Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 15 décembre 2006, présentée pour M. Serdar X domicilé ..., par Me Kouma, avocat au barreau de Dijon ;
M. X demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0607581 en date du 8 décembre 2006, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation, d'une part, de l'arrêté du 5 décembre 2006, par lequel le préfet de la Côte d'Or a ordonné sa reconduite à la frontière et, d'autre part, de la décision distincte du même jour désignant le pays de destination de la reconduite ;
2°) d'annuler l'arrêté et la décision susmentionnés pour excès de pouvoir ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros, au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;
Il soutient que le jugement attaqué est insuffisamment motivé dans sa réponse au moyen tiré de ce que l'arrêté querellé a été pris au terme d'une procédure irrégulière, dès lors qu'il a été pris, alors qu'aucune disposition légale relative au séjour des étrangers ne le prévoit, sur proposition du secrétaire général, et que le préfet, en suivant cette proposition, a cru, à tort, qu'il avait compétence liée ; que l'arrêté de reconduite à la frontière n'aurait pas dû intervenir avant la décision à venir de la commission des recours des réfugiés, devant laquelle il a contesté la décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides en date du 7 juillet 2006 ; que l'ensemble des membres de sa famille séjourne en France et que la plupart d'entre eux bénéficie de la qualité de réfugié politique ; qu'ainsi, l'arrêté attaqué a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention susmentionnée ; que le préfet aurait dû attendre que l'office français de protection des réfugiés et apatrides se prononce sur la demande d'asile de ses parents avant de prendre une mesure d'éloignement à son encontre ; que l'arrêté attaqué est également entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur sa situation personnelle ; qu'il est issu d'une famille de nationalité turque et d'origine arménienne qui a été contrainte de quitter la Turquie en raison de son appartenance ethnique qui lui a valu d'être persécutée ; que son père a subi des mauvais traitements et que lui-même s'est opposé aux autorités de son pays ; qu'ainsi, la décision fixant le pays de destination de la reconduite a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 18 janvier 2007, présenté par le préfet de la Côte d'Or, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient qu'il pouvait prendre l'arrêté de reconduite à la frontière, qui a été signé par une autorité compétente et notifié avec le concours d'un interprète assermenté, avant d'attendre la décision de la commission des recours des réfugiés dont le recours dont elle était saisie n'a pas de caractère suspensif ; que l'intéressé, qui est célibataire et sans enfant, a vécu la majeure partie de sa vie en Turquie où il n'apporte pas la preuve de son isolement et que son frère a également fait l'objet d'une mesure d'éloignement ; que l'arrêté attaqué n'a, dès lors, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas davantage entaché d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle de l'intéressé ; que les risques allégués ont déjà été examinés par l'office français de protection des réfugiés et apatrides et la commission des recours des réfugiés, qui ont considéré que ceux-ci n'étaient pas établis et qu'il a lui-même procédé à un examen de la situation de l'intéressé et est parvenu à la même conclusion ; qu'ainsi, la décision fixant le pays de destination de la reconduite n'a pas méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'est pas davantage entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 18 septembre 2007 :
- le rapport de M. Chabanol, président ;
- et les conclusions de M. Reynoird, commissaire du gouvernement ;
Sur la régularité du jugement :
Considérant qu'en précisant que la circonstance que l'arrêté attaqué a été pris « sur proposition du secrétaire général » était sans influence sur sa légalité et qu'elle ne saurait impliquer, en tout état de cause, que le préfet se soit cru lié par cette proposition, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a suffisamment répondu au moyen tiré de l'irrégularité de la procédure ; que le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit par suite être écarté ;
Sur la légalité de l'arrêté ordonnant sa reconduite à la frontière :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : / (…)6° Si le récépissé de la demande de carte de séjour ou l'autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l'étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé ; (…) » ; qu'aux termes de l'article L. 741-4 du même code : « (…) l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si : / (…) 4° La demande d'asile (…) constitue un recours abusif aux procédures d'asile ou n'est présentée qu'en vue de faire échec à une mesure d'éloignement prononcée ou imminente. (…) » et qu'aux termes de l'article L. 742-6 dudit code : « L'étranger présent sur le territoire français dont la demande d'asile entre dans l'un des cas visés aux 2° à 4° de l'article L. 741-4 bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet. En conséquence, aucune mesure d'éloignement (…) ne peut être mise à exécution avant la décision de l'office. (…) » ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X est entré en France le 24 mai 2005 ; qu'il a présenté une demande d'asile qui a été rejetée par l'office français de protection des réfugiés et apatrides le 27 octobre 2005, rejet confirmé par la commission des recours des réfugiés le 23 mars 2006 ; qu'une invitation à quitter le territoire national dans le délai d'un mois, l'informant de ce que son droit temporaire au