Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La SARL La Crémaillère a demandé au tribunal administratif de Grenoble la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés et des pénalités y afférentes auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2004, 2005 et 2006 du fait des exercices clos au cours des mêmes années, ainsi que des droits de taxe sur la valeur ajoutée et des pénalités y afférentes qui lui ont été réclamés pour la période du 1er mai 2003 au 30 avril 2006 et de l'amende fiscale qui lui a été infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts du fait de la non divulgation des bénéficiaires des distributions intervenues au cours des années 2004, 2005 et 2006.
Par un jugement n° 1104143-1104144 du 16 mai 2014, le tribunal administratif de Grenoble l'a déchargée de l'amende fiscale infligée sur le fondement de l'article 1759 du code général des impôts et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande.
Procédure devant la Cour :
Par une requête, enregistrée le 28 juillet 2014, la SARL La Crémaillère, représentée par Me B..., demande à la Cour :
1°) de réformer ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 16 mai 2014 ;
2°) de la décharger des impositions et des pénalités y afférentes restant à sa charge ;
3°) de diligenter une expertise aux fins de déterminer la valeur sincère et probante de sa comptabilité pour les exercices clos au 30 avril 2004, 2005 et 2006 et apprécier la valeur probante de la reconstitution de comptabilité matière établie par l'administration fiscale pour chacun des exercices vérifiés compte tenu des quantités réelles utilisées dans les plats servis aux clients, en tenant compte des conditions réelles d'exploitation ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La SARL La Crémaillère soutient que :
- le rejet de sa comptabilité n'est pas fondé alors qu'elle a présenté l'ensemble de ses pièces justificatives en considération desquelles les recettes ont été comptabilisées, dont notamment toutes les fiches de caisse éditées en fin de journée, indiquant un total de recettes restaurant ; le rejet de la comptabilité présentée constitue une injustice fiscale ;
- la reconstitution par comptabilité matière est partielle et partiale ; elle est fondée à demander l'instauration d'une mesure d'expertise, comme le prévoit l'article R.* 202-3 du livre des procédures fiscales en matière de valeur vénale, aux fins, d'une part, de déterminer la pertinence du rejet de sa comptabilité, et d'autre part d'apprécier les modalités de la reconstitution statistique opérée, de déterminer si la comptabilité matière correspond au fonctionnement réel de l'établissement et en quoi elle se trouve être faussée, étant réalisée par l'administration fiscale avec l'objectif de procéder à des redressements ; les chiffres d'affaires théoriques et les bénéfices théoriques sur lesquels ont été assis les rappels en cause sont artificiels ; par voie de conséquence, les impôts qui en résultent constituent une peine ;
- lorsque l'on recalcule la reconstitution théorique en tenant compte des quantités réelles utilisées et servies, on aboutit à un résultat théorique qui correspond aux recettes inscrites en comptabilité ; ces quantités qui entrent dans la composition des plats ont été constatées sur place par un procès-verbal établi par Me C...A..., huissier de justice le 18 avril 2008 ; les conditions d'exercice n'ont pas changées ;
- les redressements notifiés pour l'exercice clos en 2005, déterminés sur la base d'une moyenne arithmétique des deux autres exercices vérifiés qui ont, eux, donné lieu à une reconstitution de chiffre d'affaires, ne sont pas fondés ; l'extrapolation simpliste d'une moyenne arithmétique n'est pas conforme à l'obligation légale d'asseoir l'impôt sur une base objective.
Par un mémoire en défense, enregistré le 24 décembre 2014, le ministre des finances et des comptes publics conclut au rejet de la requête.
Le ministre des finances et des comptes publics soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Terrade, premier conseiller,
- les conclusions de M. Besse, rapporteur public.
