Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler la décision du 3 mars 2021 par laquelle l'inspectrice du travail de la section 13 de l'unité départementale de la Seine-Maritime a retiré la décision implicite rejetant la demande d'autorisation de licenciement présentée à son encontre le 8 janvier 2021 par la société Orange et a autorisé son licenciement, ainsi que la décision du ministre du travail du 14 septembre 2021 rejetant son recours hiérarchique contre la décision du 3 mars 2021 autorisant son licenciement.
Par un jugement n° 2103895 du 30 novembre 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé les décisions des 3 mars et 14 septembre 2021.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 12 janvier et 23 avril 2024, la société Orange, représentée par le cabinet CGR Avocats, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 30 novembre 2023 ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen ;
3°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- c'est à tort que, pour annuler les décisions contestées, le tribunal administratif a estimé que l'inspectrice du travail ne pouvait pas retirer sa décision implicite rejetant la demande d'autorisation de licenciement dès lors que : l'absence d'avis de la commission consultative paritaire ne constitue pas un vice de procédure substantiel en application du cinquième alinéa de l'article L. 1235-2 du code du travail ; la commission consultative paritaire a rendu un premier avis le 25 août 2020 avant que l'inspectrice statue sur la demande d'autorisation par une décision implicite de rejet ; cet avis a été communiqué à l'inspection du travail ; la commission a été de nouveau convoquée mais s'est refusée à siéger jusqu'au 4 février 2021, postérieurement à la survenance d'une décision implicite de rejet, ce qui ne saurait être reproché à l'employeur ; le délai de saisine de l'inspection du travail prévu par l'article R. 2421-14 du code du travail n'est pas suspendu dans l'attente que la commission consultative paritaire rende son avis ; la commission a été saisie avant que l'inspectrice du travail ne statue sur la demande ;
- les faits reprochés à M. B... se rapportant à des remboursements indus de frais professionnels et à une situation de conflit d'intérêt ont été établis au terme d'une enquête interne impartiale et objective, constituent des manquements aux principes de probité, de loyauté et d'exemplarité, et sont d'une gravité suffisante pour justifier la sanction de licenciement ;
- les moyens d'illégalité soulevés par M. B... contre la décision du ministre du travail ne sont pas fondés ;
- la seconde demande d'autorisation de licenciement n'était pas irrecevable dès lors que la consultation du comité social et économique constitue un élément nouveau au regard de la première demande et que celle-ci avait été rejetée au seul motif d'un défaut de consultation de ce comité ;
- l'intimé ne démontre pas que la procédure de licenciement est entachée d'irrégularité ;
- les faits reprochés ne sont pas prescrits.
Par deux mémoires en défense, enregistrés les 22 mars et 1er juillet 2024, M. B..., représenté par Me Benoist, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 10 000 euros soit mise à la charge de la société requérante en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'auteur de la décision du 14 septembre 2021 rejetant son recours hiérarchique ne justifie ni d'une délégation de signature, ni d'une signature électronique répondant aux dispositions de l'article 29 du règlement UE n° 910/2014 du Parlement européen ;
- les décisions contestées sont insuffisamment motivées ;
- l'autorisation de licenciement litigieuse ne pouvait être accordée dès lors que la commission consultative paritaire, dont la consultation est obligatoire, n'avait pas été encore saisie lorsque l'administration du travail a été destinataire de la demande d'autorisation de licenciement, et n'avait pas rendu son avis avant que l'autorité administrative se prononce ;
- la commission consultative paritaire s'est prononcée dans des conditions irrégulières, en méconnaissance de l'article 33 de l'accord sur le dialogue social imposant que les procès-verbaux exhaustifs des salariés entendus soient versés au dossier ;
- ni l'inspectrice du travail, ni le ministre du travail n'ont procédé au moindre contrôle de la régularité de la procédure consultative interne à la société Orange ;
- l'inspectrice du travail a retiré sa décision implicite rejetant la demande d'autorisation de licenciement alors que, à la date de cette décision, la commission consultative paritaire n'avait pas rendu son avis, de sorte que la demande ne pouvait qu'être rejetée ; il s'en déduit que ce retrait d'une décision qui n'était pas illégale méconnaît les dispositions de l'article L. 242-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- les dispositions de l'article L. 1235-2 du code du travail, qui encadrent les conditions d'indemnisation du salarié selon le motif d'irrégularité du licenciement, n'ont pour effet de dispenser ni l'employeur du respect des règles de procédure, ni l'inspection du travail de contrôler le respect de ces règles par l'employeur ;
- la société requérante ne saurait utilement se prévaloir de l'avis rendu le 25 août 2020 par la commission consultative paritaire dans le cadre de la première procédure de licenciement qui s'est conclue par une décision du 6 octobre 2020 refusant d'accorder l'autorisation de le licencier ; au demeurant, cet avis n'a pas été communiqué à l'appui de la seconde demande d'autorisation de licenciement ;
- la société requérante a convoqué la commission au-delà du délai de constitution d'une décision implicite de rejet, alors que les membres de cette commission, convoqués le 10 décembre 2020, sollicitaient seulement un report de séance ;
