Vu la procédure suivante :
Procédure antérieure
M. C...B...a demandé au tribunal administratif de Grenoble d'annuler l'arrêté du 26 juin 2015 par lequel le préfet de la Drôme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de destination.
Par le jugement n° 1504104 du 15 septembre 2015, le tribunal administratif de Grenoble a fait droit à sa demande et enjoint au préfet de la Drôme de lui délivrer un titre de séjour dans un délai de quinze jours à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 24 septembre et le 2 novembre 2015, le préfet de la Drôme demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Grenoble du 15 septembre 2015 ;
2°) de rejeter la demande de M.B... ;
3°) de procéder à la suppression des passages diffamatoires des écritures de M. B... sur le fondement des dispositions de l'article L. 741-2 du code de justice administrative.
Le préfet soutient que :
- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal administratif, il n'a pas commis d'erreur de droit en considérant que M. B...a encore un frère ; si M. B...a produit un faux à l'appui de sa demande de titre de séjour, il conviendra de procéder à une substitution de ce motif à celui retenu par la décision contestée ;
- les documents produits à l'appui de la demande de titre de séjour " mineur isolé " ne sont pas compatibles avec le résultat du test osseux pratiqué ; M. B...n'a pas justifié de sa minorité à la date de son placement ;
- les moyens soulevés par M. B...devant le tribunal administratif seront écartés pour les motifs développés en première instance.
Par un mémoire en défense enregistré le 22 octobre 2015, M. B... conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'État la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative " entraînant le cas échéant renonciation à la perception de l'indemnité juridictionnelle " ;
M. B...fait valoir que :
- les tests osseux ne sont pas fiables pour déterminer un âge avec certitude, ce qu'avait d'ailleurs retenu le juge des enfants ;
- il n'a conservé aucun lien avec le Congo, il a perdu ses parents, il était fils unique, M. A...B..., qualifié de " grand frère " ne peut pas être son frère biologique.
M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 3 novembre 2015.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
A été entendu, au cours de l'audience publique, le rapport de Mme Gondouin, rapporteur.
1. Considérant que M.B..., ressortissant de la République démocratique du Congo est entré irrégulièrement en France le 2 septembre 2013, selon ses déclarations ; qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance par une ordonnance du tribunal pour enfants de Valence du 9 octobre 2013 ; que le préfet de la Drôme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et fixé le pays de destination par un arrêté du 20 mai 2015 ; que, le 18 juin 2015, M. B... a déposé une demande de titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que le préfet de la Drôme a rejeté sa demande, assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai d'un mois et fixé le pays de destination par un arrêté du 26 juin 2015 ; que le préfet relève appel du jugement du 15 septembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Grenoble a annulé cet arrêté du 26 juin 2015 ;
Sur les conclusions aux fins d'annulation :
2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " À titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue au 1° de l'article L. 313-10 portant la mention "salarié" ou la mention "travailleur temporaire" peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 311-7 n'est pas exigé " ;
3. Considérant que, pour refuser de délivrer un titre de séjour à M. B...sur le fondement de ces dispositions, le préfet de la Drôme a relevé que ce dernier n'établit pas qu'il était mineur à la date à laquelle il est arrivé en France et a été placé à l'aide sociale à l'enfance et qu'il ne serait pas dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine ;
4. Considérant, en premier lieu, que selon les dispositions de l'article L. 111-6 du code précité : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) " ; et, qu'aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité " ; que ces dispositions posent une présomption de validité des actes d'état civil établis par une autorité étrangère ; qu'il incombe le cas échéant à l'administration de renverser cette présomption en apportant la preuve du caractère irrégulier, falsifié ou non-conforme à la réalité des actes en question ;
