Vu le recours, enregistré le 21 janvier 2008, présenté par le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE ;
Le MINISTRE demande à la Cour :
1°) d'annuler l'article 1er du jugement n° 0304430 du 23 octobre 2007 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a déchargé M. A, en droits et pénalités, des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles il a été assujetti au titre de l'année 1997 ;
2°) de rétablir, en droits et pénalités, M. ou Mme A au rôle de l'impôt sur le revenu et à celui des contributions sociales, à hauteur de la décharge prononcée, soit 682 562 euros en matière d'impôt sur le revenu et 426 601 euros en matière de contributions sociales, sur le fondement de l'abus de droit, ou, à titre subsidiaire, sur celui de la fraude à la loi, avec à titre très subsidiaire, si la Cour considérait que l'application de pénalités pour manoeuvres frauduleuses n'était pas fondée, substitution des pénalités de 40 % pour mauvaise foi aux pénalités pour manoeuvres frauduleuses ;
Il soutient que les premiers juges ont entaché leur décision d'une contrariété de motifs en faisant référence aux dispositions du b) de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales après avoir cité le c) de cet article ; qu'ils ne pouvaient pas soulever d'office la mise en oeuvre irrégulière de la procédure prévue à cet article et qu'ils ont omis d'indiquer que la charge de la preuve incombait au contribuable ; que l'administration fiscale était fondée à mettre en oeuvre la procédure de répression des abus de droit ; que l'administration fiscale demande, à titre subsidiaire, le maintien des impositions litigieuses sur le fondement de la fraude à la loi, les pénalités pour manoeuvres frauduleuses pouvant alors être substituées aux pénalités pour abus de droit ; que si la Cour retenait le fondement de la fraude à la loi, sans admettre l'existence de manoeuvres frauduleuses, les pénalités de mauvaise foi devraient être substituées aux pénalités en litige ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 15 avril 2009 et régularisé par courrier le 17 avril 2009, présenté pour M. Olivier A, qui conclut au rejet du recours du MINISTRE et à la mise à la charge de l'Etat d'une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
Il soutient que l'opération d'apport de titres n'était pas constitutive d'un abus de droit au sens des dispositions de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, ces dispositions n'étant pas applicables aux apports de titres placés sous un régime de report d'imposition et les actes juridiques en cause n'étant pas purement artificiels, ainsi que le rappelle la doctrine administrative contenue dans la documentation administrative sous les références 13 L-1531 et 13 L 143 ; qu'il n'y a pas eu portage ; que la constatation d'un court délai entre l'acquisition des titres apportés et leur cession ne suffit pas à caractériser un abus de droit ; que les fonds ont été réemployés dans un projet professionnel ; que l'opération d'apport de titres n'est pas constitutive d'une fraude à la loi ; que les pénalités pour manoeuvres frauduleuses ne peuvent être appliquées ; que l'utilisation d'un dispositif fiscal conformément à la volonté du législateur ne saurait être sanctionné par l'application de pénalités de mauvaise foi ;
Vu l'ordonnance en date du 20 avril 2009 fixant la clôture d'instruction au 29 mai 2009, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;
Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 28 mai 2009 et régularisé par courrier le 2 juin 2009, par lequel le MINISTRE maintient ses conclusions, sans apporter d'éléments nouveaux ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 avril 2010 :
- le rapport de M. Pourny, premier conseiller ;
- les observations de Me Klein avocat de M. A ;
- et les conclusions de M. Gimenez, rapporteur public ;
La parole ayant à nouveau été donnée aux parties présentes ;
Considérant que M. Olivier A détenait 5 297 actions de la société anonyme Vaudoise de participation ; qu'il en a apporté 3 409 à la société civile Minos, constituée le 5 septembre 1997, en plaçant la plus-value de 14 517 870 francs réalisée lors de cet apport sous le régime du report d'imposition prévu au 4 du I ter de l'article 160 du code général des impôts, dans sa rédaction alors en vigueur ; que la société civile Minos a cédé, dès le 19 septembre 1997, les actions qui lui avaient été apportées à une autre société, qui a acquis l'ensemble des actions de la SA Vaudoise de participation ; que l'administration fiscale a remis en cause le report d'imposition dont avait bénéficié M. A en estimant, conformément à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit, que l'interposition de la société civile Minos dans la cession de certaines actions de M. A à l'acquéreur de l'ensemble des actions de la SA Vaudoise de participation était constitutive d'un abus de droit ; que M. A a été assujetti à des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales au titre de l'année 1997 à raison de ce redressement ; qu'il en a demandé la décharge au Tribunal administratif de Grenoble ; que le MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE conteste l'article 1er du jugement n° 0304430 du 23 octobre 2007 par lequel le Tribunal administratif de Grenoble a prononcé cette décharge ;
Sur l'utilisation de la procédure prévue à l'article L. 64 du livre des procédures fiscales :
Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction alors applicable : Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : / (...) b) ou qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus ; (...) L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. (...) ;
Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article 160 du code général des impôts alors en vigueur : (...) I ter. (...) 4. L'imposition de la plus-value réalisée à compter du 1er janvier 1991 en cas d'échange de droits sociaux résultant d'une opération de fusion, scission ou d'apport de titres à une société soumise à l'impôt sur les sociétés peut être reportée dans les conditions prévues au II de l'article 92 B (...) et qu'aux termes de l'article 92 B du même code alors en vigueur : (...) II. 1. A compter du 1er janvier 1992 ou du 1er janvier 1991 pour les apports de titres à une société passible de l'impôt sur les sociétés, l'imposition de la plus- value réalisée en cas d'échange de titres résultant (...) d'un apport de titres d'une société soumise à l'impôt sur les sociétés, peut être reportée au moment où s'opérera la cession, le rachat, le remboursement ou l'annulation des titres reçus lors de l'échange (...) ;
Considérant que le fait, pour un contribuable, de placer ou de maintenir sous le régime du report d'imposition prévu par les dispositions précitées du I ter de l'article 160 du code général des impôts une plus-value réalisée à l'occasion d'un apport de droits sociaux ne déguise, par lui-même, ni une réalisation, ni un transfert de bénéfices ou de revenus, au sens du b) de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, dans sa rédaction alors en vigueur ; que, par suite, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Grenoble a considéré que la procédure de répression des abus de droit prévue par les dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ne pouvait être mise en oeuvre pour l'établissement des impositions en litige ;
Sur la substitution de base légale demandée par le ministre :
Considérant que l'administration est en droit d'invoquer à tout moment de la procédure, même pour la première fois en appel, tous moyens nouveaux à la condition que la substitution de base légale demandée au juge ne prive le contribuable d'aucune garantie de procédure ; que le MINISTRE demande, à titre subsidiaire, le maintien des impositions en litige sur le fondement de la fraude à la loi ;
Considérant que si un acte de droit privé opposable aux tiers est, en principe, opposable dans les mêmes conditions à l'administration tant qu'il n'a pas été déclaré nul par le juge judiciaire, il appartient à l'administration, lorsque se révèle une fraude commise en vue d'obtenir l'application de dispositions de droit public, d'y faire échec même dans le cas où cette fraude revêt la forme d'un acte de droit privé ; que ce principe peut conduire l'administration à ne pas tenir compte d'actes de droit privé opposables aux tiers ; que ce principe s'applique également en matière fiscale, dès lors que le litige n'entre pas dans le champ d'application des dispositions particulières de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, qui, lorsqu'elles sont applicables, font obligation à l'administration fiscale de suivre la procédure qu'elles prévoient ; qu'ainsi, hors du champ de ces dispositions, l'administration fiscale, qui peut toujours écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable, dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, peut également se fonder sur l'existence d'une fraude à la loi pour écarter les actes qui, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;
Considérant que si le MINISTRE soutient que la vente des actions de M. A a été décidée avant même leur apport à la société civile Minos, qui ne les a détenues que quatorze jours, sans que M. A ne justifie d'un projet de réinvestissement des fonds obtenus par cette société, M. A fait valoir que la société civile Minos a été créée en vue de l'acquisition d'un domaine viticole et d'une prise de participation dans une société chargée de l'exploitation de ce domaine, afin de lui permettre de conserver une activité professionnelle, l'intéressé, alors âgé de 47 ans justifiant avoir suivi des cours à l'Université du vin de Suze la Rousse dès le mois de janvier 1998, après avoir vainement recherché un domaine en Champagne ; qu'il n'est pas contesté que deux sociétés, dont la société Minos détient 85 % des parts, se sont effectivement portées acquéreuses d'un domaine viticole et de son matériel d'exploitation à Valréas (Vaucluse) pour des prix de 17 250 000 francs et 250 000 francs le 21 mai 1999, avec l'aide du père de M. A qui leur a personnellement consenti un prêt d'un million de francs pour ces investissements ; que, dès lors, le délai de réemploi des fonds étant justifié par l'importance des investissements réalisés et par la difficulté de trouver une propriété correspondant au projet de M. A, le MINISTRE ne peut être regardé comme apportant la preuve dont il a la charge que l'apport par M. A d'une partie de ses actions à la société civile Minos n'aurait été inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé aurait normalement supportées s'il n'avait pas effectué cet apport ; qu'ainsi l'administration fiscale ne justifie pas que le régime de report d'imposition de la plus-value réalisée le 5 septembre 1997 par M. A pouvait être remis en cause sur le fondement de la fraude à la loi ; que le MINISTRE n'est par suite pas fondé à invoquer une fraude à la loi pour réclamer le maintien des droits en litige ; qu'il ne peut en conséquence pas davantage demander le maintien des pénalités dont ces droits avaient été assortis, l'existence de manoeuvres frauduleuses ou de la mauvaise foi du contribuable n'étant au surplus pas établie ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le MINISTRE n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge des impositions en litige ;
Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner l'Etat, partie perdante, à verser à M. Olivier A, une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
DECIDE :
Article 1er : Le recours du MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA FONCTION PUBLIQUE est rejeté.
Article 2 : L'Etat versera à M. A une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au MINISTRE DU BUDGET, DES COMPTES PUBLICS ET DE LA REFORME DE L'ETAT et à M. Olivier A.
Délibéré après l'audience du 6 avril 2010 à laquelle siégeaient :
M. Chanel, président de chambre,
MM. Monnier et Pourny, premiers conseillers.
Lu en audience publique, le 4 mai 2010.
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N° 08LY00144