1. Considérant que la SARL La Crémaillère, qui exploite un bar-restaurant à Montriond (Haute-Savoie), a fait l'objet d'une vérification de comptabilité portant sur les exercices clos en 2004, 2005 et 2006 ; que l'administration fiscale estimant la comptabilité présentée non probante, a reconstitué les recettes et le chiffre d'affaires de l'établissement et lui a réclamé des compléments d'impôt sur les sociétés et de taxe sur la valeur ajoutée dont la SARL a demandé la décharge au tribunal administratif de Grenoble ; que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a prononcé la décharge de l'amende prévue à l'article 1759 du code général des impôts qui lui avait été assignée et a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ; que la SARL La Crémaillère relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de sa demande ;
Sur le bien-fondé de l'imposition :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 192 du livre des procédures fiscales ; " Lorsque l'une des commissions visées à l'article L. 59 est saisie d'un litige ou d'une rectification, l'administration supporte la charge de la preuve en cas de réclamation, quel que soit l'avis rendu par la commission. / Toutefois, la charge de la preuve incombe au contribuable lorsque la comptabilité comporte de graves irrégularités et que l'imposition a été établie conformément à l'avis de la commission. La charge de la preuve des graves irrégularités invoquées par l'administration incombe, en tout état de cause, à cette dernière lorsque le litige ou la rectification est soumis au juge. (...) " ;
3. Considérant qu'il résulte de l'instruction et n'est pas contesté que la SARL La Crémaillère n'a pas été en mesure de présenter, au titre de la période vérifiée, le détail des recettes enregistrées quotidiennement, s'étant bornée à fournir à l'administration fiscale des fiches de caisse éditées en fin de journée indiquant le total des recettes du restaurant ; que l'administration a, en outre, constaté que, pour chaque exercice vérifié, des opérations étaient manquantes dans la chronologie de la facturation enregistrée en raison d'anomalies affectant la continuité des numéros d'ordre des transactions ; que, dans ces conditions, l'administration apporte la preuve qui lui incombe en application des dispositions précitées des graves irrégularités dont la comptabilité était entachée ; qu'elle a, dès lors, pu à bon droit l'écarter comme non probante et procéder à la reconstitution des recettes et du bénéfice ; que les impositions contestées ayant été établies conformément à l'avis de la commission départementale des impôts directs et des taxes sur le chiffre d'affaires, la preuve de leur caractère exagéré incombe à la SARL La Crémaillère ; qu'il lui revient, dès lors, soit de démontrer que la méthode de reconstitution de son chiffre d'affaires est excessivement sommaire ou radicalement viciée dans son principe, soit de proposer une méthode de reconstitution plus précise que celle retenue par l'administration ;
4. Considérant que pour reconstituer le chiffre d'affaires de la vente de boissons, l'administration fiscale a dépouillé l'ensemble des factures d'achat de boissons sur deux exercices, ceux clos en 2004 et en 2006, en individualisant chaque référence produit ; qu'elle a déterminé le nombre de doses par catégorie de liquide afin de déterminer les unités vendues en retenant un pourcentage de perte de 10 % sur le chiffrage des doses en plus d'un pourcentage de perte admis de 3 % sur les boissons servies ; qu'elle a également tenu compte des offerts et de la consommation du personnel ; qu'elle a appliqué les prix de vente qui lui ont été présentés lors du débat oral et contradictoire ; que pour obtenir le chiffre d'affaires, elle a ainsi pu déterminer le coefficient sur achat revendus d'une valeur de 6 pour l'exercice clos en 2004 et de 5,89 pour l'exercice clos en 2006 ; que pour obtenir le coefficient multiplicateur de l'exercice clos en 2005, l'administration a fait la moyenne de ces deux coefficients et a ainsi obtenu un coefficient de 5,95 ; qu'elle a ensuite déterminé le montant des achats revendus, en tenant compte de la variation des stocks, et a reconstitué le chiffre d'affaires résultant de la vente des boissons en appliquant, pour chaque exercice vérifié, le coefficient multiplicateur au montant des achats revendus ;
5. Considérant que pour reconstituer le chiffre d'affaires réalisé au titre de l'activité restauration, l'administration fiscale a identifié, en concertation avec la gérante, les principaux plats vendus et leurs ingrédients puis a déterminé le coût de revient de chaque plat ; qu'elle a ensuite déterminé le coefficient multiplicateur correspondant au rapport entre le prix de vente et le coût de revient pour chacun de ces plats et pour l'ensemble de cette activité, coefficient égal à 4,74 pour l'exercice clos en 2004, à 5,40 pour l'exercice clos en 2006 et à 5,00 pour l'exercice clos en 2005, moyenne arithmétique des deux précédents ; que comme pour les boissons, l'administration a chiffré le montant des denrées revendues en tenant compte de la variation des stocks, des pertes à hauteur de 5 % et de la consommation du personnel telles qu'elle apparaissent en comptabilité ; que l'administration a ainsi pu, en appliquant les coefficients précités, reconstituer, pour chaque exercice, le chiffre d'affaires de l'activité restauration ;
