Vu la requête, enregistrée le 17 février 2009, présentée pour la COMMUNE DE BLUFFY (Haute-Savoie) ;
La COMMUNE DE BLUFFY demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 0701309 et n° 0701311 du Tribunal administratif de Grenoble du 4 décembre 2008 qui, à la demande de M. A, a annulé deux délibérations du 14 novembre 2006 par lesquelles son conseil municipal a décidé de préempter, respectivement, les parcelles cadastrées A 1105 et A 1530 ;
2°) de rejeter les demandes de M. A devant le Tribunal administratif ;
3°) de condamner ce dernier à lui verser une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La commune soutient que :
- le document produit en première instance par M. A, selon lequel les vendeurs de chacune des parcelles concernées ont réitéré leur volonté de vendre, constitue un faux, ainsi que les intéressés l'ont confirmé ; que, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, cet usage de faux n'est pas postérieur à l'introduction de la demande ; qu'une plainte a été déposée à la gendarmerie et une procédure est actuellement pendante devant le Tribunal correctionnel d'Annecy ; que cette fraude est de nature à entraîner la nullité des demandes et des procédures qui ont été engagées par M. A ;
- au jour de l'introduction de sa demande, le 19 mars 2007, M. A ne disposait d'aucun intérêt à agir à l'encontre de la délibération décidant de préempter la parcelle cadastrée 1105 ; qu'en effet, à cette date, à laquelle s'apprécie l'existence du droit d'agir en justice, l'intéressé ne pouvait plus se prévaloir de la qualité d'acquéreur évincé, la promesse de vente signée avec les consorts B étant devenue caduque, la condition suspensive, liée à l'obtention d'un accord de vente des propriétaires de la parcelles contiguë cadastrée 1530 au plus tard le 31 mars 2006, n'ayant pas été réalisée ; que, contrairement à ce qu'a jugé le Tribunal, la promesse de vente était caduque avant la décision de préemption ; qu'en outre, le compromis de vente a expressément stipulé que la réitération devrait intervenir au plus tard le 15 février 2007, ce qui n'a pas été le cas ;
- elle a décidé d'exercer son droit de préemption en vue de réaliser des logements sociaux ; que le fait que la date de réalisation de cette opération ne soit pas déterminée n'est pas de nature a entraîner l'illégalité des délibérations attaquées ; qu'ainsi, il existait bien un projet en matière de politique de l'habitat à la date de ces décisions ;
Vu le jugement attaqué ;
Vu le mémoire, enregistré le 2 juin 2009, présenté pour M. A, qui demande à la Cour :
- de rejeter la requête ;
- de condamner la COMMUNE DE BLUFFY à lui verser une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
M. A soutient que :
- une préemption ne peut être justifiée par des actes postérieurs ; que le premiers juges ont relevé, à juste titre, que le procès-verbal de la séance du conseil municipal du 10 novembre 2007, qui est postérieur aux délibérations attaquées, ne pouvait les régulariser ; que la commune ne produit aucune pièce nouvelle en appel ;
- il a commis un faux en reproduisant la signature des vendeurs sur des avenants aux compromis de vente ; que cet acte est étranger au procès administratif ; que, commis postérieurement à l'établissement des déclarations d'intention d'aliéner, il est insusceptible d'avoir eu une incidence sur les délibérations attaquées ;
- les consorts B ont réitéré leur volonté de lui vendre leur parcelle quand leur notaire a établi, le 23 octobre 2006, en leur nom et pour leur compte, la déclaration d'intention d'aliéner ; que, par l'établissement de cet acte, les consorts B doivent être regardés comme ayant renoncé à la stipulation qu'invoque la commune et, simultanément, comme ayant réitéré leur volonté de lui vendre le terrain ; qu'à ce jour, ni les consorts B ni les consorts C n'ont usé de la faculté de dénonciation dont ils ont respectivement disposé à compter du 15 février 2007 et du 30 avril 2007 ;
- contrairement à ce que soutient la commune, l'intérêt à agir de l'acquéreur évincé est cristallisé à la date de la décision de préemption ;
Vu le mémoire, enregistré le 15 juillet 2009, présenté pour la COMMUNE DE BLUFFY, tendant aux mêmes fins que précédemment ;
La commune soutient en outre que :
