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12/02/2025 | FRANCE | N°23DA02103

France | France, Cour administrative d'appel de DOUAI, 3ème chambre, 12 février 2025, 23DA02103


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Mme A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler la décision du 26 juillet 2021 par laquelle la préfète de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Somme de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 2103124 du 6 juillet 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. <

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Procédure devant la cour :



Par une requête enregistrée le 9 novembre 2023 ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler la décision du 26 juillet 2021 par laquelle la préfète de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Somme de lui délivrer un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement à intervenir.

Par un jugement n° 2103124 du 6 juillet 2023, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 novembre 2023 et des pièces complémentaires enregistrées les 7 décembre 2023 et 13 août 2024, Mme B..., représentée par Me Chartrelle, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 26 juillet 2021 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Somme de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

Elle soutient que :

- l'arrêté méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle ne peut bénéficier d'un traitement effectif dans son pays d'origine dont le système de santé est défaillant ;

- il méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 19 décembre 2023, le préfet de la Somme conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une décision du 12 octobre 2023, Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante géorgienne née le 21 mars 1986, est entrée en France accompagnée de sa mère le 13 novembre 2018 selon ses déclarations, pour y solliciter l'asile. Sa demande a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 27 octobre 2020, confirmée par une décision de la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) du 27 janvier 2021. Par un arrêté du 17 décembre 2020, dont la légalité a été confirmée par un jugement du tribunal administratif d'Amiens du 5 mars 2021, la préfète de la Somme l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Le 25 février 2021, Mme B... a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en raison de son état de santé. Par une décision du 26 juillet 2021, dont Mme B... demande l'annulation, la préfète de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour. Par un jugement du 6 juillet 2023 dont elle relève appel, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable. / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. / Sous réserve de l'accord de l'étranger et dans le respect des règles de déontologie médicale, les médecins de l'office peuvent demander aux professionnels de santé qui en disposent les informations médicales nécessaires à l'accomplissement de cette mission. Les médecins de l'office accomplissent cette mission dans le respect des orientations générales fixées par le ministre chargé de la santé. / Si le collège de médecins estime dans son avis que les conditions précitées sont réunies, l'autorité administrative ne peut refuser la délivrance du titre de séjour que par une décision spécialement motivée ".

3. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve à l'une des parties, il appartient au juge administratif, au vu des pièces du dossier, d'apprécier si l'état de santé d'un étranger nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité, sous réserve de l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration (OFII) qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus de titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, l'existence ou l'absence d'un traitement approprié dans le pays de renvoi. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires. En cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en donnant toute mesure d'instruction utile. Enfin, pour déterminer si un étranger peut bénéficier effectivement dans le pays dont il est originaire d'un traitement médical approprié au sens des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il convient de s'assurer, eu égard à la pathologie de l'intéressé, de l'existence d'un traitement approprié et de sa disponibilité dans des conditions permettant d'y avoir accès, et non de rechercher si les soins dans le pays d'origine sont équivalents à ceux offerts en France ou en Europe.

4. Pour refuser d'admettre Mme B... au séjour en raison de son état de santé, la préfète de la Somme s'est fondée sur l'avis du collège des médecins de l'OFII du 13 juillet 2021 dont il ressort que si l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont elle est originaire, elle peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié et son état de santé lui permet d'y voyager sans risque. Pour contester cet avis, la requérante fait valoir qu'elle souffre d'un diabète de type I, affection assortie de multiples complications, notamment une néphropathie diabétique, une rétinopathie diabétique, une neuropathie diabétique avec pied diabétique ou encore une artériopathie oblitérante des membres inférieurs, lesquelles sont à l'origine de plusieurs interventions chirurgicales. L'intéressée, qui justifie d'un traitement médicamenteux quotidien et d'un suivi régulier en milieu hospitalier pour ces pathologies depuis son arrivée en France, soutient qu'elle doit bénéficier d'une transplantation du pancréas, opération indiquée chez les patients ayant un diabète de type I instable et/ou compliqué d'une insuffisance rénale terminale dont elle ne peut bénéficier dans son pays d'origine. Elle se prévaut à cet égard des termes d'un courrier du 28 janvier 2021, établi par le ministère des personnes déplacées des territoires occupés, du travail, de la santé et des affaires sociales de Géorgie en réponse à une demande de renseignements de celle-ci, indiquant que cette opération n'est pas pratiquée à ce stade en Géorgie.