6. Considérant que la SARL La Crémaillère soutient que la reconstitution par comptabilité matière est partielle et partiale, qu'elle ne correspond pas au fonctionnement réel de l'établissement et que les chiffres d'affaires théoriques et les bénéfices théoriques en résultant, sur lesquels ont été assis les rappels litigieux, sont artificiels ; que la requérante conteste les portions retenues pour la reconstitution de l'activité restauration et soutient qu'en tenant compte des quantités qu'elle revendique pour chaque plat le résultat obtenu correspond aux recettes inscrites en comptabilité ; qu'elle soutient, en outre, que les achats de liquide destinés à la revente en boutique ont été comptés au nombre des boissons servies dans le restaurant et que le coefficient multiplicateur pour l'exercice clos en 2005, obtenu par moyenne arithmétique des deux exercices reconstitués, déterminé de manière arbitraire, n'est pas le résultat d'une reconstitution des recettes et n'est donc pas fondé ;
7. Considérant, toutefois, que si la société requérante soutient, d'une part, que l'administration n'a pas pris en compte le fonctionnement réel de l'établissement et, d'autre part, que les quantités retenues par l'administration sont inférieures à celles qu'elle prétend servir, elle ne l'établit pas par la production d'un procès verbal d'huissier daté du 18 avril 2008, qui ne suffit pas à démontrer que les quantités servies à cette seule date seraient identiques à celles servies au cours de la période vérifiée ; que la SARL n'apporte pas d'élément probant permettant d'établir ses allégations alors que les éléments servant de base à la reconstitution de recettes par le service, qui n'aboutit pas à des résultats incohérents sur les trois exercices vérifiés, sont issus des informations délivrées par la société elle-même et ayant donné lieu à un débat oral et contradictoire ;
8. Considérant que la SARL La Crémaillère soutient sans l'établir, pour la première fois en appel, que des achats de liquide destinés à la vente en boutique, dans le magasin de souvenir ou le magasin de produits régionaux, auraient été comptés au nombre des boissons servies au restaurant ; qu'en l'absence de production d'éléments probants de nature à étayer une telle allégation, le moyen ne peut qu'être écarté ;
9. Considérant que les coefficients multiplicateurs retenus pour l'exercice intermédiaire clos en 2005 ont été déterminés, comme il a été dit précédemment, sur la base de la moyenne des coefficients résultant de la reconstitution des chiffres d'affaires des exercices clos en 2004 et 2006 dont la méthode et les calculs ont été exposés de manière détaillée dans la proposition de rectification ; qu'il n'est pas contesté que les conditions d'exploitation étaient similaires sur les trois exercices vérifiés, notamment au regard du volume d'affaires ; qu'en outre, les coefficients multiplicateurs de l'exercice clos en 2005 ont été appliqués aux achats revendus dudit exercice qui constituent des données propres à la période considérée ; qu'en l'absence de production de données contraires, les coefficients obtenus tant pour la vente de boissons que pour l'activité restauration pour l'exercice clos en 2005, déterminés par exploitation des données internes à l'entreprise, doivent être regardés comme fondés ;
10. Considérant que l'administration fait valoir, sans être sérieusement contredite, que, contrairement aux allégations de la société, des éléments communiqués par la contribuable ont été pris en compte dans la reconstitution des recettes, notamment le prix de vente des boissons pratiqué, la consommation de boissons par le personnel, un taux de perte de 10 % au niveau des doses servies pour l'ensemble des boissons, les doses de boissons utilisées en cuisine, la liste des principaux plats servis, leur composition, le prix d'achat des ingrédients, la clé de répartition des plats servis selon la saison et la prise en compte d'ingrédients supplémentaires ; que, par suite, la société ne démontre pas que la méthode ainsi mise en oeuvre serait radicalement viciée dans son principe ou sommaire ;
11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de recourir à une expertise, que la SARL La Crémaillère n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté le surplus de sa demande ;
Sur l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
12. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que l'Etat qui n'a pas, dans la présente instance, la qualité de partie perdante, verse à la SARL La Crémaillère la somme qu'elle réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de la SARL La Crémaillère est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié SARL La Crémaillère et au ministre des finances et des comptes publics.
Délibéré après l'audience du 2 février 2016 à laquelle siégeaient :
M. Bourrachot, président de chambre,
Mme Mear, président-assesseur,
Mme Terrade, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 1er mars 2016
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N° 14LY02392
jb