Vu la requête et le mémoire complémentaire, enregistrés le 2 août et le 29 septembre 1993 au greffe de la cour administrative d'appel présentés par le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme ;
Le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement en date du 27 mai 1993, par lequel le tribunal administratif de Grenoble a condamné l'Etat à verser d'une part à Mme Y..., une indemnité de 241 998,43 francs au titre de son préjudice propre, et une indemnité de 6 710,50 francs en tant qu'administrateur légal de son fils mineur Aina, et d'autre part à la MACIF une indemnité de 234 589,50 francs, en réparation des conséquences dommageables de l'accident survenu le 26 décembre 1989 sur la route nationale 75 au lieu-dit "la Dangereuse" ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme Y... et la MACIF devant le tribunal administratif ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ;
Vu la loi n° 87-1127 du 31 décembre 1987 ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 7 juin 1994 :
- le rapport de M. RIQUIN, conseiller ;
- les observations de Me Z..., substituant la société CAILLAT-DAY et associés, avocat de Mme Y... et de la MACIF ;
- et les conclusions de M. CHANEL, commissaire du gouvernement ;
Considérant que le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme demande à la cour d'annuler le jugement en date du 27 mai 1993, par lequel le tribunal administratif de Grenoble a déclaré l'Etat responsable de la moitié des conséquences dommageables de l'accident survenu le 26 décembre 1989 sur la route nationale 75 au lieu-dit "La Dangereuse" au cours duquel M. Paoly Y..., époux de X...
Y... et père de Aina, a trouvé la mort, et condamné l'Etat à verser d'une part à Mme Y..., une indemnité de 241 998,43 francs au titre de son préjudice propre, et une indemnité de 6 710,50 francs en tant qu'administrateur légal de son fils mineur Aina, et d'autre part à la MACIF une indemnité de 234 589,50 francs ;
Sur la recevabilité de la demande de la MACIF :
Considérant qu'en réponse à la demande de la cour invitant à justifier de la qualité pour agir en son nom en première instance, la MACIF a produit une délégation de pouvoir signée de son directeur régional Rhône-Alpes au profit de l'auteur de celle-ci ; qu'il ne résulte ni des statuts de cette société d'assurances, ni de la délégation de pouvoir consentie par son conseil d'administration le 23 juin 1991, que le directeur régional Rhône-Alpes ait eu qualité pour représenter cette société en justice à l'occasion d'une demande en réparation d'un préjudice qu'elle a subi ; que le directeur régional Rhône-Alpes ne pouvait par suite subdéléguer un pouvoir qu'il ne détenait pas, au profit du représentant du centre de gestion de Romans sur Isère qui, dès lors, n'avait pas qualité pour représenter la MACIF devant le tribunal administratif de Grenoble ; que par suite, c'est à tort que le tribunal a admis la recevabilité de l'intervention de cette personne morale ; qu'il y a lieu de soulever d'office ce moyen d'ordre public et d'annuler le jugement en tant qu'il a condamné l'Etat à verser à la MACIF une somme de 234 589,50 francs ;
Sur la responsabilité :
Considérant qu'il résulte de l'instruction que l'accident a été provoqué par le dérapage du véhicule conduit par Mme Y... sur une importante nappe de verglas, prévisible en raison de la température nocturne constatée à cette période, et en raison de l'immédiate proximité du Rhône ; que le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme n'apporte pas la preuve qui lui incombe que de part et d'autre du lieu de l'accident, des panonceaux amovibles "risque de verglas", de type M9, avaient été installés à côté des panneaux fixes signalant une "chaussée glissante" ; que l'existence des panneaux fixes n'a pas constitué une signalisation suffisante du danger ; qu'il s'ensuit que le ministre de l'équipement, des transports et du tourisme n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé qu'il n'apportait pas la preuve de l'entretien normal de la voie publique et a en conséquence retenu sa responsabilité ;
Considérant toutefois qu'il résulte de l'instruction que Mme Y... roulait à une vitesse excessive, et a fait preuve, à un endroit où la route était rectiligne, d'une maîtrise insuffisante de son véhicule ; que par suite, c'est par une exacte appréciation des circonstances de l'espèce que les premiers juges ont estimé que la faute de la victime était de nature à exonérer l'Etat de la moitié des conséquences dommageables de l'accident ; qu'ainsi les conclusions de Mme Y... tendant à ce que l'Etat supporte la totalité des conséquences dommageables de l'accident doivent être rejetées ;
Sur le préjudice :
Considérant que les frais funéraires supportés par Mme Y... s'élèvent à la somme, non contestée, de 11 596,87 francs ; qu'en fixant respectivement à 690 000 francs et à 50 000 francs les indemnités dues à Mme Y... au titre respectivement du préjudice économique et du préjudice moral que le décès de son mari lui a causé, les premiers juges n'ont pas fait une évaluation insuffisante de ces chefs de préjudice ; qu'il en est de même pour ce qui concerne l'évaluation à la somme de 200 000 francs du préjudice économique subi par le jeune Aina ; qu'en revanche, l'indemnité destinée à compenser le préjudice moral que le décès de son père lui a causé doit être porté de 15 000 francs à 30 000 francs ; que compte tenu du partage de responsabilité ci-dessus opéré, il y a lieu de condamner l'Etat à verser respectivement à Mme Y... la somme de 375 798,43 francs et au jeune Aina la somme de 115 000 francs ; que par suite il y a lieu de réformer le jugement attaqué en ce sens, et de rejeter le surplus des conclusions incidentes de Mme Y... ;
Sur la capitalisation des intérêts :
Considérant qu'à la date du 10 novembre 1993, il était dû au moins une année d'intérêts ; qu'il y a donc lieu d'y faire droit, dans le cas où le jugement du tribunal administratif de Grenoble n'aurait pas reçu exécution ;
Sur les conclusions tendant à l'allocation des sommes non comprises dans les dépens :
Considérant qu'aux termes de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que l'Etat soit condamné à rembourser les frais exposés par la MACIF, qui succombe dans la présente instance ;
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat à verser à Mme Y..., au titre des frais irrépétibles engagés dans la présente instance d'appel, une somme de 4 000 francs ;
Article 1er : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Grenoble du 27 mai 1993 est annulé.
Article 2 : La demande de la MACIF présentée devant le tribunal administratif est rejetée.
Article 3 : L'Etat est condamné à verser à Mme Y... d'une part, une somme de 375 798,43 francs, d'autre part une somme de 115 000 francs en tant qu'administrateur légal de son fils Aina, au titre du préjudice que celui-ci a subi.
Article 4 : Les intérêts des sommes auxquelles l'Etat a été condamné porteront intérêt à compter du 10 novembre 1993, si le jugement n'a pas reçu exécution.
Article 5 : L'Etat est condamné à verser à Mme Y... la somme de 4 000 francs au titre de l'article L.8-1 du code des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel.
Article 6 : Le surplus des conclusions de la requête du ministre de l'équipement, des transports et du tourisme, et de Mme Y... est rejeté.