Vu l'ordonnance n° 372825 par laquelle le président de la section du contentieux du Conseil d'Etat a, en application de l'article R. 351-8 du code de justice administrative, attribué à la Cour administrative d'appel de Lyon le jugement de l'affaire n° 12MA04508 ;
Vu la requête, enregistrée le 27 novembre 2012 au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille, présentée pour Mme A...B..., domiciliée ... ;
Mme B...demande à la Cour :
1°) d'annuler le jugement n° 1201661 en date du 20 septembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté n° 2012/117 du 14 juin 2012 par lequel le préfet du Gard lui a retiré sa carte de résident valable du 1er décembre 2009 au 30 novembre 2019, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle sera reconduite ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 14 juin 2012 ;
3°) d'enjoindre au préfet du Gard de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
La requérante soutient :
Sur la décision lui retirant sa carte de résident :
- que la décision a été prise par une autorité incompétente ;
- qu'elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle, au vu des violences conjugales subies qui l'ont conduite à quitter le domicile conjugal et au vu de son intégration professionnelle en France qui témoigne d'une volonté d'insertion particulière ;
- qu'alors même qu'elle n'a pas présenté de demande sur le fondement de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, elle peut utilement l'invoquer eu égard aux violences qu'elle a subies ;
- que le préfet ne s'est pas prononcé sur le changement de statut sollicité, au vu de son contrat de travail ;
- que cette décision porte une atteinte disproportionnée à son droit au respect de sa vie privée et familiale et méconnaît ainsi les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur l'obligation de quitter le territoire français :
- qu'elle porte atteinte à la poursuite de son contrat de travail et à la défense devant les tribunaux de ses affaires en cours ;
Sur la décision fixant le pays de renvoi :
- qu'elle est entachée d'illégalité par voie d'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;
Vu la décision du 18 décembre 2012, par laquelle le bureau d'aide juridictionnelle près le Tribunal de grande instance de Nîmes (section administrative d'appel) a accordé le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale à Mme A...B...;
Vu le mémoire en défense, enregistré le 17 juillet 2013, présenté par le préfet du Gard, qui conclut au rejet de la requête ;
Il soutient :
Sur la décision lui retirant sa carte de résident :
- que la décision a été signée par une autorité compétente ;
- que la requérante n'établit pas l'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle dont serait entachée ladite décision, en faisant valoir l'existence d'un contrat de travail de quatre vingt dix heures par mois et en ne prouvant pas les violences conjugales qu'elle aurait subies ; que la circonstance que des affaires soient pendantes devant le Tribunal de grande instance est sans influence sur la légalité de la décision contestée ; que la mention par le Tribunal administratif de Nîmes de l'article L. 313-12 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile n'entache pas d'illégalité la décision qui a été prise sur le fondement de l'article L. 431-2 du même code ;
- qu'elle n'établit pas avoir sollicité un changement de statut au motif qu'elle est employée dans une chaîne de restauration rapide ;
- que, s'agissant de son admission au séjour à titre exceptionnel, d'une part, il n'était pas tenu, en l'absence de dispositions expresses en ce sens, d'examiner d'office si l'intéressée peut prétendre à une autorisation de séjour sur le fondement d'une autre disposition de ce code et, d'autre part et en tout état de cause, la situation de la requérante a été appréhendée dans son ensemble ;
- qu'il n'a pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la décision portant obligation de quitter le territoire français :
- que la circonstance que la requérante bénéficie d'un contrat de travail à durée indéterminée n'est pas de nature à lui permettre la délivrance d'un titre de séjour alors que ce contrat de travail n'est pas visé par les services du ministre chargé de l'emploi ;
- que la circonstance que des affaires soient pendantes devant le Tribunal de grande instance est sans influence sur la légalité de la décision contestée ;
Sur la décision fixant le pays de destination :
- qu'elle n'est pas entachée d'illégalité par voie d'exception d'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;
Vu l'ordonnance en date du 17 décembre 2013 fixant la clôture d'instruction au 30 décembre 2013, en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ;
Vu l'accord du 9 octobre 1987 entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement du Royaume du Maroc en matière de séjour et d'emploi ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Vu le code de justice administrative ;
Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;
Vu la décision par laquelle le président de la formation de jugement, sur proposition du rapporteur public, a dispensé celui-ci d'exposer ses conclusions à l'audience, en application de l'article L. 732-1 du code de justice administrative ;
Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 6 février 2014, le rapport de Mme Bourion, premier conseiller ;
