Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure
La Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 18 avril 2014 par laquelle le maire de la commune de Roanne a interdit la consommation de boissons alcoolisées du 1er avril au 30 octobre, de 10 h à 1 h 30, sur certaines parties du territoire communal, ainsi que l'utilisation, la détention et le transport de contenants en verre, plastique ou métal.
Par le jugement n° 1404382 du 14 septembre 2016, le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa requête.
Procédure devant la cour
Par une requête et un mémoire enregistrés respectivement le 10 novembre 2016 et le 24 février 2017, la Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen, représentée par Me A..., demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Lyon du 14 septembre 2016 ;
2°) d'annuler l'arrêté du maire de Roanne du 18 avril 2014 portant interdiction de consommer des boissons alcoolisées sur certaines parties du territoire communal, ainsi que l'utilisation, la détention et le transport de contenants en verre, plastique ou métal ;
3°) de mettre à la charge de la commune de Roanne la somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La Ligue des droits de l'homme soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a jugé qu'elle ne disposerait en l'espèce d'aucun intérêt à agir ;
- l'arrêté est insuffisamment motivé ;
- la mesure n'est pas nécessaire, en l'absence de menace suffisamment grave pour l'ordre public ;
- elle n'est pas non plus proportionnée.
Par un mémoire en défense enregistré le 6 février 2017, la ville de Roanne, représentée par Me D...B..., demande à la cour :
1°) de rejeter la requête de la Ligue des droits de l'homme ;
2°) et de mettre à sa charge la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
La commune fait valoir que :
- eu égard à la généralité de l'objet social de la Ligue des droits de l'homme et de son champ d'action national, celle-ci n'a pas d'intérêt à agir contre l'arrêté municipal du 18 avril 2014 dont la portée est strictement locale ; en outre, non seulement l'arrêté litigieux est justifié par les circonstances particulières locales, mais encore il ne vise aucune catégorie particulière de personnes ;
- l'arrêté litigieux est suffisamment motivé ;
- il n'est pas entaché de détournement de pouvoir dès lors que le maire a voulu mettre un terme à un trouble à l'ordre public matérialisé par le comportement dangereux des personnes se livrant aux actes de mendicité ;
- l'arrêté est nécessaire, adapté et proportionné aux risques de troubles à l'ordre public.
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu :
- le code général des collectivités territoriales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Gondouin,
- les conclusions de M. Dursapt, rapporteur public,
- et les observations de MeC..., représentant de la commune.
1. Considérant que, par un arrêté du 18 avril 2014, le maire de Roanne a interdit dans certains lieux de la ville, du 1er avril au 30 octobre de 10 h à 1 h 30, la consommation de boissons alcoolisées ainsi que l'utilisation, la détention et le transport de contenants en verre, en plastique ou en métal ; que l'association " Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen " dite " Ligue des droits de l'homme " relève appel du jugement du tribunal administratif de Lyon du 14 septembre 2016 qui a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté ;
Sur la recevabilité de la demande de première instance :
2. Considérant que si, en principe, le fait qu'une décision administrative ait un champ d'application territorialement défini fait obstacle à ce qu'une association ayant un ressort national justifie d'un intérêt lui donnant qualité pour en demander l'annulation, il peut en aller autrement lorsque la décision soulève, en raison de ses implications, notamment dans le domaine des libertés publiques, des questions qui, par leur nature et leur objet, excèdent les seules circonstances locales ;
3. Considérant que la Ligue des droits de l'homme a pour objet statutaire, notamment, de combattre " l'injustice, l'illégalité, l'arbitraire, l'intolérance, toute forme de racisme et de discrimination (...) et plus généralement toute atteinte au principe fondamental d'égalité entre les êtres humains " ; que l'arrêté du 18 avril 2014 du maire de Roanne est de nature à affecter de façon spécifique la liberté de personnes présentes sur le territoire de la commune, en particulier celles se trouvant en situation précaire ; que cet arrêté revêt, dans la mesure notamment où il répond à une situation susceptible d'être rencontrée dans d'autres communes, une portée excédant son seul objet local ; que la Ligue des droits de l'homme est, dès lors, fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande comme irrecevable au motif qu'elle ne disposait d'aucun intérêt à agir à l'encontre de l'arrêté du maire de Roanne ; que, par suite, le jugement attaqué doit être annulé ;
