temporaire d'invalidité aux fonctionnaires relevant de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière qui instituent, en faveur des fonctionnaires victimes d'accidents de service ou de maladies professionnelles, une rente viagère d'invalidité en cas de mise à la retraite et une allocation temporaire d'invalidité en cas de maintien en activité doivent être regardées comme ayant pour objet de réparer les pertes de revenus et l'incidence professionnelle résultant de l'incapacité physique causée par un accident de service ou une maladie professionnelle. Les dispositions instituant ces prestations déterminent forfaitairement la réparation à laquelle les fonctionnaires concernés peuvent prétendre, au titre de ces chefs de préjudice professionnels, dans le cadre de l'obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu'ils peuvent courir dans l'exercice de leurs fonctions. Ces dispositions ne font en revanche obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui subit, du fait de l'invalidité ou de la maladie, des préjudices patrimoniaux d'une autre nature ou des préjudices personnels, obtienne de la personne publique qui l'emploie, même en l'absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, ni à ce qu'une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l'ensemble du dommage soit engagée contre la personne publique, dans le cas notamment où l'accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité.
7. D'autre part, le FGTI, qui justifie avoir procédé à l'indemnisation d'une partie des préjudices invoqués par M. B..., est subrogé de plein droit, sur le fondement de l'article L. 706-11 du code de procédure pénale, dans les droits de la victime à hauteur des sommes qu'il lui a versées à titre d'indemnisation, à l'encontre non seulement de l'auteur de l'infraction mais également de toute personne tenue de réparer le dommage, notamment parce qu'elle y a concouru dans des conditions de nature à engager sa responsabilité.
8. En premier lieu, l'autorité relative de la chose jugée par le juge civil ne peut être utilement invoquée en l'absence d'identité d'objet, de cause et de parties. L'arrêt du 19 septembre 2022 par lequel la cour d'assises du Pas-de-Calais a condamné les auteurs de l'infraction du 24 novembre 2015 à indemniser les préjudices subis par M. B..., au cours d'une instance dans laquelle était présente la caisse de crédit municipal de Roubaix en tant que partie civile, ne présente pas d'identité de cause avec le recours présenté par l'intéressé tendant à obtenir de l'administration la réparation des préjudices imputables au service. Il appartient à l'administration, qui ne s'est pas substituée aux auteurs du dommage, d'évaluer elle-même les préjudices résultant des faits survenus le 24 novembre 2015, et dont elle a reconnu l'imputabilité au service.
9. En deuxième lieu, la circonstance que le fonctionnaire victime d'un accident de service ou d'une maladie professionnelle ne remplit pas les conditions auxquelles les dispositions rappelées au point 6 subordonnent l'obtention d'une rente ou d'une allocation temporaire d'invalidité fait obstacle à ce qu'il prétende, au titre de l'obligation de la collectivité qui l'emploie de le garantir contre les risques courus dans l'exercice de ses fonctions, à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle.
10. Il résulte de l'instruction qu'à la suite de l'agression et de la séquestration dont il a été victime le 24 novembre 2015, M. B..., alors âgé de 57 ans, a été placé en congé de maladie avec le maintien de son plein traitement jusqu'au 30 septembre 2018, puis a été placé en congé spécial du 1er octobre 2018 au 1er juillet 2020, date de sa mise à la retraite. L'appelant, qui a continué à percevoir son traitement et son indemnité de résidence pendant la période de congé spécial, évalue les primes et indemnités dont il a été privé pendant cette même période à la somme de 45 893,26 euros. Il soutient également que ce congé spécial a eu pour effet une réduction de ses droits à pension à percevoir après le 1er juillet 2020, pour un montant qu'il évalue à 2 089,50 euros. Toutefois, il n'est pas démontré et il n'est pas même soutenu que M. B... aurait demandé à bénéficier d'une allocation temporaire d'invalidité ou d'une rente d'invalidité ni qu'il remplirait les conditions requises pour obtenir l'une de ces prestations. Par suite, il ne peut, en application des principes rappelés au point 9 et en l'absence de faute invoquée de nature à engager la responsabilité de l'administration, prétendre au bénéfice d'une indemnité réparant les pertes de revenus résultant de son placement en congé spécial.
11. En troisième lieu, si le fonctionnaire victime d'un accident de service qui ne remplit pas les conditions pour obtenir une rente ou une allocation temporaire d'invalidité ne peut prétendre à une indemnité réparant des pertes de revenus ou une incidence professionnelle, cette circonstance ne saurait le priver de la possibilité d'obtenir de la collectivité qui l'emploie la réparation des préjudices d'une autre nature, patrimoniaux ou personnels, dès lors qu'ils sont directement liés à l'accident ou à la maladie.