- la seconde demande d'autorisation était irrecevable dès lors qu'elle ne comporte aucun élément nouveau au regard de la première demande qui a été rejetée par une décision du 6 octobre 2020 ;
- l'employeur l'a délibérément mis dans l'impossibilité de se rendre à l'entretien préalable à son licenciement ;
- le comité social et économique a été consulté dans des conditions irrégulières dès lors que : la réunion de ce comité a eu lieu trois heures seulement après l'horaire prévu pour l'entretien préalable, de sorte qu'il n'a pas été mis à même de préparer sa défense ; la réunion du comité ne pouvait se tenir en audioconférence ; cette réunion par téléphone ne présentait aucun dispositif sérieux permettant l'authentification des participants et le bon déroulement du vote ;
- les faits qui lui sont reprochés, connus bien avant le début de l'enquête interne, étaient prescrits à la date de convocation à l'entretien préalable ;
- le rapport d'enquête sur lequel s'est fondé son employeur est dépourvu de valeur probante dès lors qu'il a été rédigé par l'entreprise, qu'il méconnaît le droit à la vie privée, qu'il s'appuie sur des comptes-rendus non-authentifiés, anonymisés et incomplets, qu'il est lui-même incomplet et que le contenu des auditions et déclarations y est repris de façon insincère ;
- le ministre du travail ne pouvait retenir parmi les griefs l'absence de repas pris dans les restaurants interentreprises situés à moins de dix kilomètres de distance en voiture, dès lors que ce grief n'a pas été pris en compte dans le cadre de l'entretien préalable, devant les institutions représentatives du personnel et par l'inspection du travail ;
- les faits qui lui sont reprochés ne sont pas matériellement établis ;
- l'employeur a engagé une procédure disciplinaire sept semaines après avoir eu connaissance de ces faits, de sorte qu'ils ne sont pas d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.
La requête a été communiquée au ministre chargé du travail qui n'a pas présenté d'observations.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- les conclusions de M. Carpentier-Daubresse, rapporteur public,
- et les observations de Me Bensoussan, représentant la société Orange, et de Me Philips, représentant M. B....
La société Orange, représentée par le cabinet CGR Avocats, a produit une note en délibéré enregistrée le 3 février 2025.
M. B..., représenté par Me Benoist, a produit une note en délibéré enregistrée le 4 février 2025.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., directeur de l'unité d'intervention Normandie Centre au sein de la société Orange, exerce les mandats de délégué syndical central adjoint de l'unité économique et sociale de l'entreprise et de représentant syndical au comité social et économique central. Le 2 juin 2020, la société Orange a saisi l'inspection du travail d'une demande tendant à obtenir l'autorisation de licencier M. B... pour motif disciplinaire, pour des griefs se rapportant à des remboursements indus de frais professionnels et à une situation de conflit d'intérêt. Par une décision du 6 octobre 2020, l'inspectrice du travail a refusé de faire droit à cette demande au motif que le comité social et économique n'avait pas été consulté au titre du mandat de représentant syndical occupé par M. B... auprès de ce comité. Par un courrier du 3 novembre 2020, reçu le 9 novembre suivant par l'administration du travail, la société Orange a présenté une nouvelle demande d'autorisation de licencier M. B... pour les mêmes faits. Une décision implicite de rejet est née le 9 janvier 2021 du silence gardé par l'administration sur cette demande. Toutefois, par une décision du 3 mars 2021, l'inspectrice du travail a retiré la décision implicite de rejet précitée et autorisé le licenciement du salarié. M. B... a formé un recours hiérarchique contre cette décision le 15 avril 2021 qui a fait l'objet d'une décision expresse de rejet prise le 14 septembre suivant par la ministre du travail. M. B... a saisi le tribunal administratif de Rouen d'une demande tendant à l'annulation des décisions des 3 mars et 14 septembre 2021. Par un jugement du 30 novembre 2023 dont la société Orange relève appel, le tribunal administratif de Rouen a annulé ces deux décisions.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article 31.2 de l'accord du 13 mai 2019 portant sur le dialogue social au sein de l'UES Orange : " Les CCP ont pour rôle d'examiner les dossiers relatifs aux : / (...) licenciements formulés à l'encontre des personnes investies des mandats listés à l'article L. 2411-1 du code du travail ". Aux termes de l'article 31.3.1 du même accord : " Pour ce qui concerne la discipline, la saisine est une prérogative de l'Etablissement Distinct ". Aux termes de l'article 13.1 du règlement intérieur des UI Normandie Centre : " Aucune sanction disciplinaire ne peut être infligée à un salarié sans que l'intéressé ait été, au préalable, invité à fournir des explications sur les faits qui lui sont reprochés. / Avant de se voir notifier une sanction autre que l'avertissement ou le blâme, le (la) salarié(e) sera invité(e) à se présenter devant une instance disciplinaire paritaire (commission administrative paritaire ou commission consultative paritaire selon son statut), devant laquelle il (elle) peut faire valoir ses observations écrites ou orales, citer des témoins et se faire assister par un ou plusieurs défenseurs de son choix ". Il incombe à l'autorité administrative saisie d'une demande d'autorisation de licenciement d'un salarié protégé de vérifier, notamment, la régularité de ce licenciement au regard de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé, au nombre desquelles figurent les stipulations des accords collectifs de travail applicables au salarié.