1. Considérant que Mme A...B..., ressortissante marocaine, née en 1985, a épousé le 24 octobre 2008 M. C...B..., ressortissant marocain, titulaire d'une carte de résident valable du 27 août 2001 au 26 août 2011 ; que la requérante est entrée en France le 1er août 2009 sous couvert d'un visa D " regroupement familial OFII " et s'est vue délivrer le 1er février 2010 une carte de résident de dix ans, valable du 1er décembre 2009 au 30 novembre 2019 ; que, cependant, en raison de la rupture de la communauté de vie avec son époux, le préfet du Gard a, par arrêté reçu le 16 juin 2012 et daté selon le préfet du 14 juin 2012, retiré à la requérante sa carte de résident, l'a invitée à quitter le territoire français et a fixé le pays à destination duquel elle serait reconduite ; qu'elle relève appel du jugement du 20 septembre 2012 par lequel le Tribunal administratif de Nîmes a rejeté sa demande en annulation de cet arrêté ;
Sur la légalité de la décision portant retrait du titre de séjour :
2. Considérant, en premier lieu, que, par arrêté en date du 4 juin 2012, régulièrement publié le même jour au recueil spécial des actes administratifs de la préfecture, le préfet du Gard a donné délégation à M. Jean-Philippe d'Issernio, secrétaire général de la préfecture du Gard, à effet de signer tous arrêtés, décisions, circulaires, rapports, correspondances et documents relevant des attributions de l'Etat dans le département du Gard, à l'exception de certaines matières au nombre desquelles ne figurent pas les décisions relatives au droit au séjour des étrangers ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence du signataire de la décision attaquée manque en fait ;
3. Considérant, en deuxième lieu, d'une part, qu'aux termes de l'article 5 de l'accord franco marocain susvisé : " Quelle que soit la date à laquelle ils ont été admis au titre du regroupement familial sur le territoire de l'un ou de l'autre Etat, le conjoint des personnes titulaires des titres de séjour et des autorisations de travail mentionnés aux articles précédents ainsi que leurs enfants n'ayant pas atteint l'âge de la majorité dans le pays d'accueil sont autorisés à y résider dans les mêmes conditions que lesdites personnes. " ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " En cas de rupture de la vie commune ne résultant pas du décès de l'un des conjoints, le titre de séjour qui a été remis au conjoint d'un étranger peut, pendant les trois années suivant l'autorisation de séjourner en France au titre du regroupement familial, faire l'objet d'un retrait ou d'un refus de renouvellement. Lorsque la rupture de la vie commune est antérieure à la demande de titre, l'autorité administrative refuse de l'accorder. Les dispositions du premier alinéa ne s'appliquent pas si un ou plusieurs enfants sont nés de cette union, lorsque l'étranger est titulaire de la carte de résident et qu'il établit contribuer effectivement, depuis la naissance, à l'entretien et à l'éducation du ou des enfants dans les conditions prévues à l'article 371-2 du code civil. En outre, lorsque la communauté de vie a été rompue à l'initiative de l'étranger admis au séjour au titre du regroupement familial, en raison de violences conjugales qu'il a subies de la part de son conjoint, l'autorité administrative ne peut procéder au retrait de son titre de séjour et peut en accorder le renouvellement. " ;
4. Considérant que MmeB..., entrée régulièrement en France, sous couvert d'un visa D " regroupement familial ", le 1er août 2009, s'est vue délivrer une carte de résident de dix ans, valable du 1er décembre 2009 au 30 novembre 2019 dont le retrait a été prononcé par le préfet du Gard sur le fondement de l'article L. 431-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le 14 juin 2012, aux motifs de la rupture de la vie commune, de l'absence d'enfant et de l'absence de violences conjugales établies ;
5. Considérant qu'il est constant que la communauté de vie entre les époux B...a cessé le 4 février 2010 et qu'aucun enfant n'est né au sein de ce couple ; qu'en se bornant à produire des attestations rédigées par des professionnels de l'action sociale et par des personnes de sa famille, ainsi qu'une main courante datée du 3 février 2010, qui ne font que reprendre ses propres déclarations, elle n'établit pas que la rupture de la communauté de vie des époux, intervenue à son initiative au mois de février 2010, deux jours après avoir obtenu un titre de séjour, serait la conséquence de violences conjugales, à supposer ces dernières établies ; que, dès lors, en prenant la décision litigieuse, le préfet du Gard n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées ; que, pour les mêmes motifs, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressée ;
6. Considérant, en troisième lieu, que Mme B...fait valoir que la décision portant retrait de titre de séjour serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle, au vu de son intégration professionnelle en France, qui témoignerait d'une volonté d'insertion particulière ; que, toutefois, la seule circonstance qu'elle soit titulaire d'un contrat de travail à temps partiel à durée indéterminée, signé le 7 octobre 2011, en tant qu'employée polyvalente dans une chaîne de restauration rapide, ne suffit pas à démontrer une intégration socioprofessionnelle d'une particulière intensité en France ; que, dans ces conditions, le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation personnelle de l'intéressée ;