- la fraude qu'a commise l'intéressé au moment de l'introduction de ses demandes devant le Tribunal administratif n'est en aucun cas étrangère au procès administratif ; que la volonté délibérée de tromper le Tribunal doit entraîner la nullité de ces demandes ;
-r le dépôt par le notaire d'une déclaration d'intention d'aliéner ne peut permettre de modifier les stipulations contractuelles prévues au compromis de vente ; que M. A ne disposait d'aucun intérêt à agir au jour de l'introduction de ses demandes, indépendamment du fait que les consorts B et les consorts C n'ont pas dénoncé les compromis, qui étaient caducs de plein droit ;
- la promesse de vente entre M. A et les consorts B, qui n'a pas été réitérée avant le 31 mars 2006, était, par suite, caduque à la date de la décision de préemption ; que les deux compromis de vente étant incontestablement liés par le jeu des conditions suspensives, à la date des délibérations attaquées, M. A ne disposait d'aucun droit sur aucune des parcelles ;
Vu le mémoire, enregistré le 4 décembre 2009, présenté pour M. A, tendant aux mêmes fins que précédemment ;
En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, par une ordonnance du 7 janvier 2010, la clôture de l'instruction a été fixée au 23 février 2010 ;
Vu le mémoire, enregistré le 29 janvier 2010, présenté pour M. A, tendant aux mêmes fins que précédemment ;
M. A soutient en outre qu'à la date des délibérations attaquée, le conseil municipal n'avait adopté aucune politique locale de l'habitat, comme le fait apparaître la séance du conseil municipal du 10 octobre 2007 ;
Vu le mémoire, enregistré le 3 février 2010, présenté pour la COMMUNE DE BLUFFY, tendant aux mêmes fins que précédemment ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu le code de l'urbanisme ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 mai 2010 :
- le rapport de M. Chenevey, premier conseiller ;
- les observations de Me Monnet, avocat de la COMMUNE DE BLUFFY et celles de Me Brocheton, avocat de M. A ;
- les conclusions de M. Besson, rapporteur public ;
- la parole ayant à nouveau été donnée aux parties présentes ;
Considérant que, par son jugement attaqué, à la demande de M. A, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé deux délibérations du 14 novembre 2006 par lesquelles le conseil municipal de la COMMUNE DE BLUFFY a décidé d'exercer le droit de préemption, respectivement, sur les parcelles cadastrées A 1105 et A 1530 ; que cette commune relève appel de ce jugement ;
Sur la recevabilité des demandes devant le Tribunal administratif :
Considérant, en premier lieu, qu'un compromis a été passé le 5 janvier 2006 entre les consorts B et M. A pour la vente de la parcelle cadastrée A 1105 ; que ce compromis prévoit que M. A devra obtenir un accord de vente des propriétaires de la parcelle contiguë cadastrée A 1530, afin qu'il puisse déposer une demande de permis de construire portant sur les deux parcelles réunies, et que La réalisation de cette condition, matérialisée par la signature d'une promesse de vente au profit de l'acquéreur, devra intervenir au plus tard le 31 mars 2006 et l'acquéreur devra en avoir justifié au notaire des vendeurs avant cette date, à peine de caducité de plein droit des présentes sans indemnité de part ni d'autre ; que, s'il est constant que la condition n'a pas été remplie, M. A n'ayant pu conclure une promesse de vente avec les consorts Germain, propriétaires de la parcelle cadastrée A 1530, que le 2 août 2006, il ne ressort pas des pièces du dossier que, pour autant, les consorts B auraient renoncé à poursuivre la vente de la parcelle cadastrée A 1105 avec M. A ; que, par ailleurs, la circonstance que ledit compromis du 5 janvier 2006 prévoit que la réalisation de la promesse de vente, par réitération par acte authentique, devra intervenir au plus tard le 15 février 2007 est sans incidence sur l'intérêt que M. A a, en sa qualité d'acquéreur évincé, à contester la délibération par laquelle le conseil municipal a décidé de préempter cette dernière parcelle, dès lors que cette décision est intervenue avant la date à laquelle la caducité du compromis était ainsi susceptible d'intervenir ;