3. Les règles applicables au contrat de travail de M. B..., rappelées au point précédent, rendent obligatoire la consultation de la commission consultative paritaire avant toute sanction autre qu'un avertissement ou un blâme. Il ne ressort pas de la lecture de la décision du 3 mars 2021 qu'avant d'autoriser le licenciement de M. B..., l'inspectrice du travail ait vérifié la régularité de cette procédure préalable que la société Orange était tenue de respecter. Au contraire, il ressort de la motivation de la première décision du 6 octobre 2020 rejetant la demande d'autorisation de licenciement et du rapport établi le 21 mai 2021 dans le cadre de l'instruction du recours hiérarchique présenté contre la seconde décision autorisant cette fois-ci le licenciement, que l'inspectrice du travail a considéré que la consultation de la commission consultative paritaire n'était pas obligatoire, de sorte que la régularité de la procédure suivie devant cette commission n'avait pas à être examinée. La décision du 14 septembre 2021, par laquelle la ministre du travail rejette le recours hiérarchique de M. B..., se borne à confirmer l'appréciation portée par l'inspectrice du travail sur la matérialité des faits, leur gravité et le lien entre ces faits et les mandats exercés par le salarié. Par suite, en s'abstenant de contrôler si la procédure prévue par les règles applicables au contrat de travail de M. B..., qui constitue une garantie de fond de nature à priver son licenciement de base légale, avait été régulièrement mise en œuvre, et alors que l'intéressé reprochait notamment à l'employeur d'avoir saisi la commission sans lui soumettre les procès-verbaux exhaustifs des salariés entendus au cours de l'enquête, en méconnaissance de l'article 33 de l'accord sur le dialogue social, l'inspectrice du travail a entaché sa décision d'une erreur de droit. Dans ces conditions, à supposer même, ainsi que le soutient la société Orange, que rien ne faisait obstacle à ce que l'inspectrice du travail retire sa décision implicite de rejet intervenue le 9 janvier 2021, la décision expresse prise par cette même inspectrice le 3 mars 2021 pour autoriser le licenciement de M. B... doit être annulée.
4. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens soulevés par M. B... devant le tribunal administratif de Rouen, que la société Orange n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, ce tribunal administratif de Rouen a annulé la décision de l'inspectrice du travail du 3 mars 2021 et, par voie de conséquence, la décision de la ministre du travail du 14 septembre 2021.
Sur les conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme dont la société Orange demande le versement au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Par ailleurs, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Orange une somme de 2 000 euros, à verser à M. B... sur le fondement des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la société Orange est rejetée.
Article 2 : La société Orange versera une somme de 2 000 euros à M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à la société Orange et à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles.
Délibéré après l'audience publique du 28 janvier 2025, à laquelle siégeaient :
- Mme Marie-Pierre Viard, présidente de chambre,
- M. Jean-Marc Guérin-Lebacq, président-assesseur,
- M. Frédéric Malfoy, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 février 2025.
Le président-rapporteur,
Signé : J.-M. Guérin-LebacqLa présidente de chambre,
Signé : M.-P. Viard
La greffière,
Signé : C. Huls-Carlier
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
Par délégation,
La greffière
C. Huls-Carlier
2
N° 24DA00070