séjour en qualité de demandeur d'asile n'était pas renouvelé, a été prise à son encontre le 30 mai 2006 ; que M. X a à nouveau formulé une demande d'admission provisoire au séjour en vue de solliciter, auprès de l'office français de protection des réfugiés et apatrides, le réexamen de sa demande d'asile ; que le préfet de la Côte d'Or a, par décision du 4 juillet 2006, refusé de lui délivrer une nouvelle autorisation provisoire de séjour sur le fondement du 4° précité de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; qu'en se bornant, pour justifier le réexamen de sa demande d'asile, à produire un certificat de baptême à l'église arménienne de Lyon le 5 janvier 2006, deux certificats médicaux attestant des dommages physiques subis par son père suite à une arrestation alléguée et un jugement par contumace de la Cour d'assises d'Istanbul le concernant ne présentant pas de garantie d'authenticité, M. X n'a pas fait état d'élément nouveau se rapportant à des faits qui seraient intervenus postérieurement à la précédente décision de refus d'asile prononcée par la commission des recours des réfugiés, le 23 mars 2006, ou dont il aurait établi n'en avoir eu connaissance que postérieurement à cette dernière décision et qui serait de nature à établir la réalité des persécutions qu'il aurait subies en Turquie et des risques auxquels il serait personnellement exposé en cas de retour dans ce pays ; que l'office français de protection des réfugiés et apatrides a, par décision du 7 juillet 2006, opposé un refus à la demande de réexamen de sa situation au regard de l'asile ; que cette demande de réexamen d'admission au statut de réfugié entrait donc dans le cas visé au 4° de l'article L. 741-4 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le préfet de la Côte d'Or a dans ces conditions pu légalement refuser l'admission provisoire au séjour du requérant et prendre à son encontre, le 5 décembre 2006, sur le fondement du 6°, substitué par le premier juge, de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, une mesure de reconduite à la frontière, sans que puisse y faire obstacle, en application de l'article L. 742-6 du même code, la circonstance que l'intéressé avait saisi la commission des recours des réfugiés, d'un recours non suspensif à l'encontre de la décision du 7 juillet 2006 susmentionnée de l'office français de protection des réfugiés et apatrides ;
Considérant que si la décision attaquée a été prise, selon ses termes mêmes, « sur proposition du secrétaire général », cette seule circonstance, qui ne méconnaît aucun texte ou principe, n'établit pas que, pour se prononcer ainsi qu'il l'a fait, le préfet de la Côte d'Or aurait estimé que sa compétence était liée, et méconnu ainsi l'étendue de sa compétence ;
Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » ;
Considérant que si M. X fait valoir que l'ensemble des membres de sa famille réside en France et que la plupart bénéficie du statut de réfugié politique, il ressort toutefois des pièces du dossier que l'intéressé, âgé de vingt-quatre ans, est entré sur le territoire français un an en demi seulement avant l'arrêté attaqué ; que la circonstance que ses parents sont dans l'attente d'une décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides sur leur demande d'asile n'obligeait pas le préfet à surseoir à l'édiction d'un arrêté de reconduite à la frontière à l'encontre du requérant jusqu'à ce qu'il ait été statué sur cette demande ; que M. X n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales en Turquie, pays à destination duquel une mesure d'éloignement a également été prise à l'encontre de son frère ; que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions d'entrée et de séjour du requérant en France, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, l'arrêté contesté n'a pas porté au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris ; qu'il n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que le préfet de la Côte d'Or n'a pas davantage entaché sa décision d'une erreur manifeste d'appréciation quant à ses conséquences sur la situation personnelle du requérant ;
Sur la légalité de la décision désignant le pays de destination de la reconduite :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (…) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. » et que ce dernier texte énonce que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants » ;
Considérant que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement, un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;
Considérant que si M. X soutient que sa famille a été contrainte de quitter la Turquie en raison des persécutions subies du fait de son appartenance ethnique à la minorité arménienne, que ses cousins ont obtenu le statut de réfugié, que son père a été victime de mauvais traitements et que lui-même a été condamné par contumace à une peine privative de liberté en raison de son militantisme politique, il n'établit pas, par les pièces qu'il produit et notamment le jugement dépourvu de caractère d'authenticité de la Cour d'assises d'Istanbul, la réalité des faits allégués et des risques auxquels il serait personnellement exposé en cas de retour dans son pays d'origine ; qu'ainsi, l'intéressé n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant la Turquie comme pays de destination de la reconduite a méconnu les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni que cette décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande ; que ses conclusions aux fins de mise à la charge de l'Etat des frais exposés par lui et non compris dans les dépens doivent être rejetées par voie de conséquence ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de M. X est rejetée.
1
5
N° 06LY02489