5. Considérant que M. B...a produit une copie intégrale d'acte de naissance dont il ressort qu'il est né le 29 août 1997 à Kinshasa d'un père né le 1er janvier 1950 et d'une mère née le 2 février 1955 ; que ce document a été établi le 12 novembre 2014 à partir d'une copie d'un jugement supplétif d'acte de naissance du 15 mars 2013 et comporte la mention du certificat de non appel établi par le tribunal de grande instance de Kinshasa / Matete ; que, pour remettre en cause les mentions de ce document, le préfet s'appuie sur un test osseux pratiqué à la demande du juge des enfants le 15 novembre 2013 ; que le courrier du radiologue du 16 décembre 2013 adressé au substitut du procureur de la République de Valence précise que " les constatations radiographiques du 15/11/2013 montrent une maturation osseuse complète du squelette sur le plan radiographique et que l'âge biologique peut donc être évalué à 18 ans plus ou moins 12 mois " ; que, compte tenu de la marge d'incertitude de ce type d'examen, le préfet de la Drôme ne peut être regardé comme apportant la preuve que le document produit n'est pas conforme à la réalité ; qu'il n'établit pas davantage que le document en question est irrégulier ou falsifié ; que, dès lors, et comme l'ont relevé les premiers juges, M. B...doit être regardé comme ayant été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans ;
6. Considérant, en second lieu, que M. B...produit le certificat de décès de son père et de sa mère ainsi qu'un document attestant qu'il est fils unique, pièces dont l'authenticité n'est pas contestée par le préfet ; qu'à supposer, comme le fait valoir le préfet de la Drôme, que M. B...aurait un grand frère prénommé Yves, cette seule circonstance ne serait pas à elle seule de nature à établir que M. C...B...aurait conservé des liens affectifs en République démocratique du Congo ;
7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le préfet de la Drôme n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a annulé son arrêté du 26 juin 2015 ;
Sur les conclusions tendant à la suppression d'écrits injurieux, outrageants et diffamatoires :
8. Considérant que l'article L. 741-2 du code de justice administrative rend applicables aux litiges portés devant les juridictions administratives les alinéas 3 à 5 de l'article 41 de la loi du 29 juillet 1881, aux termes desquels : " Ne donneront lieu à aucune action en diffamation, injure ou outrage, ni le compte rendu fidèle fait de bonne foi des débats judiciaires, ni les discours prononcés ou les écrits produits devant les tribunaux. / Pourront néanmoins les juges, saisis de la cause et statuant sur le fond, prononcer la suppression des discours injurieux, outrageants ou diffamatoires, et condamner qui il appartiendra à des dommages-intérêts. / Pourront toutefois les faits diffamatoires étrangers à la cause donner ouverture, soit à l'action publique, soit à l'action civile des parties, lorsque ces actions leur auront été réservées par les tribunaux et, dans tous les cas, à l'action civile des tiers " ;
9. Considérant que le préfet de la Drôme demande à la cour, comme il l'avait fait devant le tribunal administratif, de supprimer certains passages exposés aux pages 3 et 4 de la requête de première instance de M. B...sur le fondement des dispositions précitées ; que cette requête, pour très regrettable que soit sa formulation, ne comporte pas de propos excédant la mesure de ce qui peut être toléré dans le cadre du débat contentieux ; que ces conclusions du préfet de la Drôme ne sauraient dès lors être accueillies ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
10. Considérant que Me Bret, avocat de M. B...doit être regardé comme ayant entendu revendiquer le bénéfice de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, en se référant à la renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle ; que M. B...a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale dans le cadre de cette requête ; que son conseil peut donc se prévaloir des dispositions combinées de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 ; que, dès lors, dans les circonstances de l'espèce et sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État à l'aide juridictionnelle, il y a lieu de mettre à la charge de l'État une somme de 1 200 euros, au profit de Me Bret, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du préfet de la Drôme est rejetée.
Article 2 : L'État versera au conseil de M. B...la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de renoncer au bénéfice de l'aide juridictionnelle.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, au préfet de la Drôme et à M. C...B....
Délibéré après l'audience du 12 mai 2016 où siégeaient :
- M. Mesmin d'Estienne, président,
- Mme Gondouin, premier conseiller,
- Mme Samson-Dye, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 31 mai 2016.
Le rapporteur
G. GondouinLe président
O. Mesmin d'Estienne
La greffière,
M.-T. Pillet
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
Pour expédition,
La greffière,
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N° 15LY03188