Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... a demandé au tribunal administratif d'Amiens de condamner le centre hospitalier de Beauvais à lui verser les sommes de 35 288,88 euros en réparation des préjudices causés par l'irrégularité de ses conditions d'emploi et de la décision de mettre fin à son contrat, 3 150 euros au titre des congés payés acquis et non pris et 300 euros à titre de rappel de salaire pour la journée de travail du 5 avril 2020.
Par une ordonnance n° 2100150 du 18 mars 2022, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour avant cassation :
Par une requête, enregistrée le 18 mai 2022, M. B..., représenté par Me Tourbier, demande à la cour :
1°) d'annuler cette ordonnance ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Beauvais à lui verser la somme globale de 18 450 euros ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Beauvais la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'ordonnance attaquée est entachée d'irrégularité dès lors que sa demande présentée devant le tribunal administratif n'est pas tardive ;
- le centre hospitalier a commis des fautes en raison des renouvellements de contrat opérés en méconnaissance du 4° de l'article R. 6152-402 du code de la santé publique, de l'impossibilité dans laquelle il a été placée de prendre ses congés annuels et en s'abstenant de le rémunérer pour la journée du 5 avril 2020 ;
- en raison de ses fautes, il a subi des préjudices financiers de 10 000 euros, 3 150 euros et 300 euros ainsi qu'un préjudice moral de 5 000 euros.
Par une ordonnance n° 22DA01053 du 30 août 2022, la présidente de la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par M. B... contre cette ordonnance.
Par une décision n° 468522 du 24 mai 2024, le Conseil d'État a annulé l'ordonnance du 30 août 2022 de la présidente de la cour administrative d'appel de Douai en tant qu'elle est relative aux conclusions tenant au versement d'un rappel de salaire et au paiement de congés non pris et a renvoyé l'affaire dans cette mesure à la cour administrative d'appel de Douai.
Procédure devant la cour après cassation :
Par un mémoire, enregistré le 26 juillet 2024, le centre hospitalier de Beauvais, représenté par Me Segard, demande à la cour :
1°) de rejeter la requête ;
2°) de mettre à la charge de M. B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il fait valoir que :
- il n'a commis aucune faute dans la relation contractuelle avec M. B... qui ne peut se prévaloir d'aucun préjudice moral et économique ;
- M. B... ne démontre ni qu'il a sollicité le bénéfice de congés avant le terme de son contrat, ni qu'il a été empêché de consommer l'ensemble des congés non pris avant son départ ;
- l'intéressé ne saurait se prévaloir d'un rappel de salaire pour le mois d'avril 2020.
Par un mémoire, enregistré le 18 novembre 2024, M. B..., représenté par Me Güner, demande à la cour :
1°) d'annuler l'ordonnance attaquée ;
2°) de condamner le centre hospitalier de Beauvais à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices subis compte tenu de l'illégalité de son maintien en qualité de praticien contractuel, celle de 3 150 euros au titre de l'indemnité compensatrice des congés payés et celle de 300 euros au titre d'un rappel de salaire, sommes assorties des intérêts au taux légal à compter du 17 juillet 2020 ainsi que la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice tiré du versement tardif de la prime de précarité ;
3°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Beauvais une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le centre hospitalier de Beauvais a commis une illégalité fautive engageant sa responsabilité pour faute en renouvelant son contrat de travail au-delà de la limite de deux années fixée par le 4° de l'article R. 6125-402 du code de la santé publique ;
- cette faute lui a fait perdre une chance de pouvoir être recruté sur un poste de praticien hospitalier qui est à l'origine d'un préjudice de carrière et d'un préjudice moral devant être indemnisés à hauteur de 10 000 euros chacun ;
- le versement tardif de sa prime de précarité engage la responsabilité du centre hospitalier de Beauvais qui devra être condamné à lui verser la somme de 5 000 euros ;
- son ancien employeur doit être condamné à lui verser une somme de 3 150 euros au titre des 10,5 jours de congés dont il n'a pas été en mesure de bénéficier avant la fin de son engagement ;
- le centre hospitalier de Beauvais doit être condamné à lui verser une somme de 300 euros correspondant à la journée de travail du 5 avril 2020 qui n'a pas été rémunérée.