4. Considérant qu'il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la Ligue des droits de l'homme devant le tribunal administratif ;
Sur la légalité de l'arrêté contesté :
5. Considérant que selon l'article L. 2212-1 du code général des collectivités territoriales : " Le maire est chargé, sous le contrôle administratif du représentant de l'État dans le département, de la police municipale (...) " ; qu'aux termes des quatre premiers alinéas de l'article L. 2212-2 du même code : " La police municipale a pour objet d'assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publique. Elle comprend notamment : / 1° Tout ce qui intéresse la sûreté et la commodité du passage dans les rues, quais, places et voies publiques (...) ; / 2° Le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique telles que les rixes et disputes accompagnées d'ameutement dans les rues, (...) les attroupements, les bruits, les troubles de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants et tous actes de nature à compromettre la tranquillité publique ; / 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d'hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics " ; que, s'il appartient au maire, en application des pouvoirs de police qu'il tient de ces dispositions, de prendre les mesures nécessaires pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques, les interdictions édictées à ce titre doivent être strictement proportionnées à leur nécessité ;
6. Considérant, d'une part, que, pour justifier l'interdiction de la consommation de boissons alcoolisées du 1er avril au 30 octobre, de 10 heures à 1 heure 30 dans le périmètre de la zone piétonne, le centre ancien, le port, les parcs, jardins et lieux publics de la ville, dont le parvis de la gare SNCF, le pôle de loisirs cours de la République et les parvis des lieux de culte, l'arrêté contesté évoque " les nombreuses plaintes émanant d'habitants, de commerçants du centre-ville, d'usagers des parcs et jardins, au sujet des désagréments causés par la présence d'individus consommant des boissons alcoolisées, au comportement bruyant et agressif, souvent en état d'ivresse " et " le comportement agressif sur le domaine public des personnes en état d'ébriété " ; que ce même arrêté évoque également " les nombreuses interventions réalisées pour les faits évoqués supra, par les services de police nationaux et municipaux " ; que, toutefois, le maire ne produit, à l'appui de son mémoire en défense, aucune pièce permettant de justifier de l'importance et de la fréquence des troubles à l'ordre public invoqués ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que les risques d'atteinte au bon ordre, à la sûreté, à la sécurité et à la salubrité publiques étaient de nature à justifier de telles mesures restrictives eu égard à l'importance relative de la durée de ces mesures et à leur champ d'application ; qu'ainsi, en l'absence de menace suffisamment grave pour l'ordre public justifiant la nécessité de ce dispositif, le maire de Roanne ne pouvait légalement prendre les mesures d'interdiction contestées ;
7. Considérant, d'autre part, que l'article 3 du même arrêté prévoit que " L'utilisation, la détention et le transport des contenants en verre, en plastique ou en métal sont strictement interdits " ; que ces dispositions ne renvoient ni à l'article 1er ni à l'article 2 de l'arrêté contesté qui fixent les lieux et les périodes où s'applique l'interdiction de consommation de boissons alcoolisées ; que, dès lors, par leur généralité, ces mesures qui n'apparaissent pas en l'espèce utiles et nécessaires pour assurer le bon ordre, la sûreté, la sécurité et la salubrité publiques sur le territoire de la commune sont illégales ;
8. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que la Ligue des droits de l'homme est fondée à demander l'annulation de l'arrêté du maire de Roanne du 18 avril 2014 ;
Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
9. Considérant que la Ligue des droits de l'homme n'étant pas en l'espèce partie perdante, les conclusions de la commune de Roanne tendant à ce que soit mise une somme à sa charge sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ; qu'il n'y a pas lieu de mettre une somme à la charge de la commune de Roanne sur le fondement des mêmes dispositions ;
DÉCIDE :
Article 1 : Le jugement n° 1404382 du 14 septembre 2016 du tribunal administratif de Lyon est annulé.
Article 2 : L'arrêté du maire de Roanne du 18 avril 2014 est annulé.
Article 3 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.
Article 4: Le présent arrêt sera notifié à La Ligue française pour la défense des droits de l'homme et du citoyen et à la commune de Roanne.
Copie en sera adressé au préfet de la Loire.
Délibéré après l'audience du 16 mars 2017 où siégeaient :
M. d'Hervé, président,
Mme Michel, président-assesseur,
Mme Gondouin, premier conseiller.
Lu en audience publique, le 6 avril 2017.
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N° 16LY03772