7. Considérant, en quatrième lieu, qu'aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée au 1° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 311-7. (...) " ;
8. Considérant que les stipulations de l'accord franco-marocain font obstacle à l'application aux ressortissants marocains des dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile relatives à la régularisation par le travail, dès lors que cet accord régit complètement la situation des ressortissants marocains au regard de leur droit au travail ; qu'en revanche, ledit accord ne fait pas obstacle à l'application à ces ressortissants des dispositions précitées dans le cadre d'une admission exceptionnelle au séjour au titre de la vie privée et familiale ; que, toutefois, Mme B...ne justifie d'aucune circonstance tenant à des considérations humanitaires ou à des motifs exceptionnels dont le préfet du Gard aurait dû tenir compte à cet égard ; qu'elle n'est pas ainsi fondée à soutenir que ledit préfet aurait méconnu les dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
9. Considérant, en cinquième lieu, qu'aux termes de l'article 3 de l'accord franco-marocain du 9 octobre 1987 susvisé : " Les ressortissants marocains désireux d'exercer une activité professionnelle salariée en France, pour une durée d'un an au minimum, et qui ne relèvent pas des dispositions de l'article 1er du présent Accord, reçoivent, après le contrôle médical d'usage et sur présentation d'un contrat de travail visé par les autorités compétentes, un titre de séjour valable un an renouvelable et portant la mention " salarié " éventuellement assortie de restrictions géographiques ou professionnelles (...) " ;
10. Considérant qu'à supposer établi que Mme B...avait, comme elle l'affirme, sollicité un changement de statut, en qualité de salariée, la seule circonstance qu'elle était jusque là en possession d'un titre de séjour au titre du regroupement familial et était autorisée à travailler ne la dispensait pas de justifier désormais d'une autorisation préalable de travail ; qu'à défaut et en tout état de cause, elle n'est pas fondée à soutenir qu'un titre de séjour aurait dû lui être délivré sur ce fondement ;
11. Considérant, en sixième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. " ;
12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que MmeB..., entrée en France le 1er août 2009, à l'âge de vingt trois ans, est séparée de son époux et se retrouve isolée sur le territoire français, où elle ne fait état d'aucune attache familiale mais seulement de relations amicales et de son insertion professionnelle par le travail ; que, dès lors, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions de séjour de la requérante en France, la décision contestée n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport à ses motifs ; qu'elle n'a pas ainsi méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :
13. Considérant, en premier lieu, que, si Mme B...soutient que la décision en litige fait obstacle à ce qu'elle puisse défendre ses intérêts dans la procédure de divorce en cours, toutefois, elle est à même de faire valoir utilement l'ensemble de ses arguments dans le cadre d'une procédure de divorce devant le tribunal de grande instance dès lors qu'elle est représentée par un avocat ; que, par ailleurs, si lors de l'audience de conciliation, sa présence est requise, elle pourra saisir l'autorité consulaire afin d'obtenir la délivrance d'un visa temporaire, en vue de se présenter personnellement devant la juridiction qui l'a convoquée ; qu'il suit de là que le moyen tiré de ce que la mesure d'éloignement méconnaît le droit de la défense devant le juge doit être écarté ;
14. Considérant, en second lieu, que la circonstance qu'elle soit titulaire d'un contrat de travail à temps partiel et à durée indéterminée n'entache pas la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une erreur manifeste d'appréciation, dès lors en tout état de cause qu'elle n'a jamais fait l'objet d'une demande d'autorisation de travail ni présenté un contrat de travail dument visé ;
Sur la légalité de la décision fixant le pays de renvoi :
15. Considérant, que, compte tenu de ce qui précède, la décision faisant obligation à Mme B...de quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité ; que, dès lors, Mme B... n'est pas fondée à soulever, par voie d'exception, l'illégalité de ladite décision à l'encontre de la décision fixant le pays de renvoi ;
16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme B...n'est pas fondée à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal a rejeté sa demande ; que ses conclusions à fin d'injonction et d'astreinte et de mise à la charge de l'Etat des frais exposés par elle et non compris dans les dépens doivent être rejetées par voie de conséquence ;
DECIDE :
Article 1er : La requête de Mme B...est rejetée.
Article 2 : Le présent jugement sera notifié à Mme A...B...et au ministre de l'intérieur. Copie en sera adressée au préfet du Gard.
Délibéré après l'audience du 6 février 2014, à laquelle siégeaient :
M. Montsec, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Bourion, premier conseiller.
Lu en audience publique le 13 mars 2014.
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N° 12LY24508
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