Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... F... A... a demandé au tribunal administratif de Lille de condamner le centre hospitalier de Lens à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation de fautes qu'elle impute à son employeur.
Par un jugement n° 2101397 du 23 novembre 2023, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 19 janvier 2024, 28 février 2024 et 8 avril 2024, Mme A..., représentée par Me Denisselle, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Lens à lui verser une somme de 100 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 24 novembre 2020 et capitalisation des intérêts ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Lens une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- elle a été victime de la part du centre hospitalier de Lens de mesures constitutives de harcèlement moral ;
- ce comportement a entraîné des conséquences psychologiques importantes nécessitant plusieurs arrêts de travail et la prise d'anxiolytiques ;
- le centre hospitalier de Lens a méconnu son obligation de prendre les mesures nécessaires pour veiller à la protection de sa santé résultant de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983 et des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail.
Par un mémoire en défense, enregistré le 6 septembre 2024, le centre hospitalier de Lens, représenté par Me Ségard, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de Mme A... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que les moyens soulevés par l'appelante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de la santé publique ;
- le code du travail ;
- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Caroline Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme E... F... A..., titulaire du grade de technicienne de laboratoire de classe supérieure, a été nommée au centre hospitalier de Lens depuis l'année 2005. Elle relève appel du jugement n° 2101397 du 23 novembre 2023 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à la condamnation du centre hospitalier de Lens à lui verser une somme de 100 000 euros en réparation du préjudice subi du fait d'agissements de harcèlement moral et d'un défaut de protection de sa santé et de sa sécurité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu aux termes de l'article 6 quinquies de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, applicable au litige, dont les dispositions sont désormais reprises à l'article L. 133-2 du code général de la fonction publique : " Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ".
3. Il appartient à un agent public qui soutient avoir été victime d'agissements constitutifs de harcèlement moral de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence d'un tel harcèlement. Il incombe à l'administration de produire, en sens contraire, une argumentation de nature à démontrer que les agissements en cause sont justifiés par des considérations étrangères à tout harcèlement. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si les agissements de harcèlement sont ou non établis, se détermine au vu de ces échanges contradictoires, qu'il peut compléter, en cas de doute, en ordonnant toute mesure d'instruction utile. Pour apprécier si des agissements dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral revêtent un tel caractère, le juge administratif doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.
4. En l'espèce, pour faire présumer de l'existence de faits constitutifs de harcèlement moral, Mme A... fait valoir que ses supérieurs hiérarchiques ont pu, en plusieurs occasions, adopter à son encontre un comportement verbal agressif. Elle fait ainsi valoir que, dans le cadre d'une réunion ayant suivi le refus concernant la prise d'un jour de congé au cours du mois de juillet 2019 qui lui a été opposé le 14 mai 2019 par le docteur D..., cheffe du service anatomie et cytologie pathologiques, celle-ci l'aurait traitée de " roquet " et mentionné son envie de lui " rentrer dedans ". Toutefois, ces allégations ne sont pas étayées et corroborées par les éléments produits au dossier ni par des témoignages de tiers. Il en est de même en ce qui concerne les allégations de l'appelante en ce qui concerne les propos que M. B..., cadre de santé et supérieur hiérarchique direct de l'appelante, aurait tenus le 2 novembre 2018, à la suite de la fixation par l'intéressée d'un rendez-vous de formation sans en informer son supérieur, qu'il lui aurait alors reprochée en utilisant les termes " inadmissible, irrespectueuse, impolie, manque total d'éducation ". Il n'est pas non plus établi que le docteur D... aurait reproché à Mme A... de s'être rapprochée de la direction des ressources humaines pour obtenir la validation d'une journée de réduction de temps de travail initialement refusée par M. B... le 19 mars 2019.