5. Toutefois, ainsi que l'a relevé le tribunal administratif d'Amiens, il ne ressort pas des éléments médicaux produits par Mme B..., qui font notamment état du suivi par cette dernière d'un bilan entamé en mai 2021 en vue d'une transplantation pancréatique, qu'une telle opération, alors seulement envisagée, était indispensable à la date de la décision en litige et qu'il s'agirait du seul traitement disponible pour sa pathologie. Au surplus, il ressort des comptes rendus médicaux postérieurs à la décision en litige produits à hauteur d'appel que l'intéressée, qui bénéficie d'une insulinothérapie par pompe depuis novembre 2022, est désormais engagée dans un parcours médical en vue d'une potentielle greffe d'îlots de Langherans pour le traitement de son diabète, le corps médical ayant finalement considéré que les conditions n'étaient pas réunies pour la réalisation d'une transplantation pancréatique. Par ailleurs, le courrier établi le 20 octobre 2023 par son médecin traitant selon lequel un retour de l'intéressée dans son pays d'origine pourrait avoir des conséquences délétères sur son état de santé du fait de la complexité de sa situation médicale, ne permet pas d'établir, de manière précise et circonstanciée, qu'elle ne pourrait y bénéficier d'une prise en charge appropriée quand bien même elle ne serait pas en tous points équivalente à celle pouvant être apportée en France. A cet égard, s'il est constant que son état de santé nécessite une prise en charge dont le défaut pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, il ressort des pièces du dossier sur lesquels Mme B... a accepté la levée du secret médical que sa pathologie a été diagnostiquée en Géorgie en 1996 où elle a bénéficié d'une transplantation rénale le 21 novembre 2017 à partir d'un donneur vivant apparenté, de sorte qu'il n'est pas établi qu'elle ne bénéficiera d'aucune prise en charge médicale dans son pays d'origine. Si l'intéressée soutient par ailleurs que son traitement médicamenteux comprend du Kardegic, elle n'établit pas, par la seule référence à un jugement du tribunal administratif de Lyon du 10 octobre 2023, que ce médicament ne serait pas disponible en Géorgie, le cas échéant par le recours à des molécules équivalentes, et que, compte tenu des caractéristiques du système de santé dans ce pays, elle ne pourrait en bénéficier de manière effective. Enfin, en se bornant à soutenir qu'au regard de sa situation le coût du traitement approprié à son état de santé constitue un obstacle à sa prise en charge en Géorgie, elle ne démontre pas, ainsi que le fait valoir le préfet en défense, qu'elle serait sans ressources dans son pays d'origine, où elle a par le passé bénéficié d'une transplantation, ni qu'elle ne pourrait pas accéder à une couverture sociale ou aux aides de l'Etat géorgien réservé aux personnes en situation de handicap. Dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de demander à l'OFII la communication du dossier médical de l'appelante, le moyen tiré de ce que la préfète de la Somme a méconnu les dispositions précitées de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté.

6. En second lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

7. Mme B... se prévaut de la durée de son séjour et de ses attaches familiales et personnelles en France. Toutefois, il ressort des pièces du dossier qu'elle a encore des attaches dans son pays d'origine où elle a vécu jusqu'à l'âge de trente-deux ans alors qu'elle ne justifie d'aucun lien en France en dehors de sa mère qui est également en situation irrégulière. L'intéressée, qui ne parle pas le français, ne produit en outre pas le moindre élément relatif aux attaches personnelles ou professionnelles créées durant son séjour en France. Par suite, la décision de refus de titre de séjour ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale de Mme B... au regard des motifs de ce refus, et le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

8. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions présentées à fin d'injonction ne peuvent qu'être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B..., au ministre de l'intérieur et à Me Chartrelle.

Copie en sera délivrée au préfet de la Somme.

Délibéré après l'audience publique du 28 janvier 2025 à laquelle siégeaient :

- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,

- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,

- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 12 février 2025.

Le président-assesseur,

Signé : J.-M. Guérin-Lebacq

La présidente de chambre,

Présidente-rapporteure,

Signé : M.-P. ViardLa greffière,

Signé : C. Huls-Carlier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Pour la greffière en chef,

par délégation,

La greffière,

C. Huls-Carlier

N° 23DA02103 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de DOUAI
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23DA02103
Date de la décision : 12/02/2025
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Viard
Rapporteur ?: Mme Marie-Pierre Viard
Rapporteur public ?: M. Carpentier-Daubresse
Avocat(s) : SCP DUMOULIN-CHARTRELLE-ABIVEN

Origine de la décision
Date de l'import : 23/02/2025
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2025-02-12;23da02103 ?
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