Considérant, en deuxième lieu, que, comme indiqué précédemment, un compromis de vente a été passé le 2 août 2006 entre les consorts Germain et M. A pour la vente de la parcelle cadastrée A 1530 ; que ce compromis prévoit que l'acte authentique de vente devra être signé au plus tard le 30 avril 2007 ; que, toutefois, cette circonstance est sans incidence sur l'intérêt à agir de M. A à l'encontre de la délibération du conseil municipal décidant d'exercer le droit de préemption de la commune sur cette parcelle, dès lors que cette décision est intervenue avant la date limite précitée ; que, par ailleurs, en tout état de cause, en l'absence, comme indiqué précédemment, de caducité du compromis du 5 janvier 2006 passé avec les consorts B, la COMMUNE DE BLUFFY ne peut soutenir que la caducité de ce compromis doit entraîner celle de la promesse de vente qui a été passé le 2 août 2006 avec les consorts Germain ;
Considérant, en dernier lieu, qu'il est constant que, devant le Tribunal, M. A a produit des avenants aux compromis de vente du 5 janvier 2006 et du 2 août 2006, respectivement datés des 1er mars 2007 et 27 février 2007, aux termes desquels les consorts B et les consorts Germain confirment leur volonté de vendre ; qu'il est constant que ces avenants constituent des faux ; que, toutefois, contrairement à ce que soutient la COMMUNE DE BLUFFY, cette circonstance, par elle-même, n'a aucune incidence sur la recevabilité des demandes de M. A ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE BLUFFY n'est pas fondée à soutenir que M. A ne dispose d'aucun intérêt à agir à l'encontre des délibérations attaquées ;
Sur la légalité des délibérations attaquées :
Considérant qu'aux termes de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme : Les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement. / Toute décision de préemption doit mentionner l'objet pour lequel ce droit est exercé (...) ; qu'il résulte de ces dispositions que les collectivités titulaires du droit de préemption urbain peuvent légalement exercer ce droit, d'une part, si elles justifient, à la date à laquelle elles l'exercent, de la réalité d'un projet d'action ou d'opération d'aménagement répondant aux objets mentionnés à l'article L. 300-1 du code de l'urbanisme, alors même que les caractéristiques précises de ce projet n'auraient pas été définies à cette date, et, d'autre part, si elles font apparaître la nature de ce projet dans la décision de préemption ;
Considérant que les délibérations attaquées mentionnent que le droit de préemption est exercé sur les parcelles en cause en vue de la mise en oeuvre de la politique locale de l'habitat et le projet de réserve foncière de la commune pour développer à moyen terme les logements sociaux ; que la COMMUNE DE BLUFFY ne produit aucun élément pour établir qu'à la date de ces délibérations, elle justifiait de la réalité d'un projet de logements sociaux, dans le cadre d'un politique locale de l'habitat, qu'elle aurait souhaité mener au moyen des préemptions litigieuses ; qu'ainsi, les délibérations attaquées ne répondent pas aux exigences des articles L. 210-1 et L. 300-1 précités du code de l'urbanisme ;
Considérant qu'il résulte de l'ensemble de ce qui précède que la COMMUNE DE BLUFFY n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé les deux délibérations du 14 novembre 2006 par lesquelles son conseil municipal a décidé de préempter, respectivement, les parcelles cadastrées A 1105 et A 1530 ;
Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M. A, qui n'est pas, dans la présente instance, partie perdante, soit condamné à payer à la COMMUNE DE BLUFFY la somme qu'elle demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ; que, dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de mettre à la charge de cette commune le versement d'une somme quelconque au bénéfice de M. A sur le fondement de ces mêmes dispositions ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de la COMMUNE DE BLUFFY est rejetée.
Article 2 : Les conclusions de M. A tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la COMMUNE DE BLUFFY et à M. Patrick A.
Délibéré après l'audience du 11 mai 2010 à laquelle siégeaient :
M. Bézard, président,
M. Fontbonne, président-assesseur,
M. Chenevey, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 8 juin 2010.
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N° 09LY00319