Par lettre du 7 mai 2025, les parties ont été informées, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions de M. B... tendant à la condamnation du centre hospitalier de Beauvais à lui verser les sommes de 20 000 euros en réparation des préjudices subis, d'une part, en raison de l'irrégularité de ses conditions d'emploi en tant que praticien contractuel et, d'autre part, du versement tardif de la prime de précarité, dès lors que le Conseil d'État, par sa décision n° 468522 du 24 mai 2024, n'a renvoyé l'affaire à la Cour qu'en ce qui concerne ses conclusions tendant au versement d'un rappel de salaire et au paiement de congés non pris, à l'exclusion de toutes autres.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de la santé publique ;
- le code du travail ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus, au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Vandenberghe, premier conseiller,
- et les conclusions de Mme Regnier, rapporteure publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. B..., praticien contractuel, a été recruté le 3 octobre 2016 par contrat à durée déterminée de six mois conclu avec le centre hospitalier de Beauvais. Ce contrat a été renouvelé à cinq reprises. Par décision du 5 février 2020, la directrice des affaires générales, médicales, de la qualité sécurité et des coopérations du centre hospitalier de Beauvais l'a informé que son contrat ne serait pas renouvelé. Par réclamation reçue le 20 juillet 2020, M. B... a demandé au centre hospitalier de Beauvais de lui verser la prime de précarité, un rappel de salaire pour le dernier jour travaillé, une indemnité relative aux congés qu'il n'a pas été en mesure de poser avant la fin de son contrat et d'indemniser les préjudices résultant de son maintien illégal dans le statut de praticien contractuel. M. B... a saisi le tribunal administratif d'Amiens aux fins d'obtenir la condamnation de son ancien employeur à lui verser ces différentes indemnités. Par une ordonnance du 18 mars 2022, le président de la 1ère chambre du tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande comme étant manifestement irrecevable. L'appel de M. B... a été rejeté par une ordonnance du 30 août 2022 de la présidente de la cour administrative d'appel de Douai confirmant la tardiveté de sa demande présentée devant le premier juge. Par une décision du 24 mai 2024, le Conseil d'État a annulé cette dernière ordonnance en tant qu'elle est relative aux conclusions tenant au versement d'un rappel de salaire et au paiement de congés non pris et a renvoyé l'affaire, dans cette mesure, à la cour administrative d'appel de Douai.
Sur la recevabilité :
2. Il appartient à la cour administrative d'appel à laquelle le jugement d'une affaire est renvoyée, après cassation partielle, par le Conseil d'État statuant au contentieux, de ne se prononcer de nouveau sur le litige que dans les limites résultant de la décision du juge de cassation. Sont, par suite, irrecevables devant la cour les conclusions des parties qui tendent à faire trancher par la cour des questions étrangères aux seuls points restant à juger en vertu de l'arrêt de renvoi du Conseil d'État.
3. En l'espèce, la décision précitée du Conseil d'État n'a annulé l'ordonnance du 30 août 2022 de la présidente de la cour administrative d'appel de Douai qu'en tant qu'elle est relative aux conclusions tendant au versement d'un rappel de salaire et au paiement de congés non pris et l'affaire a été renvoyée à la cour dans cette seule mesure. Dès lors, les conclusions de M. B... tendant à la condamnation du centre hospitalier de Beauvais à lui verser la somme de 20 000 euros en réparation des préjudices subis " compte tenu de l'illégalité de son maintien en qualité de praticien contractuel ", qui, au demeurant, ont été rejetées définitivement par l'ordonnance du 30 août 2022 de la présidente de la cour administrative d'appel de Douai, sont irrecevables. Il en est de même s'agissant des conclusions tendant à la condamnation du centre hospitalier de Beauvais à lui verser la somme de 5 000 euros en réparation du préjudice tiré du " versement tardif de la prime de précarité " qui, en outre, sont nouvelles en appel dès lors qu'elles relèvent d'un fait générateur distinct de celui ayant fait l'objet de la saisine du tribunal administratif d'Amiens.
Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :
4. Aux termes de l'article R. 421-2 du code de justice administrative : " Sauf disposition législative ou réglementaire contraire, dans les cas où le silence gardé par l'autorité administrative sur une demande vaut décision de rejet, l'intéressé dispose, pour former un recours, d'un délai de deux mois à compter de la date à laquelle est née une décision implicite de rejet. Toutefois, lorsqu'une décision explicite de rejet intervient avant l'expiration de cette période, elle fait à nouveau courir le délai de recours. (...)". Aux termes de l'article R. 421-5 du même code : " Les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu'à la condition d'avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision. ".
5. Il résulte de ces dispositions que le délai pour présenter un recours tendant à la mise en jeu de la responsabilité d'une personne publique n'est opposable qu'à la condition d'avoir été mentionné dans la notification de la décision rejetant la réclamation indemnitaire préalablement adressée à l'administration lorsque cette décision est expresse.
6. Il résulte de l'instruction qu'après la réception le 20 juillet 2020 de la demande de M. B..., qui lui était personnellement adressée, la directrice des affaires générales du centre hospitalier de Beauvais a adressé à l'intéressé le 10 août 2020 un courriel qui, s'il ne faisait pas référence à sa demande, l'informait, d'une part, de la mise en paiement du solde de sa prime de précarité, d'autre part du non paiement du solde de ses jours de congés non pris. Compte tenu de sa formulation, ce courriel constitue une décision explicite de rejet de la demande de M. B..., sans que celle-ci ne comporte la mention des voies et délais de recours. Par suite, c'est à tort que le président de la 1ère chambre du tribunal administratif d'Amiens a rejeté comme irrecevables, en tant qu'elles sont tardives, les conclusions tenant au versement d'un rappel de salaire et au paiement de congés non pris. Son ordonnance doit, par suite, être annulée dans cette mesure.
7. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions relatives au versement d'un rappel de salaire et au paiement de congés non pris et présentées par M. B... devant le tribunal administratif d'Amiens.
Sur les conclusions indemnitaires de M. B... :
8. D'une part, il résulte de l'instruction que M. B... a été employé en qualité de praticien contractuel à partir du 3 octobre 2016 par contrats à durée déterminée qui ont été renouvelés à cinq reprises. Le dernier contrat, qui a été signé le 16 septembre 2019, a été conclu pour une période de six mois à compter du 5 octobre 2020 et a nécessairement pris fin le 4 avril 2020. M. B... n'est dès lors pas fondé à demander le versement d'une somme de 300 euros correspondant à la rémunération de la journée du 5 avril 2020.
9. D'autre part, aux termes de l'article L. 1246-16 du code du travail : " Le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée déterminée a droit à une indemnité compensatrice de congés payés au titre du travail effectivement accompli durant ce contrat, quelle qu'ait été sa durée, dès lors que le régime des congés applicable dans l'entreprise ne lui permet pas de les prendre effectivement. / Le montant de l'indemnité, calculé en fonction de cette durée, ne peut être inférieur au dixième de la rémunération totale brute perçue par le salarié pendant la durée de son contrat. / L'indemnité est versée à la fin du contrat, sauf si le contrat à durée déterminée se poursuit par un contrat de travail à durée indéterminée ". Ces dispositions sont rendues applicables aux praticiens contractuels par les dispositions de l'article R. 6152-418 du même code disposent que : " Les dispositions du code du travail et celles du code de la sécurité sociale sont applicables aux praticiens contractuels en tant qu'elles sont relatives aux congés annuels ou de maladie, de maternité ou d'adoption, de paternité, de présence parentale, de solidarité familiale, à l'indemnité prévue à l'article L. 1243-8 du code du travail (...) ". Aux termes de l'article R. 6152-418-3 du même code, dans sa version applicable au litige : " Le praticien contractuel signataire d'un contrat à durée déterminée conclu sur le fondement de l'article R. 6152-402 a droit : / 1° A des congés annuels dans les conditions prévues par le code du travail (...) ".
10. M. B... fait valoir, sans être contesté sur ce point, qu'après avoir été informé du non-renouvellement de son contrat il a, les 12 février 2020 et 11 mars 2020, déposé en vain des demandes de congés et qu'il a été dans l'impossibilité de bénéficier de ceux-ci en raison du manque d'effectif du centre hospitalier de Beauvais au cours de la crise sanitaire causée par l'épidémie de covid-19. En application des dispositions citées au point précédent, et même si les stipulations du contrat de travail de l'intéressé prévoyaient qu'en cas de départ définitif de l'établissement il devra solder ses congés avant la date de cessation de ses fonctions et qu'un congé non pris ne donnera lieu à aucune indemnité compensatrice, M. B... est fondé à demander la condamnation du centre hospitalier de Beauvais à lui verser une indemnité compensatrice des dix jours et demi de congés annuels dont il pouvait bénéficier et qu'il n'a pas été en mesure de poser. Il y a lieu de renvoyer M. B... devant le centre hospitalier de Beauvais pour la liquidation du montant de cette indemnité, dans la limite de 3 150 euros.
Sur les intérêts :
11. L'indemnité compensatrice de congés annuels à laquelle a droit M. B... sera assortie des intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2020, date de réception de sa demande indemnitaire par le centre hospitalier de Beauvais.
Sur les frais liés au litige :
12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, une somme au titre des frais liés au litige. En revanche, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du centre hospitalier de Beauvais une somme de 2 000 euros à verser à M. B... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : L'ordonnance n° 2100150 du président de la 1ère chambre du tribunal administratif d'Amiens est annulée en tant qu'elle a rejeté les conclusions de M. B... tenant au versement d'un rappel de salaire et au paiement de congés non pris.
Article 2 : Le centre hospitalier de Beauvais est condamné à verser à M. B... une indemnité compensatrice de congés annuels correspondant aux dix jours et demi de congés que l'intéressé n'a pas été en mesure de poser avant la fin de son contrat. M. B... est renvoyé devant le centre hospitalier de Beauvais pour qu'il soit procédé à la liquidation de cette indemnité, dans la limite de 3 150 euros. La somme due portera intérêts au taux légal à compter du 20 juillet 2020.
Article 3 : Le centre hospitalier de Beauvais versera à M. B... une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et au centre hospitalier de Beauvais.
Délibéré après l'audience publique du 13 mai 2025 à laquelle siégeaient :
- M. Benoît Chevaldonnet, président de chambre,
- M. Laurent Delahaye, président assesseur,
- M. Guillaume Vandenberghe, premier conseiller,
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 juin 2025.
Le rapporteur,
Signé : G. VandenbergheLe président de chambre,
Signé : B. Chevaldonnet
La greffière,
Signé : A. Vigor
La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé, des solidarités et des familles en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.
Pour expédition conforme,
Pour la greffière en chef,
par délégation,
La greffière
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N°24DA00999