12. D'une part, M. B..., qui a vendu la résidence familiale dans laquelle sont survenus les évènements du 24 novembre 2015, soutient avoir subi une moins-value lors de la vente de sa maison en raison même de ces évènements et d'une baisse du marché immobilier en 2018, lorsqu'il a décidé de vendre son bien immobilier. Toutefois, s'il produit des courriers émanant d'agences immobilières indiquant une révision à la baisse de son bien au motif que les faits survenus à son domicile dissuaderaient les éventuels acquéreurs, il ressort de l'article de presse également produit au dossier que le marché immobilier a connu une baisse générale de plus de 14 % à Roubaix en 2018. L'appelant, qui ne démontre pas s'être trouvé dans l'obligation de vendre son bien au cours de l'année 2018, ne contredit pas les éléments apportés en défense par la caisse de crédit municipal, dont il ressort que le prix de vente de son domicile est équivalent à celui retenu pour des biens similaires à Roubaix. Dans ces conditions, il n'est pas établi que la moins-value alléguée lors de la vente du domicile familial présenterait un lien avec l'accident imputable au service. En revanche, M. B... établit avoir exposé des frais pour l'entretien de son domicile de 2015 à 2018, alors qu'il ne pouvait l'occuper en raison des scellés posés pour les besoins de la procédure judiciaire. Dans les circonstances de l'espèce, ces frais constituent un préjudice patrimonial dont l'appelant est fondé à solliciter l'indemnisation pour un montant évalué, d'après les factures versées à l'instance, à la somme de 5 726,72 euros.
13. D'autre part, il ressort du rapport d'expertise médicale établi le 29 mars 2018 que les évènements du 24 novembre 2015 ont entraîné chez M. B... l'apparition de symptômes
anxio-dépressifs et névrotiques évolutifs s'inscrivant dans le cadre d'un syndrome de
stress post-traumatique. Si, pour justifier de son préjudice moral, l'appelant ne produit pas d'autres documents médicaux, il résulte suffisamment de l'instruction que l'agression particulièrement violente dont il a été victime à son domicile, impliquant en outre les membres de sa famille, dont sa fille et son petit-fils mineur, a eu pour effet la dégradation de son état de santé rendant impossible son retour au service jusqu'à son départ à la retraite en 2020. Il n'est pas sérieusement contesté que M. B... et sa famille ont dû quitter leur domicile en raison tant des scellés apposés sur le domicile familial que des réminiscences traumatiques résultant de l'agression, avec pour conséquence des conditions d'existence gravement troublées. Dans ces conditions, il sera fait une plus juste évaluation du préjudice moral de l'appelant et des troubles subis dans ses conditions d'existence en portant le montant alloué à ce titre par les premiers juges de la somme globale de 7 000 euros à celles de 30 000 euros pour le préjudice moral et de 20 000 euros pour les troubles dans les conditions d'existence. En revanche, le préjudice d'angoisse de mort imminente correspond à la souffrance ressentie par la victime d'un fait traumatique qui éprouve de façon certaine la conscience de son décès à venir et non à la souffrance éprouvée par une victime craignant une possible issue fatale. Dès lors, si M. B... fait valoir qu'il a craint pour sa vie lors de l'intervention des forces de police et qu'il est sorti indemne d'un tir de barrage de quatre balles tirées au jugé par les forces de l'ordre, il ne justifie pas à cet égard d'un préjudice moral distinct de celui qui fait par ailleurs l'objet d'une réparation.
14. Il résulte de ce qui précède que M. B... a subi, en raison de l'accident imputable au service, un préjudice patrimonial, un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence qui doivent être évalués à la somme totale de 55 726,72 euros. Il y a lieu de déduire de ce montant la somme de 2 188,53 euros déjà perçue par l'appelant de la part de l'un des auteurs des faits, dans le cadre des réparations résultant de l'arrêt civil rendu par la cour d'assises du Nord le 18 septembre 2020, et de fixer le montant des réparations à la charge de la caisse de crédit municipal de Roubaix à la somme de 53 538,19 euros. Il résulte également de ce qui précède que le FGTI, qui a indemnisé M. B... de ses pertes de revenus pour un montant de 45 893,26 euros, de ses pertes de pension de retraite pour un montant de 2 089,50 euros, de son préjudice moral pour un montant de 30 000 euros et de ses troubles dans les conditions d'existence pour un montant de 20 000 euros, est seulement fondé à obtenir, dans le cadre de son recours subrogatoire, la somme de 50 000 euros au titre de ces deux derniers postes de préjudices.
15. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a limité le montant des réparations à la charge de la caisse de crédit municipal de Roubaix à la somme de 4 811,47 euros, qu'il y a lieu de porter à la somme de 53 538,19 et dont la caisse s'acquittera en versant 3 538,19 euros à M. B... et 50 000 euros au FGTI, subrogé dans les droits de l'appelant à hauteur de cette somme. Le FGTI est également fondé à demander que la somme de 50 000 euros soit assortie des intérêts à compter du 25 septembre 2024. En revanche, en l'absence d'intérêts dus pour une année entière, la demande de capitalisation présentée par le FGTI ne peut qu'être rejetée.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de rejeter l'ensemble des conclusions présentées par les parties en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : La somme de 4 811,47 euros que le jugement du tribunal administratif de Lille n° 1902336 du 3 octobre 2023 a mis à la charge de la caisse de crédit municipal de Roubaix en réparation des préjudices subis par M. B... est portée au montant de 53 538,19 euros.
Article 2 : La caisse de crédit municipal de Roubaix est condamnée à verser la somme de 3 538,19 euros à M. B... et la somme de 50 000 euros au fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions, cette dernière somme étant assortie des intérêts à compter du 25 septembre 2024.
Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Lille n° 1902336 du 3 octobre 2023 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la caisse de crédit municipal de Roubaix et au Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions.
Délibéré après l'audience publique du 3 décembre 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 décembre 2024.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. ViardLa greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne au préfet du Nord en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
2
N° 23DA02125