5. Il résulte par ailleurs de l'instruction que le 18 mai 2018, après que l'intéressée était arrivée au service avec une heure de retard et ne s'était pas immédiatement consacrée à l'exécution de ses tâches, M. B... a pu élever le ton et demandé à l'ensemble des techniciens présents d'occuper sans retard leurs postes de travail. Une discussion houleuse s'en est suivie à propos des horaires de travail de Mme A.... Si celle-ci a aussi pu écrire au docteur D... pour déplorer que M. B... l'oblige à poser des récupérations d'heures pendant les vacances scolaires, il résulte de l'instruction que la réponse qui lui a été apportée l'a été sous la forme d'un courriel du 3 janvier 2019 rédigé dans des termes particulièrement secs. Toutefois, malgré le ton employé par la hiérarchie de Mme A... à l'occasion de ces échanges, il n'apparaît pas que ceux-ci sont de nature à faire présumer l'existence de faits constitutifs de harcèlement moral. Ultérieurement, une conciliation a été organisée au cours du mois d'octobre 2019 au cours de laquelle Mme A... et sa hiérarchie ont été en mesure d'exposer leurs différends. A son issue, le centre hospitalier a mis en place un planning des congés dès le début de l'année civile afin que les agents puissent s'organiser et concilier leur vie professionnelle avec leur vie privée. Cependant, compte tenu de la persistance des difficultés relationnelles entre Mme A... et sa hiérarchie, la direction de l'établissement de santé a décidé, le 29 juin 2020 d'affecter l'intéressée au sein du pôle biologie et hygiène hospitalière. Cette dernière en a été informée lors d'un entretien qu'elle a eu le 26 juin 2020 avec M. C..., administrateur provisoire du centre hospitalier de Lens. Il ne résulte pas de l'instruction que M. C... aurait à cette occasion employé un ton agressif ni que cette nouvelle affectation aurait entraîné pour l'intéressée une diminution de ses responsabilités ou une perte de rémunération et qu'elle serait de nature à faire présumer l'existence d'un harcèlement moral à l'encontre de Mme A.... De même, les notations des années 2018 et 2019 de l'appelante reflètent que la réorganisation du temps de travail au sein du service de Mme A... a entraîné chez elle un changement de comportement soudain se traduisant notamment par un manque de communication avec ses collègues et son encadrement. Il ne résulte pas de l'instruction que les appréciations générales figurant sur les fiches de notation établies au titre de ces années seraient entachées d'inexactitudes matérielles. Enfin les certificats médicaux produits par Mme A..., s'ils attestent quant à eux d'une souffrance au travail, ne permettent pas d'établir que celle-ci découlerait d'une volonté de ses supérieurs hiérarchiques de lui nuire. Dans ces conditions, même si l'utilisation par les supérieurs de Mme A... de certains termes péjoratifs à son encontre sont regrettables, aucun des éléments invoqués n'est susceptible de faire présumer de l'existence d'un harcèlement moral.
6. En second lieu, aux termes de l'article 23 de la loi du 13 juillet 1983, portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " Des conditions d'hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ". Il résulte de l'article L. 4111-1 du code du travail que les dispositions de la quatrième partie de ce code, relative à la santé et à la sécurité au travail, sont applicables aux établissements de santé. Aux termes de l'article L. 4121-1 de ce code : " L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. / Ces mesures comprennent : / 1° Des actions de prévention des risques professionnels, y compris ceux mentionnés à l'article L. 4161 1 ; / 2° Des actions d'information et de formation ; / 3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés. / L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes ". Aux termes de l'article L. 4121 2 du même code : " L'employeur met en œuvre les mesures prévues à l'article L. 4121 1 sur le fondement des principes généraux de prévention suivants : / 1° Éviter les risques ; / 2° Évaluer les risques qui ne peuvent pas être évités ; / 3° Combattre les risques à la source ; / (...) / 7° Planifier la prévention en y intégrant, dans un ensemble cohérent, la technique, l'organisation du travail, les conditions de travail, les relations sociales et l'influence des facteurs ambiants, notamment les risques liés au harcèlement moral et au harcèlement sexuel, tels qu'ils sont définis aux articles L. 1152 1 et L. 1153 1, ainsi que ceux liés aux agissements sexistes définis à l'article L. 1142 2 1 ; / 8° Prendre des mesures de protection collective en leur donnant la priorité sur les mesures de protection individuelle (...) ".
7. Il appartient aux autorités administratives, qui ont l'obligation de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et morale de leurs agents, d'assurer, sauf à commettre une faute de service, la bonne exécution des dispositions législatives et réglementaires qui ont cet objet.
8. Mme A... soutient que le centre hospitalier de Lens n'a pas pris les mesures nécessaires pour veiller à sa sécurité et à la protection de sa santé en dépit des lettres envoyées par son conseil dénonçant une situation de harcèlement moral. Il résulte de l'instruction que par lettre du 21 mars 2019, la direction des ressources humaines du centre hospitalier de Lens, eu égard à la situation de Mme A..., lui a proposé d'étudier un positionnement dans un secteur du laboratoire où l'organisation de son cycle de travail serait plus régulière, proposition qu'a déclinée l'agent. En outre, l'administration a organisé une conciliation le 15 octobre 2019 entre Mme A..., qui a notamment pu être accompagnée par le père de ses enfants, et son encadrement. Il ne résulte pas de l'instruction que, en l'absence d'élément permettant de caractériser une situation de harcèlement moral, l'employeur de Mme A... ait méconnu son obligation de prendre les mesures de protection adéquates concernant la sécurité de l'intéressée. Par suite, il n'apparaît pas que le centre hospitalier de Lens aurait commis une faute de nature à engager sa responsabilité.
9. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.
Sur les frais liés au litige :
10. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge du centre hospitalier de Lens qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. En revanche, il y a lieu de mettre à la charge de Mme A... la somme de 2 000 euros que demande le centre hospitalier de Lens au titre des mêmes dispositions.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de Mme A... est rejetée.
Article 2 : Mme A... versera au centre hospitalier de Lens la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... F... A... et au centre hospitalier de Lens.
Délibéré après l'audience publique du 11 mars 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre
- M. Laurent Delahaye, président-assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 avril 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,
Signé : B. ChevaldonnetLa greffière,
Signé : A-S. Villette
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°24DA00104